Du bon usage des Saintes Écritures
Le programme que saint Paul trace à son disciple Timothée avant de le charger de mission comporte un passage sur l’enseignement qu’il devra dispenser et c’est là qu’il parle de la place des Écritures : « elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ ». N’oublions pas qu’à cette époque, les quatre évangiles n’ont pas été composés, en tout cas pas complétement, et que l’Ecriture, dans ce contexte, c’est ce que nous appelons l’Ancien Testament : la Loi, les Prophètes et les autres Ecrits. A propos de ce dépôt, il nous affirme qu’il est vraiment essentiel pour avancer jusqu’au cœur de notre foi en Jésus.
Voilà qui est étrange, car, pour nous, l’Ancien Testament, c’est plutôt une vieille histoire qui prépare peut-être la venue du Christ, mais qui est encore à distance de lui. Or voilà que saint Paul nous dit que cette Ecriture peut nous procurer une « sagesse », c.a.d. une intelligence savoureuse des mystères de notre foi. Qu’est-ce à dire ? Je crois qu’on peut le comprendre, en découvrant que l’Ancien Testament nous donne le cadre mental où vont s’inscrire (entre autres) le mystère de l’Incarnation et celui de la Rédemption. Sans lui, nous n’aurions pas l’idée d’un Dieu totalement transcendant et pourtant mystérieusement proche. Sans lui, nous ne saurions rien du drame initial dont nous avons besoin d’être sauvés. Et la liste serait longue de tous les points où notre pensée, naturellement païenne, bute sur des réalités qui la dépassent et en conséquence est tentée de gommer telle aspérité pourtant essentielle. C’est d’ailleurs ainsi que sont nées bien des hérésies. C’est parce que le corps nous semble extérieur à notre personne que beaucoup ont esquivé le réalisme de la présence eucharistique. Or où aurions-nous appris, sinon dans la Genèse et les psaumes, que « toute chair » est faite pour louer Dieu et que le surnaturel aussi est charnel (comme le dira Péguy) ? Mais c’est la même déconnexion qui nous fait oublier aujourd’hui que la différence homme/femme n’est pas dans la culture seulement, mais qu’elle est inscrite dans la matérialité de nos corps.
La « sagesse » dont nous parle Paul est particulièrement nécessaire à l’heure de la prière. Le Premier Testament nous fournit une imagerie prodigieuse au service de notre pensée, quand celle-ci cherche à s’élever vers Dieu : si l’Eternel n’a pas de corps, il a des « yeux » pour voir, des « oreilles » pour entendre, des « mains » pour toucher et même des « pieds » pour fouler le sol (Isaïe 37,25), il a surtout un « cœur » capable de s’émouvoir et de compatir. Il a un projet conçu depuis l’aurore des temps, qui est de nous adopter tous et de nous associer à sa vie : « faisons l’homme à notre image, comme à notre ressemblance ! ». Sans les psaumes, nous ne saurions pas nous présenter devant Dieu en pénitent et dire : « contre toi, toi seul, j’ai péché ! », comme il faut le faire ; sans eux, nous ne pourrions que gémir au contact de la souffrance, sans savoir la transformer en paroles de vraie supplication, d’interpellation véhémente, de confiance maintenue, d’action de grâces anticipée… Où aurions-nous trouvé tout cela ailleurs ?
C’est bien compris ? L’Ancien Testament n’est pas un document d’histoire sur les mœurs des Hébreux. C’est notre nourriture au même titre que les quatre évangiles….