Il a détruit la haine
On tremble un peu quand on entend saint Paul nous expliquer que le Christ a fait disparaître entre juifs et païens le mur de la haine qui les séparait : « des deux, le Juif et le païen, il a fait une seule réalité ; par sa chair crucifiée, il a détruit ce qui les séparait, le mur de la haine ; il a supprimé les prescriptions juridiques de la loi de Moïse ». Hélas ! La haine n’a pas cessé et, au fil des siècles, les juifs en ont subi, plus qu’à leur tour, les conséquences.
La réconciliation, l’Apôtre l’a vue à l’œuvre (non sans peine) dans les communautés chrétiennes qu’il avait fondées et qui rassemblaient sur un pied d’égalité des convertis venus du paganisme et du judaïsme. Ensuite, à côté de la Grande Eglise de langue grecque ou latine, a existé une Eglise judéo-chrétienne qui perpétuait les usages du judaïsme, tout en croyant au Christ Fils de Dieu. L’Eglise avait encore conscience à ce moment-là d’être le confluent de deux peuples, comme le rappelle une mosaïque de Saint Sabine à Rome : « l’Eglise des Nations » et « l’Eglise de la Circoncision ».
Il serait trop long de chercher les raisons historiques pour lesquelles ce modèle n’a pas survécu très longtemps (jusqu’à aujourd’hui où se dessine quand même une petite communauté chrétienne de langue et de culture hébraïque). En tout cas, si tant de juifs convertis au Christ n’ont pas eu d’autre alternative que de rejoindre la masse des chrétiens « des nations », c’est que du côté de ceux-ci l’appartenance charnelle à la descendance d’Abraham était jugée secondaire, voire néfaste. De part et d’autre, c.a.d. aussi bien du côté des chrétiens que de celui des juifs ayant refusé le Christ, on s’était installé dans une séparation de plus en plus nette entre deux religions incompatibles l’une avec l’autre.
Ce n’est certainement pas cela que voulait saint Paul, lui qui n’a jamais répudié son appartenance à la religion de ses pères, lui qui continuait de respecter le calendrier des fêtes juives (Actes 20,16) et faisait vœu de nazir (Actes 18,18). Mais la synthèse qu’il vivait était-elle praticable, quand une part notable du peuple juif eut rejeté le christianisme et que la séparation s’était durcie ? C’est pourquoi son espérance s’est tournée de plus en plus vers l’avenir : « En effet, je vous le dis, à vous, chrétiens nés dans le paganisme: je suis bien l’apôtre des païens et j’honore mon ministère, mais c’est avec l’espoir d’exciter la jalousie de ceux de mon sang, et d’en sauver quelques-uns. Car, si leur mise à l’écart fut une réconciliation pour le monde, que sera leur réintégration, sinon une résurrection d’entre les morts? » (Romains 11,13-15).
Mais, quelles que soient les péripéties des relations entre juifs et chrétiens au cours de l’histoire, ce que saint Paul nous dit, c’est que la Croix du Christ est la source de toute réconciliation en profondeur. En devenant lui-même sur la Calvaire « maudit » comme un non juif (Galates 3,13), lui le fils d’Israël par excellence, il a franchi la barrière la plus forte qui soit, puisque fondée sur la Loi de Dieu, il s’est mis en quelque sorte des deux côtés de la frontière, il a uni dans sa chair torturée tous les extrêmes, il a pris sur lui les coups portés des deux côtés. A nous de puiser à cette source, et de faire grandir cette unité paradoxale, comme l’ont fait d’autres avant nous, qui sont morts pour ramener dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.