Changer la vie
Nous sommes tous très préoccupés d’introduire des changements répétés dans nos vies, de changer de look, de tête, d’occupation, quand ce n’est pas de compagne ou de compagnon… La publicité joue sur ce besoin de renouvellement et l’accélère pour le plus grand profit du commerce.
Face à cela, l’Eglise semble proposer un programme de vie qui ne comporte pas beaucoup de changement : chacun doit être fidèle à son état de vie, on l’encourage à s’enraciner dans sa paroisse, et une fois passées les étapes de l’initiation chrétienne, il n’a pas d’autre perspective d’engagement que de passer d’un groupe de jeunes à un groupe de foyer, en attendant la « vie montante »…
Pourtant les textes que nous entendons ce dimanche nous montrent des hommes qui n’ont pas peur de proposer des changements radicaux. Jonas exhorte à la pénitence les habitants de Ninive et cet appel a l’air d’aller loin, puisque l’effet en est d’emblée saisissant : « ils annoncèrent un jeûne et tous, du plus grand au plus petit, se vêtirent de toile à sac. La nouvelle parvint au roi de Ninive; il se leva de son trône, quitta son manteau, se couvrit d’un sac et s’assit sur la cendre » (Jonas 3,5-6). Il y un réel retournement (c’est le sens du mot conversion) avec des effets immédiats, qui ne sont bien sûr que des signes, mais des signes forts qui indiquent une vraie volonté de changer : se priver de nourriture, quitter ses habits ordinaires pour se mettre au niveau des pauvres.
Quant à Jésus son appel aux premiers disciples est sans ambiguïté : « Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ». Là aussi, l’effet est immédiat : « aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent ». Jésus récidive avec deux autres de leurs amis, et la suite est encore plus saisissante : « alors, laissant dans la barque leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partirent à sa suite ». On comprend ce que cela veut dire : ces hommes qui, sans être riches, avaient une situation confortable dans la pêche quittent soudain leur métier, laissant leur père se débrouiller avec l’entreprise familiale, et très probablement ils ne vivent plus de vie commune avec leur femme et leurs enfants, car Pierre était marié, puisqu’il avait une belle-mère et la vie que Jésus lui fait vivre à partir de ce moment-là est difficilement compatible avec l’existence en famille.
L’histoire de l’Eglise nous montre bien des cas, où une voix s’est élevée pour provoquer des retournements presque aussi radicaux : demander la rupture d’une union illégitime, amener des couples à vivre dans la totale continence pour le Royaume, proposer l’engagement dans la vie religieuse à des jeunes à l’encontre des parents qui avaient d’autres vues sur leurs enfants, offrir aux enfants des milieux privilégiés de partager la vie des pauvres ou le service des malades etc… etc..
Pourquoi sommes-nous devenus si timorés ? Pourquoi n’osons-nous plus croire au changement possible, comme si la générosité s’était tarie dans le cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui. ? On entend répéter des phrases du genre : « on ne peut pas demander cela aux gens de maintenant ». Et c’est ainsi qu’on invente de fausses justifications pour des situations irrégulières, par peur de mettre le fer dans la plaie et risquer de guérir le mal.
Le Seigneur continue d’appeler à l’héroïsme non pas seulement une élite d’âmes d’exception, mais tous autant que nous sommes, dans des genres différents. La joie chrétienne est à ce prix, car les compromis et les retards nous font vivre une vie médiocre qui n’attire personne.
Et si c’était précisément cela que, confusément, les hommes de notre temps attendaient de l’Eglise, au lieu des paroles doucereuses inspirées de la prudence humaine ?