Marthe et Marie sous un autre jour
L’évangile de la Résurrection de Lazare en saint Jean a cette particularité de recouper, d’une certaine manière, le célèbre texte de saint Luc relatant la soirée passée par Jésus chez Marthe et sa sœur Marie. Ce dernier passage n’est pas localisé (« il entra dans un village »…), mais il est situé dans les chapitres qui rapportent la dernière montée du Seigneur à Jérusalem et il ne fait guère de doute que le village en question soit Béthanie à quelques kilomètres de la Ville sainte.
Or le récit de saint Jean met en scène de façon très précise ces deux femmes qui se révèlent être deux sœurs de Lazare. Elles viennent de subir le choc du deuil de celui-ci, aggravé par le fait que Jésus, son ami, n’a pas réagi à leur demande instante pour qu’il arrive avant l’issue fatale et le sauve de la mort. Elles sont amères et elles le feront sentir.
A part cela, leur réaction à son arrivée est fort différente. Marthe, toujours en mouvement, dès qu’elle apprend l’arrivée de Jésus, part à sa rencontre. Béthanie domine la montée du désert ; quand on vient de Jéricho par la route qui sinue à cet endroit, on est visible depuis longtemps, sans doute certains ont-ils aperçu Jésus et ses disciples qui s’avançaient et l’ont avertie, elle est là à l’entrée du village et elle accueille Jésus de façon pas très aimable : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Mais elle ajoute quelque chose d’étonnant : « Mais, maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». Elle a gardé la foi : elle a pourtant vu mourir son frère quatre jours plus tôt et elle continue à penser que l’impossible pourrait surgir, si Jésus… Elle voit donc en lui plus que le médecin des cas désespérés qu’on appelle à la dernière minute au chevet d’un mourant.
Jésus prend son temps : « Ton frère ressuscitera ». Elle le sait bien, elle a sans doute entendu le Christ prêcher plus d’une fois la résurrection au dernier jour. C’est là que survient la phrase décisive : « Moi, je suis la résurrection et la vie ». La Résurrection, ce n’est pas seulement une croyance pour plus tard, c’est une réalité d’aujourd’hui en Jésus. Si nous sommes branchés sur lui par la foi, la Résurrection peut commencer. « Crois-tu cela ? », et elle répond de tout son cœur : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu ». L’acte de foi est là. Pourtant rien ne se passe encore. Jésus reste sur place, il attend.
Marie n’avait pas bougé, sans doute toute à son chagrin et à sa colère. Il faut que sa sœur vienne l’avertir discrètement : « Le Maître est là, il t’appelle ! ». Alors elle traverse rapidement le village et vient se jeter à ses pieds (elle semble affectionner cette position) et lui redit ce qu’il avait déjà entendu de Marthe : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Jésus ne répond pas, mais les larmes de Marie et des autres assistants ne le laissent pas indifférent. Il est « bouleversé ». Marie le retrouve telle qu’elle l’a connu, il ne méprise pas sa douleur. Ce n’est pas un sage stoïcien qui n’est accessible à aucune émotion, il ne conseille pas la résignation.
Il se rend au tombeau et là, malgré l’horreur de la chose, il fait ouvrir le sépulcre où git Lazare, au point que Marthe intervient pour lui rappeler que cela fait déjà quatre jours qu’il y est, ça va sentir ! Eh oui ! Marie, malgré ton bel acte de foi de tout à l’heure, devant l’évidence de la mort déjà consommée, tu te recules et tu dis : « ce n’est pas possible ! ».
C’est là que Jésus lui demande de monter une dernière marche : « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ».