Avons-nous des mérites ?
Saint Paul nous dit, dans l’épître de ce dimanche : « alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions.… ». La découverte extasiée qu’a faite l’Apôtre sur le chemin de Damas, c’est que, violent et incrédule comme il était, Jésus lui ait révélé son visage et lui ait confié une mission prodigieuse. Est-il possible que Dieu nous aime à ce point, alors que nous n’avons rien d’aimable ? Est-il pensable que son Fils meure pour nous, alors que nous l’avons crucifié par nos péchés ?
L’incroyable générosité du cœur de Dieu a de quoi nous stupéfier et on comprend que Martin Luther ait mis cette dissymétrie au cœur de sa pensée : on n’achète pas Dieu par nos bonnes œuvres, nous n’avons rien à lui offrir que nos péchés, tout est gratuit. Ni la morale ni le culte ne qualifient l’homme pour être le partenaire de Dieu, non seulement à égalité, mais même dans une certaine réciprocité. Non, décidément, ce n’est qu’en reconnaissant notre néant et en nous accrochant par la foi à la grâce du Christ que nous pouvons espérer le salut….
Ceci est vrai, mais nous laisse quand même dans une certaine insatisfaction, car, si Dieu ne voit que péché dans le comportement de l’homme, pourquoi prend-t-il tant de peine à nous avertir de ce qui est mal, à nous donner ses commandements, à nous soutenir dans notre effort vers lui ? Pourquoi dit-il à son peuple qu’il nous jugera sur ses actes, non seulement dans l’Ancien Testament, mais encore dans le Nouveau (Romains 2,6 ; 1 Pierre 1,17) ?
Pour tâcher de comprendre, continuons à lire le texte de l’Epître de ce dimanche : « si nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils alors que nous étions ses ennemis, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, serons-nous sauvés en ayant part à sa vie ». A plus forte raison ! Dieu nous a aimés quand nous étions sans mérite aucun, d’accord, mais maintenant (maintenant que nous sommes devenus ses disciples, maintenant que nous sommes entrés dans une alliance d’amour et de confiance avec lui), il trouve en nous quelque chose qui lui ressemble d’avantage et c’est comme cela que nous pourrons être sauvés. L’amour est toujours aussi gratuit, aussi dissymétrique, car les efforts que nous faisons grâce à lui sont dérisoires par rapport au but poursuivi, mais il lui plaît d’y trouver quelque chose de beau, car l’amour est visionnaire et il devine ce qui se cache derrière des balbutiements.
Le Concile de Trente nous enseigne que le « mérite » est constitutivement l’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme. Paul nous le dit encore à sa façon : « c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été vaine; loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi pourtant, mais la grâce de Dieu avec moi » (1 Corinthiens 15,10).
Quand Jésus nous parle de la joie qu’il y aura au ciel pour un seul pécheur qui se convertit (Luc 15,7), il nous laisse entrevoir autre chose que la satisfaction de l’artisan qui contemple son œuvre achevée. Ce sera quelque chose de plus, l’imprévu qu’aura apporté la liberté humaine, si elle s’est laissée conduire par la grâce, jusqu’aux portes du ciel !