Si le grain de blé ne meurt….
Merveilleux saint Jean ! Lui qui, à la différence des autres évangélistes, ne nous donne pas le tableau complet des paraboles du Christ nous offre ici une parole de Jésus qui est la clef de toutes les paraboles de la germination. Nous découvrons que Jésus n’est pas seulement le semeur audacieux qui lance du grain dans toutes les directions, il est le grain !
D’ailleurs, lisons bien l’explication qu’il donne lui-même de la parabole du semeur : « le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur » (Matthieu 13,19). Semé dans son cœur ! Ce n’est pas seulement un enseignement qui peut être ainsi semé dans le cœur du disciple, ce n’est pas une parole verbale, mais la Parole elle-même, c’est le Verbe ! Voilà qui confère à ce texte toute son ampleur. Au lieu de la lecture moralisante que l’on en fait généralement (suis-je ou non de la bonne terre ?), nous voyons que notre vie spirituelle est la croissance d’un germe divin que Dieu a déposé dans nos cœurs, et ce germe, c’est la présence cachée de Jésus en nous, qui grandit avec nous : « le Royaume de Dieu est en vous » (Luc 17, 21 : on traduit généralement : « au milieu »).
D’ailleurs saint Pierre nous dit de son côté : « vous faites bien de fixer votre attention sur la parole prophétique, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs » (2 Pierre 1,19). Qu’est-ce qui peut bien se lever ainsi dans nos cœurs, annoncé par les prophètes, mais distinct d’eux ? La Parole par excellence, Jésus ? C’est probable.
Mais la phrase rapportée par saint Jean ne dit pas seulement la présence de la semence dans le terreau que nous formons, mais aussi sa mort. De quelle mort s’agit-il ? Car, après tout, le grain ne meurt pas à proprement parler, il se fond avec l’humus ambiant et en reçoit les cellules qui lui permettent de grandir et de devenir une plante à part entière. Si le texte sacré parle de mort, c’est que le grain perd la forme qui était la sienne et qui l’individualisait au milieu des autres réalités de la nature, exactement comme la mort de l’homme qui met fin à son existence individuelle sur terre. Et en ce sens, c’est bien ce qui est arrivé sur la Croix : jusque-là Jésus était un homme au milieu des autres hommes, il menait sa vie et soudain… une autre réalité commence qui n’est plus enfermée dans le même cadre. Car c’est à partir de la Croix (et déjà secrètement au moment de la Cène) que son expérience personnelle peut déborder au-delà de ses limites et atteindre toute humanité. Par le mystère pascal, la sainte humanité du Christ est entrée comme en fusion, elle est devenue communicable, elle excède ses contours de créature finie. C’est une mort en un certain sens, mais c’est une mort féconde.
Nous avons d’ailleurs l’expérience de ce passage dans la communion : c’est quand l’hostie disparait dans la forme qu’elle avait jusque-là, quand elle est absorbée et assimilée, que la vie divine se répand dans tout notre être (physique, psychologique et spirituel). Heureuse mort !