Adorer et communier
Il n’y a pas si longtemps, un religieux très estimable s’interrogeait sur la pratique des processions du Saint Sacrement qui sont en train de renaître un peu partout en France et il cherchait à la justifier en nous expliquant que c‘était une façon de reconnaître l’amour fidèle de Jésus qui, pour nous, se lie durablement à la réalité du pain. Sans doute est-ce vrai, mais je doute fort que beaucoup de croyants qui accourent au-devant de Jésus dans l’hostie fassent ce raisonnement. Pour eux, les choses sont beaucoup plus simples : Il est là et ils viennent à Lui ! L’amour suscite le désir de voir l’être aimé, de s’approcher le plus possible de lui. Ce qui fait le prix inestimable de l’adoration, c’est qu’elle nous donne non pas une idée de Dieu, une manière de nous le représenter, mais Dieu lui-même, caché certes et ô combien ! mais là, donné, exposé, présent pour nous.
Cette immédiateté correspond exactement à l’intention du Seigneur qui, en donnant son corps, se donne lui-même. C’est le saint pape Jean-Paul II qui parle de la « signification nuptiale » du corps. Dans la droiture d’un amour partagé entre deux époux, le corps n’est pas une chose, il est la personne de l’autre entant qu’elle se donne. Tous les autres dons que nous pouvons faire restent extérieurs : une fois donnés ils deviennent la propriété de celui qui le reçoit, ils ne sont plus qu’un souvenir du don qui a été fait, souvenir qui s’efface d’ailleurs à mesure que la possession en rend l’usage habituel. Jésus a voulu se donner de la manière la plus forte, c’est ce qui fait l’audace de sa formule : « ceci est mon corps ». En changeant le pain en son corps et en nous le donnant à manger, il assure au don qu’il fait de lui-même sa totale réalisation : il est pour nous donné, livré.
Mais certains diront : « d’accord, mais c’est ce qui se réalise dans la communion : Jésus se donne, dans l’instant où le recevons comme nourriture. Il a dit prenez (en fait : recevez) et mangez, il n’a pas dit venez et regardez ». Remarque intéressante qui peut nous aider à aller plus loin. Qu’est-ce qui fait que le don nuptial est vraiment un don de personne à personne ? C’est qu’antérieurement à la rencontre des corps, il y a eu une connaissance mutuelle, une complaisance, une admiration, un échange de paroles, bref une communion des cœurs. Or, c’est cela que nous offre l’adoration du Corps eucharistique de Jésus. En le voyant (même caché), nous pouvons nous remémorer tout ce qu’il est, ce qu’il a vécu, ce qu’il nous a déjà montré de lui-même, nous pouvons lui parler de nous, de lui, des autres, nous pouvons faire silence devant lui et lui laisser nous dire dans le secret des mots très doux… Si bien que quand la communion arrivera (tout de suite ou plus tard), elle ne sera pas la consommation d’une substance indéfinissable dont on nous dit qu’elle est le corps du Christ, mais une vraie rencontre, un don de nous répondant à son Don à Lui.
Des amoureux m’avaient confié un jour qu’il y avait pour eux deux places qu’ils affectionnaient particulièrement quand ils étaient invités à table : l’une tout proche l’un de l’autre, où ils sentaient la présence, la respiration de l’aimé(e), l’autre plutôt en face, où ils s’extasiaient devant le visage, les gestes, les paroles, et tout ce qu’ils devinaient à travers cela.
Ce deuxième positionnement est pour nous celui de l’adoration préparant et réservant le moment de l’union totale, dans la communion.
Bonne fête du Très Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur Jésus !