Vous avez tué le Prince de la vie
Depuis le Jardin d’Eden, les hommes sont coutumiers du fait : ils ont coupé les ponts avec le Dieu de vie et on voit ce qui leur est arrivé : « de mort tu mourras ». La vie est don, elle est jaillissement, elle renverse la loi de dégradation qui gouverne toute chose. C’est une erreur totale de voir la naissance et la mort comme les deux bouts d’un même processus, comme le lever et le coucher du soleil, ou encore d’entrer et de sortir d’une pièce. La vie est le surgissement de quelque chose de radicalement neuf, une explosion des possibles, un développement imprévu dans tous les sens. Par contre la mort est chute dans une autre logique, celle de l’ « entropie », comme disent les gens savants : l’énergie se dégrade peu à peu en chaleur, l’ordre se disperse en un système désorganisé. Donc la vie n’engendre pas la mort : c’est quand on cesse de naître qu’on commence à mourir. Le Fils éternel naît éternellement du sein du Père, c’est pourquoi il est le Prince de la Vie. Nous aussi, nous aurions pu recevoir chaque jour la vie comme don, et nous ne serions pas morts. Comme l’enfant prodigue qui, tant qu’il est dans la maison de son Père, vivant dans l’indivision avec lui, a tout ce qui lui faut, mais qui, quand il s’éloigne et n’a plus que sa part d’héritage à lui, connait le manque et la faim.
Mais Dieu ne se résigne pas à cette situation, c’est pourquoi il nous a envoyé son Fils. Et celui-ci est venu chez nous pour nous partager sa vie. Nous, nous n’avons rien eu de plus pressé que de l’amener dans les parages de la mort. Ou plutôt c’est le Diable qui nous a suggéré de lui faire sentir, à force de souffrances, ce point où Dieu semble infiniment loin et où nous sommes abandonnés à nous-mêmes. Mais ça n’a pas réussi : même dans l’extrême de la souffrance, Jésus a clamé que sa vie n’était pas sa vie, mais celle que le Père lui avait remise, il ne s’est pas accroché à ce qui en restait, mais il l’a déposée entre ses mains paternelles. Voilà bien la raison pour laquelle : « la mort n’a plus de pouvoir sur lui » (Romains 6,9). Il est donc doublement le « Prince de la vie » : par son existence de Fils dans la Trinité et par sa Résurrection.
Si nous attendons la « Vie éternelle » (qui n’est pas réservée à l’autre monde !), c’est que nous avons bien compris qu’avoir la vie, c’est la recevoir et la donner. Il y a donc à nous approcher de la source et boire largement, pour ensuite rendre grâce à celui qui nous la donne, et c’est aussi accepter dans certains cas de nous en dessaisir pour la lui offrir, car Il aura une manière à lui de nous rendre bien plus : « qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Marc 8,35). Mais c’est aussi la partager largement (avec notre prochain le plus proche, mais aussi avec le pauvre, le mal-fichu, le gêneur, l’adversaire etc…). Rien à faire, sans cela nous perdrons tout. En arrêtant à nous la générosité divine, nous nous extrayons de ce courant de circulation et ce qui nous reste alors n’est pas grand-chose.
Aujourd’hui, avec Pâques, nous renaissons, n’ayons plus de complicité avec la mort !