Autour de la miséricorde
Il faut se réjouir que la miséricorde soit revenue à l’ordre du jour. Le mot lui-même avait disparu de nos traductions liturgiques, il y est revenu (au moins en partie : dans le Magnificat, le chant de la Vierge Marie, « miséricorde » a reparu au v. 50, mais pas encore au v. 54 !). Dans la Bible la miséricorde désigne l’attitude de Dieu qui se penche sur sa créature humaine comme une mère sur son enfant souffrant. Elle ne s’agit pas tellement du pardon, mais plutôt de la sollicitude pour quelqu’un qui est en difficulté, quelles que soient ces difficultés (santé physique ou morale, menaces de l’extérieur etc…). C’est surtout avec les révélations de Sœur Faustine Kowalska (1905-1938) que la miséricorde a pris cette nuance d’intérêt pour le pécheur victime de sa faute, même s’il en est aussi responsable.
Mais il ne faut pas oublier que, chez elle, comme chez son père spirituel, le Bienheureux P. Michel Sopoćko, la miséricorde divine n’est jamais envisagée sans une tension avec la justice, comme on le trouve chez saint Anselme par exemple. Au Moyen-Age, le « mystère » qui mettait en scène la Passion du Christ commençait par un débat qui était sensé se dérouler au ciel et où on voyait Dieu le Père sollicité tour à tour par la Justice (qui lui rappelait les fautes des hommes) et par la Miséricorde (qui intercédait pour eux), la Rédemption était la conclusion de ce débat, puisque le Père, en livrant son Fils, satisfaisait à la fois la justice et la miséricorde. Sans cette « tension » entre les deux, la miséricorde divine n’est plus très compréhensible : elle devient une vague indulgence qui supporte tout et ne condamne jamais rien, l’inverse de ce que Jésus nous montre dans l’Evangile. Car, pour lui, les actes humains ont une conséquence réelle, l’ivraie sera brûlée, les vierges folles seront mises à la porte, l’invité qui n’a pas revêtu la tenue des noces sera « jeté dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Matthieu 22,3). Un christianisme qui méconnaîtrait la gravité du mal commis ne serait pas sérieux. Et, par contre coup, la miséricorde deviendrait une faiblesse.
Or elle ne l’est pas. Le propre de la miséricorde, c’est qu’elle ne s’adresse pas au péché, mais au pécheur : si elle voit en lui un coupable, elle voit aussi en lui une victime, la victime de son péché d’abord. Car celui-ci, loin de lui donner le bonheur qu’il espérait, le dégrade, l’affaiblit, éloigne aussi les autres de lui. S’il ment, les autres devinent vite son jeu et commencent à se méfier de lui ; s’il se vante et étale ses mérites, il est vite insupportable à l’entourage et on ne l’écoute plus ; s’il est égoïste et centré sur lui-même, personne n’aura envie de l’aimer. Le péché tue en lui l’élan vers la lumière et la clarté du regard fait place à une allure dissimulée, fuyante. Son corps même s’appesantit. Il se dégoûte lui-même. Alors qui viendrait le visiter dans cet enfermement ? Il n’est plus qu’un pauvre pécheur, mais il est toujours aimé. Qu’il crie vers Dieu, qu’il lance un signal de détresse à la Vierge Marie, il découvrira vite l’ampleur de la miséricorde : il ne se respectait même plus lui-même et voilà que les anges l’assistent, il doutait d’avoir un avenir et le Père lui ouvre sa maison.
Seul Dieu peut vraiment maintenir ensemble ces deux regards. Apprenons auprès de lui à être sans concession pour le péché et d’une immense tendresse pour le pécheur !