Radieuse Toussaint
La fête de la Toussaint comporte chaque année les mêmes lectures, qui sont prodigieuses : la vision du grand rassemblement des élus autour du trône de l’Agneau (Apocalypse 7), la promesse que nous verrons un jour le Fils de Dieu « tel qu’il est » et que, ce jour-là, nous lui serons « semblables » (1re de Jean, chapitre 3,1-3), et bien sûr l’évangile des Béatitudes en saint Matthieu (début du chapitre 5).
Arrêtons-nous, si vous le voulez bien, sur la première de ces lectures. Elle est malheureusement amputée de la liste des tribus d’Israël, laquelle aurait l’avantage de nous faire saisir le rapport organique qui rattache l’Eglise au premier Peuple de Dieu, mais passons… Le texte d’aujourd’hui ne se situe pas du tout au terme du déroulement des évènements que raconte l’Apocalypse, il ne s’agit pas de la victoire finale que saint Jean campe dans ses derniers chapitres (21 et 22), avec la description de la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel. Nous sommes ici en plein cœur des évènements de l’histoire, mais, par un procédé fréquent dans ce genre de textes, on nous donne un aperçu de ce qui se passe au ciel, pendant que le combat continue sur terre. Il s’agit de nous montrer l’envers du décor en quelque sorte : ici-bas un bain de sang, d’atroces souffrances supportées courageusement par les martyrs, mais pendant ce temps-là, au ciel, la joie et le triomphe de ceux qui ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau.
L’Apocalypse est un des livres les plus clairs de toute la Bible sur le temps « intermédiaire » qui sépare la Passion, la Résurrection et l’Ascension du Christ d’une part et, de l’autre, la Parousie et le retour du Seigneur. Jean (Apocalypse 6,9-10) voit sous l’autel qui est dressé devant Dieu « les âmes de ceux qui furent égorgés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu », et que font-ils, ces martyrs ? Ils crient d’une voix puissante: « jusques à quand, Maître saint et vrai, tarderas-tu à faire justice, à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la terre? ». Ils voudraient voir arriver la fin de l’histoire, le grand éclaircissement final. Mais il leur est demandé d’attendre : on leur donne à chacun une robe blanche (celle qui est mentionnée dans notre texte de ce jour) en leur disant de patienter encore un peu, « le temps que fussent au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux ». Donc l’histoire va encore durer jusqu’à ce que soit complet le nombre des élus, on ne se mettra pas à table avant que le dernier invité soit arrivé…
Voilà qui est important pour comprendre le sens de la prière pour nos défunts. Si la Résurrection finale survenait dès la mort de chacun de nous, nul besoin de prier pour ceux qui sont partis, tout serait réglé dans l’instant même de leur mort. Mais non, comme les martyrs dont parle saint Jean, il y a une attente. Bien sûr, ceux qui ont choisi le Christ et lui ont donné leur vie, connaissent déjà le bonheur du ciel, ils sont en robe blanche et acclament à tue-tête l’Agneau. Mais il leur manque encore toute la dimension corporelle de leur être et la joie de voir l’histoire enfin clarifiée par la victoire de Dieu sur le mal. Pour les défunts qui sont encore en phase de purification, ce temps n’est pas non plus un temps perdu, c’est celui où la vue de l’Agneau qu’ils n’ont pas assez aimé ni servi sur cette terre les brûle intérieurement, car ils comprennent enfin quel manque de goût, quelle coupable négligence leur ont fait manquer si longtemps le rendez-vous salutaire avec Lui.
« Oui, le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le trône et par l’Agneau ! »