Vraie et fausse divinisation
Satan veut persuader Ève que la menace de mort attachée par Dieu à la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance n’est pas à prendre au sérieux, il lui explique que Dieu, en réalité, redoute que les hommes, en mangeant de ce fruit, ne deviennent « comme des dieux » et menacent donc sa toute-puissance. C’est bien trouvé. Tout le monde sait que le pouvoir suprême, ça ne se partage pas, Dieu se défend contre une concurrence humaine qui serait dangereuse pour lui !
Sauf que ce n’est pas cela du tout. Dieu a créé l’homme avec une infinie générosité et son dessein est de l’adopter comme son fils, lui partageant tous les biens de sa maison. Les Pères de l’Eglise n’ont pas peur d’appeler cela une divinisation, c’est pour cela que le Fils un jour se fera homme, selon la célèbre formule de saint Athanase : « pour que l’homme devienne dieu ». Donc il y a une apparence de vérité dans ce que le serpent fait miroiter aux yeux d’Ève. Mais seulement une apparence, car dans le projet divin, il ne s’agit pas de conquérir le pouvoir, de devenir « khalife à la place du khalife », il s’agit d’être des fils pour le Père du ciel. Et cela s’apprend, quand on est un tout petit être à peine sorti du règne animal. Il faut prendre patience et donc attendre. Un jour ils auront accès à cette fameuse connaissance du bien et du mal, mais ce jour n’est pas encore venu. Présentement le don de ce fruit ne leur servirait à rien et leur révélerait plutôt leurs manques (leur nudité). Là se marque leur limite, mais bienheureuse limite qui lui donne le temps de grandir. Non que Dieu veuille les maintenir dans une position subalterne, mais pour pouvoir leur partager toutes les richesses qu’il a pour eux, Dieu leur donne ce qui est nécessaire pour chaque jour, pour qu’ils comprennent son projet, qu’ils y entrent avec toute leur intelligence et leur volonté. C’est pourquoi le péché est une catastrophe, car il va rendre bien plus compliqué l’apprentissage.
Nous avons dans l’Évangile de saint Jean un aperçu sur cette question. Les pharisiens qui ont écouté l’enseignement de Jésus et qui ont compris ce qu’il prétendait être, le Fils Bien-aimé du Père depuis toute éternité, l’accusent ouvertement de blasphème : « toi qui n’es qu’un homme tu te fais Dieu » (10,33). La divinité est pour eux un rang et un pouvoir que Jésus voudrait usurper. La seule riposte de celui-ci est de montrer qu’il est Dieu parce qu’il est Fils et qu’il reçoit tout du Père. Il n’a rien usurpé, il n’a rien retenu jalousement (Philippiens 2,6), il vit l’éblouissement de jaillir sans cesse du sein du Père, depuis toujours.
Pour Satan aussi, être Dieu, ce serait avoir un rang et un pouvoir. C’est cela qu’il a convoité pour lui et ça a été sa chute. Il s’attaque maintenant à l’homme et à la femme pour qu’ils refassent la même erreur : « vous serez des dieux ! ». Pauvres dieux qui ne savent pas encore se diriger, et qui croient tout gagner ! Mais Dieu aura pitié d’eux et leur ouvrira un jour la voie du salut.