En nul autre que lui, il n’y a de salut !
Ils ne manquaient pas d’audace, ces apôtres de Jésus qui n’avaient encore derrière eux que quelques centaines de personnes pour croire au Crucifié – et qui osaient clamer à la face des autorités du judaïsme : « en nul autre que lui (le Christ), il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver ! ».
Eh quoi ! C’est déjà presque la formule de saint Cyprien « hors de l’Église point de salut ! » Proclamer qu’il n’y a qu’une seule vérité, une seule voie vers le salut, n’est-ce pas le comble de l’intolérance, qui ouvre sur toutes les violences ?
Avant de tomber dans la caricature, demandons-nous déjà ce qu’ils auraient pu dire dans la situation où ils étaient. Fallait-il qu’ils prennent un profil bas et qu’ils se contentent de présenter la « voie » inaugurée par Jésus comme la promotion de certaines valeurs méconnues du judaïsme, ou encore comme une nouvelle sensibilité religieuse ? Pouvaient-ils être fidèles à la nouveauté radicale apportée par la Résurrection en taisant ce qu’ils avaient soudain perçu : si Dieu, le Dieu saint d’Israël, a agi dans la personne de son Serviteur, en renversant la mort et en l’accueillant au ciel comme juge des vivants et des morts, c’est qu’il faut se convertir et accueillir cette Bonne Nouvelle qui change tout.
Le christianisme n’est pas né d’un système de pensée ou d’une intuition géniale, il repose sur un fait, la Résurrection, un fait inouï, interprété à la lumière de cette formidable « matrice de sens » qu’étaient les Écritures saintes d’Israël. Mais sa puissance explosive découle de l’affirmation de l’exclusivité de la figure du Christ. Il ne manquait pas à l’époque, comme à la nôtre, de maîtres spirituels, d’hommes religieux et de modèles admirables, le Christ n’est pas un de plus, il est carrément d’un autre ordre. Si tout le reste suffisait à mener les hommes au salut, on n’aurait pas besoin de lui. Mais en lui on découvre ce qu’il a fallu donner pour faire cesser le vieux contentieux entre l’homme et Dieu, l’effort extrême, surhumain, qui a été nécessaire pour arracher le dard venimeux enfoncé au flanc de l’humanité. Et s’il est vrai qu’il a fait cela et qu’il l’a réussi, alors rien n’est plus comme avant et le monde ne peut pas continuer à tourner en rond en mettant son espoir dans des chimères.
Cela ne veut pas dire que tout le reste est nul et sans valeur, mais toute vérité se découvre partielle devant lui et doit pouvoir se mesurer à la sienne. Celle-ci, étant plus vaste et plus profonde, les englobe toutes dans ce qu’elles ont de beau et de juste. Loin de discréditer la quête religieuse de l’humanité, loin de refuser l’effort de réflexion que les hommes ont mené depuis toujours au contact de la nature et de l’histoire, elle les provoque au contraire, elle les pousse à aller plus loin, à ne pas s’arrêter en route en se contentant de peu, jusqu’à ce qu’au cœur même de leurs convictions les plus fortes, ils découvrent l’appel à franchir le dernier pas et à tomber à genou devant le Crucifié qui les attend.