Le publicain et le pharisien, une histoire inachevée
On ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il manque un épilogue à cette histoire bien connue qui met en scène deux personnages aux chemins si différents, mais que rapproche, pour un court moment, la prière sur les parvis du Temple de Jérusalem.
On a tout dit sur la suffisance du premier, qui étale complaisamment ses œuvres de piété, par opposition à la conscience vive du péché que manifeste le second, qui n’ose même pas regarder le ciel. Mais a-t-on assez remarqué la conclusion qui sonne comme l’expression du jugement de Dieu : l’un repart « justifié », l’autre non ? Pourtant rien n’a filtré des pensées divines et les intéressés ne semblent rien en savoir.
La nouvelle traduction liturgique s’éloigne à mon sens du sens littéral quand elle rend le texte : « il était devenu un homme juste », car après tout on n’en sait rien, rien ne dit que le publicain a changé de vie, qu’il a renoncé à son métier, ou, au moins, comme Zachée, qu’il a décidé de rembourser ses exactions. Ce moment de contrition aura-t-il été autre chose qu’un feu de paille ? On voit bien la différence avec l’épisode de Zachée, celle-ci réside toute entière dans le fait qu’il y a eu (dans ce second cas) une rencontre marquante avec Jésus et que c’est dans le dialogue avec celui-ci que s’est opérée la conversion du publicain, avec les fruits qu’on sait.
Quand on y réfléchit, on s’aperçoit qu’il y a un grand absent dans la scène du publicain et du pharisien, c’est Jésus lui-même, qu’on ne peut identifier avec aucun des deux personnages en présence. Pourrait-on risquer l’hypothèse que c’est le Christ et lui seul qui peut mener jusqu’au bout le chemin de ces deux êtres, incontestablement religieux tous les deux ? Car, après tout, le pharisien, malgré ses défauts, n’est pas si loin d’une attitude juste, il remercie Dieu de lui avoir donné le moyen de mener une vie digne et exigeante, il ne s’en attribue donc pas tout le mérite, ce qui n’est déjà pas si mal. Sans doute l’humble contrition du publicain touche davantage le cœur de Dieu (c’est en cela qu’il est « justifié », c.a.d. déclaré juste), mais il lui manque de passer à l’acte, c.a.d. de s’en remettre à la grâce et de demander la force d’un renoncement effectif.
Dieu a envoyé son Fils non pas pour juger le monde, mais pour le sauver. La parabole que nous lisons ce dimanche serait incomplète si on n’en tirait qu’un instantané, l’humilité d’un côté, l’orgueil de l’autre. La réalité de nos vies est plus complexe et Dieu sait admirablement conduire chacun malgré (et parfois avec) ses défauts, jusqu’aux plus hauts sommets de la vie spirituelle.