Le Lévitique : la morale et le culte
On est toujours surpris quand on apprend que le très célèbre commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même », non seulement n’est pas une invention du Nouveau Testament, mais en plus figure dans le livre de la Loi qu’on pourrait croire le plus limité aux règles tatillonnes de la pureté rituelle : le Lévitique !
Et c’est un fait qu’en plein milieu de la « Loi de sainteté » figure cette perle, logée entre des règles sur l’union conjugale, des prescriptions sur les sacrifices et l’énoncé des châtiments prévus pour les contrevenants. Il faudra peut-être se décider à abandonner une vision des choses qui a fait trop de mal et dans laquelle on se figure que le culte extérieur n’est qu’une enveloppe encore grossière de la religion du cœur, laquelle, à un stade évolué, s’exprimerait surtout dans le comportement moral, le respect des autres, l’attention aux pauvres etc… C’est un contresens complet sur le sens que la Bible donne au culte qui n’est pas un résidu du paganisme dans la religion d’Israël, mais le lieu où s’exprime au maximum le lien d’alliance entre Israël et son Dieu.
Le plan d’un autre livre du Pentateuque, le livre l’Exode, est à ce titre exemplaire : comme l’a écrit jadis le P. Georges Auzou, c’est le passage de la servitude d’Egypte au service du vrai Dieu. Et ce service qui a incontestablement un côté moral (le Décalogue du chapitre 20) s’exprime surtout en institutions cultuelles : le sanctuaire, l’arche d’alliance, le sacerdoce, etc… On se demandera peut-être pourquoi. La réponse est dans l’épisode du Veau d’Or, qui intervient au milieu de cette dernière partie (au chapitre 32) : si on laisse le peuple Israël à lui-même, il est idolâtre. Une religion trop cérébrale, dans laquelle le lien avec Dieu est purement moral, ne remplit pas toute la vie, elle ne donne pas le sens de la fête, alors on va chercher ailleurs des substituts, et c’est la festivité païenne qui s’installe.
L’homme (et la femme !) est naturellement religieux. De l’arrière-fond de son histoire, il garde la nostalgie d’une communion avec Dieu qui mobiliserait tout son être, qui entraînerait toutes ses énergies dans le service de l’Unique. La sagesse de l’Eglise poursuivant la tradition du judaïsme a été de susciter une liturgie dont l’ampleur et la beauté raviraient les cœurs et nourriraient les intelligences. Il n’est pas du tout sûr que ceux qui vivent à plein cette aventure soient plus éloignés pour autant de l’attention aux règles morales. Car c’est finalement la même délicatesse, le même décentrement de soi qui se pratique dans le culte et qui mène à prendre soin de son prochain en difficulté.
Les exemples abondent dans la vie des saints qui ont pu être des amoureux de la liturgie de l’Église et qui ont tout aussi bien su visiter les bas-fonds de la société. Ce sont au contraire des esprits amers et chagrins qui ont accrédité l’idée que, pour servir les pauvres, il faudrait mettre Dieu sur la paille et remplacer les ciboires précieux par des bols en plastique. (Demandez aux pauvres : ce qu’ils aiment ce sont les statues bariolées des saints, les grandes orgues, l’encens et les lumières !)
Une leçon à ne pas laisser perdre !