Prêtres à la manière des Apôtres
« Ravive le don gratuit de Dieu, ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains ». Ainsi s’exprime saint Paul rappelant à Timothée son fils spirituel l’ordination qui a fait de lui le ministre du Seigneur.
Aujourd’hui, la question sur l’identité du prêtre est partout posée. Mais, en fait, elle n’a pas cessé de l’être. En 1914, les curés étaient partis au front « sac au dos » et avaient connu avec les hommes de leur génération une camaraderie insoupçonnée jusque-là. Dès les années 30 du XXe siècle, on commençait à prendre acte de la fin d’une chrétienté et on sommait les ecclésiastiques de sortir de leurs sacristies et de leurs presbytères pour partager la vie des hommes de leur temps. L’aura sacrée dont on les avait enveloppés pendant les derniers siècles ne semblait plus compatible avec la mission d’apôtres qu’ils avaient à exercer dans la société moderne. Et aujourd’hui, les faiblesses du clergé étant mises à nu, des voix toujours plus insistantes demandent qu’on renonce à n’ordonner que des célibataires pour le ministère sacerdotal, au motif que ce serait cette exigence d’un autre âge qui entretiendrait des situations malsaines et qui détournerait beaucoup de jeunes du désir de servir l’Église.
La nécessité de répondre à frais nouveaux aux besoins d’aujourd’hui s’impose, mais on est en pleine contradiction si on croit que le remède au cléricalisme de jadis réside dans une sécularisation plus grande du clergé. « Prêtres à la manière des apôtres » ? Bien sûr ! Et pour cela il faut sans doute aller plus loin encore qu’on ne le croit : dans les rues et sur tous les forums où se joue la vie des hommes et des femmes de notre temps. Il ne s’agit pas d’encourager le repli frileux sur une société sympathique en voie de disparition, où le prêtre se sent reçu et apprécié, au milieu d’activités de pur entretien et d’une bureaucratie envahissante. Attendre que les gens viennent nous voir et se désoler du vide qui se creuse est une attitude insupportable. Les saints ont réagi à leur façon devant le désert qui s’ouvrait parfois devant eux. Jean Marie Vianney a commencé par se donner la discipline jusqu’au sang et prier des nuits entières dans son église vide ; saint François de Salles s’est ingénié à trouver mille ruses pour pénétrer dans les intérieurs les plus fermés et pouvoir parler de sa foi avec n’importe qui. La réponse pour aujourd’hui n’est pas dans la reconduction d’un modèle ancien, mais pas d’avantage dans la confusion avec le « monde ».
Les apôtres ne disposaient ni de presbytères confortables ni de sacristies flambant neuves, mais ils avaient fait un choix de vie radical pour suivre le Seigneur. C’est ce choix qui constitue l’essentiel de l’engagement sacerdotal pour répondre au don de Dieu qui veut passer par les mots et les gestes d’un pauvre homme pour nous donner sa vie. Le célibat choisi par amour du Christ et fidèlement tenu en a toujours été la marque la plus claire de cet engagement. Les Eglises qui ont admis un clergé marié étaient dans l’ensemble des Eglises établies où le prêtre était surtout là pour entretenir une population stable grâce au culte et aux sacrements de la vie chrétienne, tandis que c’était les moines qui exerçaient la direction spirituelle et que c’était eux encore qui évangélisaient des populations non encore touchées par l’annonce de la foi. C’est l’honneur du clergé latin d’avoir voulu maintenir les deux ensemble.
Cette audace a produit tant de fruits de sainteté qu’on n’a pas tellement envie de revenir en arrière.