Quelle image de Dieu nous faisons-nous ?
Les psaumes nous le disent déjà : « qu’ils deviennent comme elles (les idoles) ceux qui les font ». A force d’encenser les idoles, on finit par leur ressembler. Si celles-ci sont en pierre ou en bois, on se retrouvera avec un cœur de pierre et une tête de bois ! Et Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui enfonce le clou en nous rapportant la réponse que le malheureux débiteur a faite à son maître qui lui demandait des comptes de sa gestion : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. ». Le pauvre ! Il se défend en attaquant, comme nous faisons tous. Il révèle ainsi la triste idée qu’il se fait de son maître. Triste et injuste sans doute. Mais celui-ci ne s’en défend pas. Il lui montre le mauvais calcul qu’il a fait. Ce maître qu’il a cru dur va l’être pour de bon, à son endroit….
Il y a des images qui font mal. Combien de gens sont prisonniers d’une caricature de Dieu ! Combien de fois avons-nous, nous-mêmes, répété : « qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu, pour qu’il me traite comme cela ? ». Sans compter ces images d’un vieillard barbu qui gouverne le monde en dépit du bon sens. Les desseins de Jean Effel sur la création nous ont tous fait rire, mais Dieu n’en sort pas vraiment grandi. L’Islam n’est pas en reste sur le sujet. L’indifférence de Dieu qu’on lui prête devant la souffrance humaine, quand ce n’est pas la vengeance sadique qu’il exerce sur ses ennemis, ne lui fait guère honneur. Ces images ridicules ou effrayantes ne sont pas pour rien dans l’effacement de Dieu dans la conscience des hommes de notre temps. Mais elles alimentent aussi la révolte et le défi que beaucoup lui opposent.
Un seul est l’« icône du Dieu invisible » (Colossiens 1,15) : dans sa venue parmi nous, dans ses paroles et ses gestes, dans sa Passion surtout, il pulvérise les images idolâtriques sur Dieu. Mais attention ! Ne reproduisons pas sur lui la même tendance à le tailler à notre mesure. Demandons au Saint Esprit de nous ouvrir à son mystère. Certes « personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Matthieu 11,21), mais n’oublions pas la réciproque : « personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père ». Pour nous représenter Jésus, il faut autre chose que les fades images qu’on nous offre souvent d’un beau gosse au sourire engageant. On a pu dire que la platitude de l’art Saint Sulpicien du 19e siècle avait fait plus pour éloigner de la foi que l’ironie de Voltaire. Je n’en sais rien, mais le danger existe.
C’est dans la prière que nous pourrons accueillir le paradoxe de l’Homme-Dieu, si fort et si majestueux par certains côtés et en même temps si humble et si désarmé. Ce n’est qu’au creux de ce qui peut paraître contradictoire que nous pouvons peut-être nous approcher, à la fin, de l’indicible…