Appelés à la liberté
Depuis que le mot de Liberté s’est inscrit sur les drapeaux et qu’il est devenu une devise et une exigence pour le monde où nous vivons, il est paradoxal de constater que la réflexion sur la société et le psychisme humain a abouti, elle, à nous montrer que la liberté n’existait pas : la société est toujours gouvernée par la loi du plus fort (la « dialectique du maître et de l’esclave ») et l’ego cherche toujours à éliminer le rival, dont le seul tort est de posséder un avantage que nous convoitons (le « mimétisme d’appropriation »). Mieux nous connaissons les conditionnements dans lesquels nous vivons (souvent inconsciemment), moins nous sommes capables d’y échapper. La liberté dans ce contexte ne peut être qu’un leurre, une manière d’ignorer notre condition ou plutôt de la rêver, en se figurant que la transgression de nos limites naturelles pour un court moment est une preuve de toute puissance, alors qu’elle aboutit le plus souvent à une terrible déchéance.
Du temps de saint Paul, les choses n’en étaient pas arrivées tout à fait là, parce qu’on vivait encore dans un monde où on acceptait plus facilement ses limites, faute d’avoir les moyens techniques de les faire reculer. Mais le problème était déjà là, on le voit à sa manière de nous mettre en garde : « Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour votre égoïsme ». En fait, l’Apôtre ne parle pas d’égoïsme, mais de « chair », il nous dit littéralement : ne faites pas de la liberté un « prétexte pour vivre selon la chair ». La chair, pour lui, ce n’est pas le corps, c’est la pesanteur héritée du péché originel. Ce sont précisément ces conditionnements dont nous parlions plus haut, qui font de l’homme, même polissé par l’éducation, un loup pour l’homme, ce qui se révèle dans certaines occasions où, les contraintes venant à tomber, comme on le voit pendant les guerres et les catastrophes naturelles, d’honnêtes pères de famille peuvent devenir des monstres.
Saint Paul n’est pas naïf, il sait que cela existe et même dans le cœur des baptisés, mais il croit à la puissance du Saint Esprit : « marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair ». Utopie ? Non pas, mais invitation au combat : car « les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair ».
Quand on sait sa fragilité, on est plus lucide sur soi-même, on ne se cache pas ses failles en les parant de belles couleurs, on prend parfois le contre-pied de ce qu’on sait sa tendance (trop) naturelle : c’est comme cela que Paul peut conseiller à ses amis galates de se mettre « par amour au service les uns des autres », car rien ne tue plus le petit démon de l’égoïsme que l’apprentissage du service. Mais, surtout, on appelle à l’aide le Saint Esprit à l’heure du combat, on se confesse, on communie, on demande la prière des autres pour mieux lutter. Si on tombe, on se relève et on repart. On ne se laisse pas attrister par ses échecs où il n’y a, après tout, que notre orgueil qui souffre.
Telle est la fécondité de l’Esprit dans nos vies et, si on s’y livre courageusement, il y aura des résultats, pas forcément comptabilisables (restons petits !), mais réels. Il y a des prisonniers qui ont passé des mois à limer patiemment leurs chaînes, et puis un jour celles-ci ont cédé. Nos chaînes à nous sont lourdes, surtout si nous les avons trop longtemps entretenues, mais elles ne sont pas invincibles. Dieu nous appelle à la liberté, il aura le dernier mot !