Perspectives sur l’au-delà
Saint Paul, dans le passage que nous méditons ce dimanche nous parle de sa mort dans des termes simples et émouvants que nous comprenons assez facilement, car ils correspondent à l’idée que nous nous faisons généralement de la mort et de l’après-mort : séparation de l’âme et du corps, jugement, rétribution ou châtiment, d’après le bilan de notre vie. Mais l’étonnant, c’est justement que ce tableau ne consonne pas du tout (du moins en apparence) avec ce que nous dit Jésus dans l’Evangile.
D’abord le Christ parle relativement peu de la survie individuelle (sauf peut-être dans la parabole de Lazare et du mauvais riche, cf. Luc 16,20-31), sa perspective est plus souvent celle de son retour et du jugement dernier qui l’accompagnera. Là où Paul parlait d’une comparution qui semblait liée à sa mort prochaine, Jésus parle d’un évènement collectif qui surviendra à la fin de l’histoire : « quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, il s’assiéra alors sur son trône de gloire, et toutes les nations seront rassemblées devant lui » (Matthieu 25,31-32). Certains ont essayé de montrer que les deux n’étaient pas forcément incompatibles, mais en se fondant sur une conviction erronée : ils pensaient que le Christ aurait cru à une fin du monde imminente, et presque personne ne serait donc mort avant son retour ! Mais l’argument ne tient pas : sans jamais fixer la date de la fin du monde, Jésus sait bien qu’un certain nombre d’évènements se passeront avant et il n’aurait pas fondé une Eglise s’il n’y avait pas besoin d’assurer une présence dans l’histoire après son passage sur terre. D’autres ont imaginé que les hommes tomberaient dans le sommeil dès le jour de leur mort et ne se réveilleraient qu’au moment du jugement dernier ! Mais cela non plus ne coïncide pas avec l’enseignement de l’Eglise qui nous dit que dès leur mort les élus auront la vision de Dieu et c’est bien ce qu’a l’air d’attendre saint Paul (cf. Philippiens 1,23).
Alors la moins mauvaise solution est de postuler un double jugement : un premier, le « jugement particulier », survenant à la mort de chaque être humain, c’est là qu’il serait confronté avec le bien et le mal qu’il aurait fait durant sa vie et là qu’il connaitrait déjà (dans son âme et pas encore dans sa chair) les conséquences de sa conduite, l’autre à la fin des temps qui sera comme une totalisation des jugements particuliers et qui fera apparaître la part d’humanité qui a répondu à l’attente de Dieu et celle qui s’y est refusée, ce sera aussi le jugement des sociétés, des civilisations et du cosmos entier, avant que Dieu soit « tout en tous » et que le mal soit définitivement rejeté.
N’oublions pas que la perspective large que nous ouvre le Seigneur est le vrai fondement de notre espérance : ce n’est pas de « sauver son âme » qui est notre victoire sur la Mort, c’est son élimination définitive. Le plan de Dieu qui nous a faits corps et âme indissolublement unis ne sera vraiment réalisé que par la Résurrection de la chair. Bien sûr, le bonheur des saints près du Christ est déjà complet, car quand on a Dieu on a tout, mais ce premier accomplissement en appelle un second : à ce stade notre vie est encore « cachée avec le Christ en Dieu » (Colossiens 3,3) et il y aura un moment où il va déployer toute la splendeur de son projet sur nous. Mais, en attendant, comme les martyrs que voit saint Jean sous l’autel (Apocalypse 6,9), les élus crient : « jusques à quand, ô Maître Saint et Véritable, tardes-tu à faire justice ? ».