Pourquoi parler quand on n’est pas entendu ?
Le prophète Jérémie fait une expérience étrange : le Seigneur l’a « séduit », c.a.d. qu’il l’a amené à le connaître, à éprouver la douceur de son visage, il a été conquis par la splendeur de la révélation que le Seigneur lui a laissé entrevoir, mais, quand il essaie de partager quelque chose de ces lumières et de se faire l’écho des exigences divines, non seulement on ne l’écoute pas, on se moque, mais on lui en veut jusqu’à le menacer. Va-t-il se taire et enfouir le message au fond de son âme ? Impossible ! Son cœur éclate : il faut qu’il transmette ce qu’il a reçu, malgré la haine, le soupçon, les coups.
Ce n’est pas ce qui risque d’arriver aujourd’hui, où on a pris son parti de l’éloignement de beaucoup et qu’on supporte très bien que les autres fassent ce qu’ils veulent pourvu qu’ils nous laissent tranquilles. Le prophète avait la conviction (juste) que le message reçu n’était pas pour lui seul, mais que c’était un appel pour tout Israël.
La difficulté est peut-être encore plus grande, car toute invitation un peu forte est vécue aujourd’hui comme une intrusion insupportable dans le sanctuaire de la liberté individuelle. Un avertissement, une proposition, un nouvel éclairage s’attirent la riposte : « laissez-moi penser ce que je veux ! ». Comme si tout ce qui est « autre », qu’on n’a pas découvert soi-même, était forcément une menace. Triste horizon, où toute ouverture est bannie !
Mais ce n’est pas une raison de ne pas parler et même, selon le conseil de l’Apôtre, « à temps et à contretemps ». Devant l’enfermement généralisé, il est urgent, il est nécessaire d’éveiller les âmes et comment le ferait-on, sinon par la parole, car elle seule peut faire passer ce que j’ai découvert, ce que j’ai éprouvé comme vrai, dans le cœur de mon frère et de ma sœur en humanité ? La parole n’est pas une arme par laquelle je ferai irruption dans l’intimité de quelqu’un. Si elle était cela, c’est qu’elle ne serait déjà plus une parole humaine, ce serait un cri animal, ou la mélodie d’un charmeur de serpent. La parole est le don de soi à l’autre, pour lui partager ce que nous avons à lui donner de nous-même.
Quand c’est Dieu qu’on annonce, cela ne peut partir que de l’admiration qui nous a saisi un jour quand on a pressenti ce que peut être celui qui nous a créé, qui nous a accompagné pas à pas sur le chemin et qui nous a donné un rôle à jouer dans son dessein d‘amour.