
Pourquoi tout cela ?
Vatican II recommande la « simplicité » de l’Église ancienne, mais pas la misère. En voulant simplifier, on a souvent banalisé, rendu ternes et insipides nos célébrations. Le soin apporté au service de Dieu dans la liturgie est une marque d’amour, elle n’est pas la seule possible, mais elle compte pour lui, comme le parfum versé sur ses pieds par Marie. Le dénuement, le manque de soin vient souvent de notre paresse.
Il ne manque pas de catholiques pour trouver que l’on en fait trop, et que, décidément, le « Bon Dieu n’en demande pas tant ». La simplicité de la crèche, le pain et le vin choisis comme matière de l’eucharistie, la nudité de Jésus en croix, tout cela ne nous dit-il pas que le culte doit rester dépouillé et que Dieu n’a que faire de nos falbalas ?
Pas de doute : le Christ, pour ce qui est de lui, n’a besoin de rien et la vie au sein de la Trinité lui suffit largement, mais, depuis qu’il a noué des contacts avec nous, il a pris le parti de s’intéresser à notre psychologie et il tient terriblement compte de notre marche lente et cahotante. Il sait bien que ses trésors les plus précieux risquent de finir dans le ruisseau, s’il ne nous apprend pas à les recevoir dans l’action de grâce, l’obéissance du cœur, le respect. Car le respect grandit l’homme, en lui permettant de sortir de lui-même, et, au lieu de s’avancer en pays conquis dans les terres où Dieu lui fixe rendez-vous, il perçoit l’appel du Seigneur qui lui dit : « quitte tes sandales, la terre que tu foules est sainte », comme Moïse au Mont Sinaï avant la grande révélation du Nom divin. Toute notre liturgie est là : apprentissage concret, c’est-à-dire avec notre corps, du chemin vers Dieu, réponse à une initiative qui nous précède et nous indique une norme, qui est dépouillement de nos manières spontanées de parler et d’agir et école de la gratuité.
L’offrande de Marie et de Joseph, pour le rachat de celui qui est officiellement leur fils premier-né, consiste en un « couple de tourterelles ». La Loi prévoyait dans ce cas l’offrande d’un mouton, mais pour les pauvres cette offrande pouvait être convertie en celle de deux petits oiseaux. Si le don est pauvre, il n’en est pas moins offert selon toutes les prescriptions du rituel ; par trois fois on nous explique que les parents de Jésus procédèrent « selon la Loi de Moïse ». Et c’est là ce qui donne son prix au sacrifice : l’observance rigoureuse des règles fixées par l’Écriture et la tradition orale d’Israël assure à ce geste sa valeur d’obéissance, elle en fait une réponse aimante au don de Dieu. Le soin mis à bien respecter chaque détail porte la marque d’un cœur aimant et fidèle.
Nos moyens pour honorer le Seigneur seront toujours pauvres. Nous n’aurons pas à notre disposition les chœurs de la Chapelle Sixtine, nos sacristies disposent rarement de pièces d’orfèvrerie de très grande valeur, nos moyens techniques laissent souvent à désirer. Mais nous pouvons mettre tout notre soin à utiliser ce que nous avons pour répondre le mieux possible aux indications de la liturgie de l’Église. Les pauvres, les vrais, savent souvent mieux recevoir que des gens plus aisés, ils se ruinent pour mettre sur la table ce qu’il y a de meilleur. Nous trouvons parfois cette prodigalité, qui rappelle Marie-Madeleine versant du parfum sur les pieds du Seigneur, chez des chrétiens des églises martyres qui ont traversé la persécution et qui savent reconstituer, avec un soin amoureux, même dans un baraquement, tout le décorum de la fête liturgique.
L’idée qu’on honorerait l’abaissement du Christ en laissant sans soin sa maison est des plus bizarres. Ce n’est pas parce qu’il a affronté pour moi le froid que je dois le laisser dehors ! A la mesure même où je suis touché par sa démarche d’humilité, je m’efforce d’y répondre en l’entourant de tout mon zèle pour les mille détails du culte, ce qui ne me dispense pas, évidemment, de veiller en même temps sur mes frères qui sont à la porte.
Encore une fois, il ne s’agit pas de « faire riche » ou « pompeux », il s’agit d’attention, de propreté, d’ordre, d’effort pour comprendre les règles et les appliquer. Et ceci commencera par quelques signes : marquer des degrés entre l’ordinaire et les fêtes plus ou moins carillonnées, s’efforcer de solliciter des concours pour que la demeure du Grand Roi soit toujours ornée, veiller à ce qu’il y ait des servants à toutes les messes, se battre pour que l’espace sacré ne soit pas banalisé etc…
Au ciel ce sera certainement beaucoup plus beau, mais, en attendant, donnons tout notre soin à la Maison de Dieu, pour ne pas nous attirer les reproches du Prophète : « c’est donc pour vous le moment de rester dans vos maisons confortables, quand la Maison de Dieu est dévastée? » (Aggée 1,4).