Dieu me fera entrer au ciel
Saint Paul au soir de sa vie regarde le chemin parcouru et n’hésite pas à dire qu’il n’a plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur. Présomption ? Oubli de sa faiblesse pourtant si souvent affirmée dans ses lettres ?
Les saints ont de ces déclarations troublantes. On pense à Thérèse à l’approche de la mort disant : « bientôt je serai sainte », ça n’a pourtant pas empêché l’angoisse. Bien sûr, comparés à nous, ils semblent si proches du Seigneur que nous serions prêts à leur donner le paradis tout de suite, si cela dépendait de nous. Mais, justement, nous avons appris que les saints voient mieux que nous l’horreur du péché et que là où nous en restons à une morale de braves gens qui ne font ni grand mal ni grand bien, ils vont, eux, au cœur du drame et voient l’abime qui sépare l’homme de Dieu. Certains n’ont-ils pas été jusqu’à se croire définitivement damnés ?
Saint Paul est le dernier à penser que ses vertus lui vaudraient un accès direct auprès du Père éternel. N’a-t-il pas écrit : « Ma conscience, certes, ne me reproche rien, mais ce n’est pas cela qui me justifie; celui qui me juge, c’est le Seigneur » (1 Corinthiens 4,4) ? Il se sait capable de tomber, malgré tout ce qu’il lui a été donné de réaliser jusque-là : « que celui qui pense être debout prenne garde de tomber » (1 Corinthiens 10,12), martèle-t-il aux oreilles de ses correspondants. Il ne se croit pas du tout parfait : « Non que j’aie déjà obtenu tout cela ou que je sois déjà devenu parfait; mais je m’élance pour tâcher de le saisir, parce que j’ai été saisi moi-même par Jésus Christ » (Philippiens 3,12) ?
D’où lui vient alors cette confiance ? Une seule réponse : de la constations extasiée de la fidélité de Dieu à son endroit. Il nous le dit sur tous les tons : sa vie, surtout depuis sa conversion, a été constamment jalonnée par les attentions du Seigneur. « J’ai échappé à la gueule du lion », nous confie-t-il. Et pas seulement une fois. Certes, il n’a pas sans doute toujours correspondu parfaitement à cette conduite de Dieu, mais le Christ l’a formé, l’a corrigé autant que nécessaire et maintenant il peut faire fond sur cette œuvre du Seigneur en lui.
Il a fait l’expérience de travailler avec Jésus. Non seulement dans des œuvres extérieures, mais plus encore dans la conduite de sa vie. Sa volonté, au départ rebelle, a été pliée sur le chemin de Damas, mais ensuite le Maître lui a appris doucement à se relever, à déployer son zèle, à rester petit dans sa main, à faire des efforts toujours plus grands pour répondre à ses appels.
Le Concile de Trente, réuni au 16e siècle pour répondre aux attaques de Luther, définit le “mérite” comme l’œuvre de Dieu dans l’homme. Dans la vie des saints s’accomplit une véritable synergie : Dieu rend l’homme de plus en plus coopérant à son action dans le cœur de celui-ci. Le résultat est donc tout à la fois don d’en haut et participation de la liberté humaine.
Paul sait cela, il en a l’expérience directe, même si sans doute, à certains moments, il ne lui est plus donné de rien voir. Il ne peut pas dire que ce long chemin fait en tenant la main de Jésus n’existe pas et il a confiance. Il connait maintenant suffisamment son Seigneur pour savoir qu’il ne fait rien en vain et que sa conduite n’est pas suspendue par quelques défaillances provisoires. Il sait que devant le Père (” le juste Juge”) il sera là pour intercéder, s’il le fallait, et le défendre en présentant ses plaies et ce sang qu’il a versé pour lui. « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? ». Et c’est là son assurance.
C’est à cette condition seulement, non pour se vanter, mais au contraire pour louer l’infinie bonté de Dieu, qu’il peut dire ce qu’il énonce, et qui est énorme : « Dieu me fera entrer au ciel » !