Un dieu qui punit ?
S’il y a quelque chose qui a changé profondément dans la mentalité des chrétiens depuis un demi siècle, c’est bien cela : aujourd’hui Dieu-Amour ne punit pas, c’est un dogme, c’est une évidence, dire le contraire c’est vouloir ressusciter le Père Fouettard de jadis, qui aurait engendré une religion de peur dont nous serions heureusement sortis.
On a beau montrer que non seulement l’Ancien mais aussi le Nouveau Testament disent tout le contraire, que, de l’Evangile à l’Apocalypse, la sévérité va de pair avec l’amour, que nulle part le Père du ciel n’est ce grand-père gâteux qui sourit bonnement aux débordements de ses petits enfants, on revient sans cesse à l’idée d’un Dieu désarmé devant le Mal, faisant confiance jusqu’au bout, refusant de condamner, alors que Jésus nous parle des pleurs et des grincements de dents qui accompagneront ceux qui se sont détournés de la volonté de Dieu.
Une si curieuse méconnaissance a probablement deux causes : d’abord le refus de ce qui fut, il faut bien le dire, le travers d’une certaine prédication, qui, devant l’impuissance à réformer les mœurs, s’était contentée de condamner du haut de la chaire les comportements blâmables, mobilisant la colère divine contre les misérables pécheurs, faute de pouvoir les atteindre par une démarche rendant possible leur conversion.
L’autre raison, plus sérieuse, est le danger qu’il y a à entrer dans les desseins de la Providence et à étiqueter comme châtiment tel évènement de l’histoire personnelle ou collective, alors que, dans ce domaine, la prudence est de rigueur, car toute circonstance est complexe et peut s’interpréter de bien de manières. L’Ecriture elle-même, qui n’a pas peur de repérer des liens de cause à effet entre tel malheur et tel péché, montre aussi une certaine perplexité devant des évènements comme la mort absurde du « bon roi » Josias à la bataille de Megiddo.
Mais il n’empêche que ce lien existe, car le péché a toujours des conséquences, ce n’est pas seulement une brouille avec le Bon Dieu, c’est quelque chose qui a un poids et qui abime notre vie et celle des autres, car, ayant été faits pour Dieu, tout ce qui nous sépare de lui lèse notre humanité. « Ton péché te châtie » comme dit le livre de Proverbes. Parfois, c’est immédiatement sensible, comme avec les désordres dus aux addictions, qui touchent l’organisme physique et rejaillissent sur le psychisme, parfois le lien est plus mystérieux, et c’est souvent là que le Démon joue son vilain jeu, faisant peser sur des innocents une part du fardeau.
C’est seulement dans cette perspective-là que la Rédemption opérée par le Christ prend tout son sens : c’est bien parce que nous sommes en dette avec Dieu et justement châtiés, que le Sauveur vient régler le principal. Mais il ne fait pas pour autant de nous des irresponsables, il restaure notre liberté en nous donnant la possibilité de répondre aux exigences divines, ou du moins de commencer. Et, cette fois-ci, c’est très sérieux, nous n’avons plus le droit de décevoir : « il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant » (Hébreux 10,31).