Église locale, Église universelle
Saint Paul le dit clairement : « (je m’adresse) à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre ». L’Eglise est indissolublement la communauté concrète réunie en un lieu particulier et le peuple beaucoup plus vaste de tous ceux qui professent la même foi et reçoivent les mêmes sacrements. La traduction liturgique que nous avions précédemment était plus discutable : « à vous qui êtes, à Corinthe, l’Eglise de Dieu ».
On a beaucoup parlé, au moment du Concile Vatican II, de ce que l’on a appelé une « ecclésiologie de communion », c.a.d. une conception de l’Eglise qui n’est pas d’abord une multinationale répandue dans les différents pays du globe, mais un peuple concret réuni autour de l’eucharistie, avec son clergé et ses fidèles. Sans doute ce rééquilibrage était-il nécessaire. Quand Jésus, à propos de la correction fraternelle, recommande : « si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul ; s’il t’écoute, tu auras gagné ton frère ; s’il n’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres ; s’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise », l’Eglise dont il s’agit ici est évidemment la réalité locale, ce que nous appellerions aujourd’hui la paroisse ou la communauté. C’est là que se veut d’abord la prière et la charité.
Mais on ne peut pas s’en tenir là. L’autre cas où le Seigneur emploie le terme ˝Eglise˝ est le passage bien connu où il confie les clés à Pierre : « moi je te dis : ˝Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle˝ » (Matthieu 16,18). Comme chez saint Paul, on voit bien que l’Eglise a une autre dimension, qu’elle embrasse tous les lieux et tous les temps, là au moins au le nom du Christ est invoqué. L’Eglise déborde même les limites du présent, puisqu’elle inclue tous ceux qui sont passés sur terre et qui lui ont appartenu d’une façon ou d’une autre, c’est ce que nous appelons l’Eglise triomphante (les saints du Ciel) et l’Eglise souffrante (les âmes du Purgatoire).
Il faut sans doute aussi aller plus loin et, entre l’Eglise locale et l’Eglise invisible qui traverse le temps et l’espace, faire une place à cette réalité qui est à la fois mystique et visible : l’Eglise catholique dans son chemin au fil de l’histoire. La Constitution Lumen Gentium § 8 du dernier Concile nous dit à propos d’elle, « société constituée et organisée en ce monde », qu’en elle subsiste la réalité plénière de l’Eglise, c.a.d. qu’elle est là, présente et suffisamment reconnaissable pour ceux qui veulent bien voir.
Rude responsabilité pour nous ! Oui, l’Eglise, c’est nous, même si nous ne sommes pas toute l’Eglise. En chaque point, cette humble réalisation porte la lumière du Christ, elle en est comme l’épiphanie en un lieu et en un temps donnés. C’est pourquoi la liturgie constitue son centre : lorsqu’elle s’efface pour laisser percevoir la grandeur de Dieu, quand elle déploie tous ses soins pour correspondre au Don qu’elle a reçu, dans la fidélité aux règles qui lui sont fixées, elle peut espérer faire deviner quelque chose du Mystère du Christ. Et c’est là, de fait, que beaucoup le reconnaîtront.
Michel GITTON