La loi morale et la folie de la croix
Tout le monde est prêt à reconnaître la grandeur du Décalogue proclamé sur le mont Sinaï, véritable code de bonne conduite que Dieu fournit à l’homme pour lui permettre de cohabiter avec lui sur la Terre Promise.
Il ne faudrait pas trop l’opposer au reste de la Loi de Moïse, comme si celle-ci ne contenait que des règlements tatillons sur l’abattage des bêtes ou sur d’infimes questions de pureté. Il y a des perles dans cette Loi comme le passage du Lévitique (19,18), où il est commandé d’« aimer le prochain comme soi-même ». Jésus ne l’oubliera pas. Surtout il faut comprendre que la Loi « cérémonielle » comme on dit, c.a.d. celle qui traite du culte, de l’alimentation, du vêtement, de l’hygiène, etc… est destinée à structurer un peuple qui va devoir porter le témoignage du Dieu unique au milieu d’un monde païen. En assurant sa cohésion, elle le rend apte à résister à la pression du paganisme ambiant. Bien sûr, pour s’universaliser, l’Eglise va devoir prendre ses distances par rapport à cette loi cérémonielle, tout en conservant le Décalogue (et Jésus l’a aidé à cela), mais ne méprisons pas l’arbre qui nous a portés…
Nous sommes aujourd’hui devant une autre question en sens inverse : qu’apporte de spécifique la morale chrétienne par rapport aux valeurs « laïques » qui nous sont proposées ? D’abord le fait que la Loi du Décalogue, si elle sait faire la distinction du spirituel et du temporel, ne les sépare pas. La reconnaissance du vrai Dieu est au départ et les trois (ou quatre) premiers commandements concernent d’abord nos relations avec Dieu. C’est tout l’édifice de notre vie morale qui dépend de ce point de départ. Sans l’absolu de Dieu et son amour inconditionnel pour les hommes, comment fonder jusqu’au bout la dignité de la vie humaine ?
Si la morale chrétienne recoupe, sur de nombreux points, ce qu’on appelle la « loi naturelle », c.a.d. celle qu’une saine raison fait découvrir à tout un chacun, fût-il païen ou bouddhiste, il faut s’en réjouir et voir là la trace de notre commune création par Dieu : c’est lui qui a disposé en chacun de nous une certaine conscience du bien et du mal qui peut nous éclairer, si nous y faisons appel. Mais, sur certains domaines, il faut reconnaître que le Christ a bousculé le consensus général, comme sur les questions relatives au mariage : aucune religion, aucune culture n’est jamais allé jusqu’à proposer comme étant la norme le mariage monogamique que rien ne pourra annuler. Mais, au fond des cœurs, n’y a-t-il toujours eu la certitude que le véritable amour rimait avec « toujours » ?
Pourtant ce n’est pas encore sur ce terrain que Jésus nous amène le plus loin. Les articles de la Morale sont ce qu’ils sont et sans doute, nous chrétiens, nous pensons que Dieu nous a révélé le plus complètement sa volonté. Mais il ne suffit pas de savoir le bien pour le faire ! Là où Jésus est un maître irremplaçable, c’est quand il nous entraîne dans sa Sagesse supérieure : celle de la Croix.
Prenez la Morale naturelle. Toutes les prescriptions aboutissent finalement à l’idée que la règle d’or consiste en ceci : ne pas faire à autrui ce que nous nous ne voulons pas subir nous-mêmes. Or que dit Jésus ? « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le aussi pour eux ; car c’est la Loi et les Prophètes » (Matthieu 7,12). Toute son audace réside dans l’inversion qu’il opère. Bien sûr que la conscience d’une réciprocité avec les autres doit guider notre conduite et nous faire sortir de la considération exclusive de nous-même, mais comment se fait-il que nous y arrivions si peu ? Ecoutez Jésus : ce qu’il nous demande, c’est de ne pas attendre la réciprocité, mais de la créer, en osant faire le premier pas, alors que l’autre est injuste, égoïste, etc.., il s’agit de commencer par donner, par se donner…