Trinité que j’adore
En décidant (au 14e siècle) de faire figurer le nom de « Trinité » à côté de ceux de « Père », de « Fils » et de « Saint Esprit » dans les litanies majeures, l’Eglise catholique a pris un risque : celui de creuser le fossé avec les Chrétiens d’Orient, pour qui il n’y a pas de réalité englobante qui réunirait les trois personnes divines et qu’on pourrait désigner comme Dieu, en plus des autres. La crainte est d‘avoir affaire à un super Dieu, une quatrième personne qui coifferait les trois autres, et qui serait seule pleinement Dieu, vision manifestement fautive et qui a même un nom dans l’histoire de la théologie : modalisme, ou sabellianisme, hérésie de Sabellius qui tenait que les trois personnes étaient des déclinaisons du même Dieu unique.
Est-ce que nous ne tombons pas quelquefois nous-mêmes dans ce travers, quand nous parlons du « Dieu personnel », ce Dieu qui nous a créés et qui nous aime, mais qui n’est pas directement identifié comme Père (ou comme Fils) ? Prenons garde de ne voir en Dieu qu’une abstraction sans visage. Bien sûr, on se rattrape en évoquant le visage humain de Jésus, mais c’est Jésus sur terre, Jésus dont on ne retient que les qualités humaines, à mille lieues de la Trinité… C’est pourtant de là qu’il vient et ce dont il nous parle le plus volontiers : « Il faut que le monde sache que j’aime le Père » (Jean 14,31).
Je voudrais vous persuader que la Trinité, c’est intéressant, et que ce dogme qu’on croirait aride est éblouissant! Oui, il est bon de parler de l’Etre suprême mais plus encore de découvrir qu’il n’est pas un solitaire, que celui qui pourrait se dire « maître de soi comme de l’univers » est fou d’amour pour l’éternité et que sa vie même est d’aimer, de se donner. On peut s’émerveiller en reconnaissant qu’il est le Père, que cet amour paternel n’est pas un côté de sa vie, mais sa vie elle-même, au point qu’il n’a pas d’autre nom que celui-là, et que cette paternité s’exprime dans un Fils qui n’est pas la réplique à l’identique du Père mais qui est son Image éclatante, faisant chanter près de lui un accord parfait. Et en outre, dans la surabondance de ce don, nous apprenons qu’il y a place pour celui que nous appelons l’Esprit Saint, celui-ci n’est pas un autre Fils, ni un fils du Fils, mais, à travers le Fils, une autre manière de provenir du Père, dans l’inépuisable générosité de sa paternité, et que là se consomme l’union éternelle du Père et du Fils, dans un unique embrassement qu’est l’Esprit. Mais tout cela n’est encore qu’un faible écho de ce qui se laisse découvrir quand nous écoutons Jésus nous parler de ce qu’il a entendu près du Père : « celui qui m’a envoyé est véridique, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis au monde » (Jean 8,26).
« Je suis sorti de Père et venu dans le monde ; maintenant je quitte le monde et je vais au Père » (Jean 16,28). Jésus ne remonte pas seul vers le Père, il y remonte avec nous, puisqu’il a pris notre chair et qu’il n’est pas prêt de la lâcher. En lui nous avons une place dans la Trinité.