Il apprit de ses souffrances ce que c’est qu’obéir
Merveilleuse lettre aux Hébreux ! Quel qu’en soit l’auteur (Apollos ? Barnabé ?), il a su dire toute la profondeur de vie divine qu’il y a en Jésus et, en même temps, sa très réelle humanité. Une gageure ! Car on est toujours tenté de sacrifier l’un à l’autre, de rapetisser le Christ, ou de le rendre inaccessible.
« Il apprit de ses souffrances » ! Apprendre, souffrir, à première vue tout cela ne convient guère à Dieu qui n’est pas soumis au devenir. Si le Fils sait tout, qu’a-t-il besoin d’apprendre ? S’il est éternellement établi dans la béatitude, d’où lui viennent ses souffrances ? Bien sûr, on dira que Jésus étant à la fois homme et Dieu (merci au Concile de Chalcédoine de l’avoir rappelé), il souffre en tant qu’homme, il triomphe en tant que Dieu, il apprend dans son humanité, il enseigne depuis sa divinité. D’accord, mais Jésus est quand même un sujet unique, comment a-t-il pu vivre cette distorsion entre des orientations si contradictoires ?
Il faut nous souvenir de deux choses : la première est que la connaissance divine n’est pas seulement plus étendue que la connaissance humaine, elle est complètement originale : elle ne procède pas par déduction, elle saisit l’être à sa racine, il n’y a donc pas en Jésus deux connaissances sur un plan d’égalité entre lesquelles il lui faudrait choisir. Deuxièmement : Jésus est Dieu, mais il est le Dieu-Fils et, comme Fils, il n’arrête pas de tout recevoir du Père, c’est sa manière d‘être fondamentale, c’est aussi sa manière de connaître : « tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jean 15,15). Seulement en Dieu, la réception est instantanée, chez nous ça prend du temps : l’homme Jésus, en se faisant l’un de nous a connu cet étirement du temps : « mon temps n’est pas encore venu » (Jean 7,8); « je ne suis pas encore remonté vers mon Père » (Jean 20,17).
Ce qui nous est donné de contempler, c’est donc cet apprentissage du Fils de Dieu : il voit derrière chaque évènement l’indication de la volonté paternelle et il se laisse ainsi pétrir peu à peu, comprenant toujours mieux, dans son intelligence d’homme, à quelle fin le Père veut le conduire. Bien sûr, tout cela, il l’a accepté en bloc dans son Incarnation : « me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté » (Hébreux 10,9). Mais il reste à le détailler jour après jour, bientôt pas par pas.
Dans la huitième station du chemin de Croix, nous méditons sur cette phrase inouïe du Christ écrasé sous le poids de l’instrument du supplice : « si l’on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du sec ? ». On traite ! Il ne dit pas « Pilate », il ne dit pas « Satan » il ne dit même pas « le Père ». C’est “on”, l’impersonnel ! A ce point extrême, la souffrance ne lui parvient plus qu’ainsi, comme ce qui n’a même plus de raison, ce qu‘il faut franchir avec les forces qui restent avant de s’abandonner et de dire un ultime fiat ! Il a appris beaucoup, notre Seigneur, sur ce chemin et il a fait de cet extrême le prix de notre salut.
Mais aussi notre instruction.