Trois regards pour un seul évènement
A mesure que nous nous approchons de la fin de l’année liturgique, l’évocation des « fins dernières » se fait plus précise. A vrai dire, la pensée des derniers temps est partout présente dans les évangiles. Dès le début de son enseignement Jésus nous a dit : « le temps sont accomplis et le Royaume de Dieu est tout proche » (Marc 1,14). Mais aujourd’hui nous sommes au cœur de ce qu’on appelle le « discours eschatologique » qui arrive juste avant le récit de la Passion, chez saint Marc comme chez les deux autres « synoptiques » (Matthieu et Luc), et qui nous décrit en termes dramatiques l’évènement final qui marquera le retour du Christ.
Il est intéressant de comparer les trois lectures qui nous sont proposées pour ce dimanche et qui toutes les trois évoquent la même vérité, mais en des termes très différents. Commençons par le passage l’Epitre aux Hébreux qui est le plus sobre. Tout y est : le sacrifice du Christ sur l’autel de la croix, son Ascension, son intronisation à la droite du Père. Et désormais « il attend que ses ennemis soient mis sous ses pieds ». C’est tout. S’il y a eu un combat, nous n’en voyons que le résultat (les ennemis sous ses pieds, c.a.d. vaincus). Pas d’allusion directe à un « retour du Christ », car tout est vu du point de vue de Dieu. Tout cela se passe avec une souveraine maîtrise : « il a mené pour toujours à la perfection ceux qu’il sanctifie ». Le projet salvifique de Dieu est réalisé.
Par contre, l’évangile nous laisse entrevoir une scène très agitée : « le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté. Les étoiles tomberont du ciel et les puissances célestes seront ébranlées ». Il s’agit donc d’un bouleversement cosmique qui fera suite à un temps de « grande détresse » qui a d’abord frappé Jérusalem et le peuple élu. Ce sera un paroxysme de violence qui touchera non plus seulement la société, mais aussi les éléments de la nature. Et c’est dans ce décor que survient le Christ lui-même qui « vient dans les nuées avec grande puissance et avec gloire ». Le jugement est à peine évoqué, mais il est présent avec la mention des anges qui sont envoyés par lui pour « rassembler les élus des quatre coins du monde ». Rien n’est dit des damnés. On voit combien l’approche du mystère est différente entre les deux textes. Pourtant c’est bien la même certitude qui sous-tend les deux : l’histoire aura un terme et Dieu vaincra définitivement le mal grâce au sacrifice de son Fils. Mais le passage de la lettre aux Hébreux nous donne une épure, là où l’évangile nous place au cœur du drame, dans ce passage à la limite qui s’opérera à la fin, ce bouleversement complet des données actuelles, aboutissant à une transformation complète qui touchera le cosmos lui-même. Ce renouvellement, cette « crise » au sens étymologique du mot, se dit aussi jugement, jugement des âmes, mais également jugement de toute la réalité créée qui a été éclaboussée par le péché des anges et des hommes.
Reste à dire un mot du premier texte, celui du prophète Daniel, qui fait intervenir le monde angélique (présent aussi dans le passage d’évangile, où on voit les anges chargés du rassemblement des élus). Le rôle de saint Michel y est plus actif encore, il est le soutien du Peuple fidèle (comme on le voit dans l’Apocalypse 12,7-8, où il figure en combattant, chassant sur terre Satan et ses anges). Cet autre regard complète le tableau et montre que dans la « récapitulation » qui s’opèrera autour du Christ sauveur, toute la création matérielle, humaine et angélique est concernée, chacun y a sa place et participe à l’éclaircissement final.