Entre la mission du Fils et celle de l’Esprit
Prenons le temps d’entendre la collecte de ce jour dans sa nouvelle traduction : « Sois favorable à nos supplications, Seigneur : nous croyons que le Sauveur du genre humain est auprès de toi dans la gloire ; puissions-nous éprouver qu’il demeure avec nous jusqu’à la fin du monde, comme lui-même l’a promis ».
Le paradoxe est complet : Jésus est parti et il est là au milieu de ses disciples. Il ne s’agit pas seulement de le croire, mais de l’éprouver. Parce qu’on pourrait s’en tenir (et c’est souvent ce qui arrive) à l’idée d’une inspiration : Jésus est passé sur terre et il nous a laissé des « valeurs », il reste présent dans nos cœurs par quelques belles pages d’évangile que nous aimons relire et puis c’est tout. Dans ce cas, l’Eglise serait la société purement humaine qui gère, comme elle peut, l’héritage au milieu des aléas de l’histoire.
Or, ce n’est pas ce que le Christ nous dit : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». S’il est « avec nous », c’est qu’il est actif, ce n’est pas purement sentimental. Cette Eglise est son Epouse, elle est même son Corps. Il prend pour lui les coups qu’elle reçoit (cf. Saul sur le chemin de Damas), il la soutient, il l’éclaire, il l’inspire, il lui est fidèle, il l’aime.
Mais alors pourquoi les choses se passent-elles comme cela, pourquoi ces périodes de déclin, pourquoi ces exemples scandaleux, pourquoi ces consignes flottantes et parfois contradictoires ? On pourra bien sûr dire tout ce que l’Eglise nous apporte, toutes les belles pages de son histoire, son apport à la culture de l’humanité, sa pérennité au long des siècles (même si aujourd’hui un soupçon rongeur amène souvent les chrétiens à douter de leur passé). Mais cette réponse n’est pas suffisante : on voudrait comprendre comment elle peut être à la fois divine dans son institution et si pauvrement humaine dans beaucoup de ses affaires.
L’Eglise, en réalité, c’est cette part d’humanité que le Christ a saisie pour l’unir à sa vie. Elle a tout de ce monde, toutes ses tares et ses noirceurs. Comme l’Epouse du Cantique elle peut dire « je suis noire et pourtant belle » (Cantique 1,5), « noire » ne faisant pas allusion à la couleur de la peau, mais au hâle qui la couvre encore. Mais elle est belle, parce Jésus l’a élevée jusqu’à lui. Il ne cesse pas de lui dispenser ses soins, pour la détacher de son passé et lui rendre le goût de la beauté et de la vérité. Paul nous le dit : « le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître, devant lui, cette Eglise, glorieuse, sans tache, sans ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée » (Éphésiens 5,25-27).
Et le plus fort, c’est qu’il y arrive, au moins en partie, comme en témoignent de façon éclatante les saints et, de manière plus diffuse, les autres membres de l’Eglise : toutes ces vies données, toutes ces conversions sincères, tous ces élans vers l’amour, cette émulation dans le service, la prière et la recherche de la vérité, toutes choses qui parfois nous étonnent nous-mêmes mais qui sont pourtant bien là, à côté d’autres moins belles…
Le Christ vient visiter son épouse, mais c’est de nuit. Il la rencontre sous le manteau des signes (les sacrements), il la rencontre dans la prière têtue de ceux qui veillent pour lui, près de lui. Le lendemain matin elle en gardera l’éblouissement et pourra le dire aux hommes.