Divin favoritisme
« Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les emmena, eux seuls, à l’écart ». Dans l’Evangile, le Christ n’arrête pas de faire des préférences. Il en choisit douze, puis 72. Il met Pierre à part et lui confie son troupeau. De Jean, on dit qu’il est « le disciple que Jésus aimait ». Et puis ces trois qui l’accompagnent dans ses grands moments (Transfiguration, guérison de la fille de Jaïre, Agonie à Gethsémani) !
Il n’y a pas beaucoup d’égalité dans la manière de faire du Seigneur avec ses proches. Cela pourrait nous choquer et nous avons envie de dire que, si certains l’ont quitté, c’est peut-être à cause de cela. Les neuf disciples qui ont attendu en bas du mont Thabor, pendant que Jésus était là-haut avec ses trois privilégiés, n’ont peut-être pas très bien vécu cet épisode, surtout qu’il leur a fallu régler en son absence un problème épineux (Marc 9, 14-29).
Ça, c’est ce que pense le monde. Mais nous, si nous voulons comprendre quelque chose à ce que veut faire Jésus, il faut sortir de ces comparaisons. Il y a eu sans doute bien d‘autres occasions où le Maître a su entourer de sa merveilleuse amitié Nathanaël, Jacques fils d’Alphée et tous les autres. Tous avaient leur place – et quelle place ! – dans son cœur : « mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps… » (Jean 13,33). Mais il n’a pas attendu la même chose de chacun. Avec eux, il construit l’avenir. Il fallait que ceux qui porteraient la plus grande responsabilité dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, vécussent près de lui une expérience plus immédiate de sa gloire.
Ses attentions étaient donc utilitaires ? me direz-vous. Non pas, car, en donnant à chacun sa place dans la diffusion de la Parole, c’est à eux d’abord qu’il pensait. C’est eux qui grandiront et se développeront dans la collaboration avec le Christ. Obligés de s’ajuster les uns aux autres, ils apprendront à s’oublier et à respecter le charisme des autres. Identifiés à leur Maître dans la contradiction du monde, ils vivront dans leur chair le refus, l’indifférence, l’éloignement de beaucoup. Et c’est comme cela qu’ils deviendront des saints. « Viens, bon et fidèle serviteur, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton seigneur ! » (Matthieu 25,23).
Quelle conclusion faut-il en tirer pour nous qui commençons le Carême ? Que nous n’avons pas à nous préoccuper de la place que nous occupons, de la façon dont nous sommes reconnus par les autres. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » nous dit l’autre lecture de ce dimanche. Du moment que nous avons accès à l’amitié de Jésus, que nous recevons ses sacrements, que sa parole nous est dispensée, nous avons l’essentiel. Si on fait appel à nous, si le Seigneur nous fait l’honneur de nous permettre de jouer un rôle pour l’avancée de nos frères, béni soit-il ! Mais n’attendons pas cela pour servir. L’avancée de l’Eglise est la résultante de beaucoup d’efforts cachés, d’échecs offerts, d’humble disponibilité.
De quelque manière qu’on le fasse, le Christ est annoncé je m’en réjouis, et je m’en réjouirai encore. (Philippiens 1,18)