Il suffit d’aimer
Je me souviens de ce jour où je me trouvais à Konya en plein centre de la Turquie, l’antique Iconium où saint Paul est passé. Nous étions heureux d’avoir pu trouver dans cette ville totalement musulmane un tout petit lieu de culte catholique. C’était une communauté religieuse (les petites sœurs de Jésus) qui était présente et qui maintenait ouverte l’église. Nous avons beaucoup admiré leur courage et leur dévouement et, comme nous les interrogions sur les contacts religieux qu’elles pouvaient avoir avec les musulmans, elles nous dirent qu’il n’était pas rare que certains, de passage, entrent dans l’église et leur posent des questions sur leur foi. Il s’était même présenté le cas d’un visiteur qui leur avait demandé ce qu’il fallait faire pour devenir chrétien. La réponse qu’elles avaient donnée était touchante de candeur : « il suffit d’aimer ! ». Je ne suis pas sûr que cette déclaration ait beaucoup aidé le musulman en question (qui s’attendait à l’énumération de quelques commandements bien nets), ni qu’il ait pu s’approcher de la foi chrétienne. Mais qui sait ?
Quand on résume le christianisme à l’amour, on dit certainement quelque chose de juste. Et je sais pour ma part ce que peut apporter de transformant la découverte que Dieu EST amour et que, d’une certaine manière, il ne nous demande rien d’autre que l’amour. Mais d’un autre côté, on voit aussi ce à quoi a abouti une religion où on parle tout le temps d’amour, mais où disparaissent les exigences concrètes d’une foi droite, d’une pratique régulière des sacrements etc…
C’est qu’en réalité ceux qui contestent la doctrine et la morale de l’Eglise au nom de l’Amour avec un grand A pensent trop naïvement qu’ils savent, eux ,ce qu’est l’amour, comme si c’était une réalité immédiate et évidente. Il suffit de regarder autour de nous pour voir tout ce qui se loge sous ce mot. « Faites l’amour, faites pas la guerre ! », disait-on en Mai 68, mais souvent – hélas ! – les deux se ressemblent, quand tant de tristes histoires nous révèlent la violence qui se cache sous certaines pratiques sexuelles. Et si, à l’opposé, on ramène l’amour à la gentillesse, à la tolérance, au respect des minorités etc… on rétablit un autre moralisme, dont on sait combien il peut être, lui aussi, pharisien.
L’amour est un mystère, dans lequel il faut entrer très respectueusement. Sans doute quelques grandes figures peuvent nous en donner l’aperception : Mère Teresa au chevet d’un mourant, Gandhi allant nettoyer les toilettes des intouchables, saint François embrassant le lépreux etc… Mais ces images de vitrail restent terriblement loin de nous, qui n’aurons jamais l’occasion – sauf grâce imprévisible – de donner ainsi notre vie.
Il y a quelqu’un qui peut nous faire entrer dans cette autre logique qui est celle de l’amour. Il s’appelle Jésus Christ. Il commencera doucement par nous dire heureux si nous prenons son chemin, il nous montrera la joie paradoxale qu’il y a à risquer quelque chose pour l’amour. Il nous parlera surtout de son Père si large, si généreux, si soucieux de la moindre de ses créatures, son Père qui partage avec lui un projet insensé pour rétablir l’homme dans sa dignité. Il commencera à nous parler de la croix, de sa croix d’abord : « il faut que le monde sache que j’aime le Père », mais aussi de notre croix, car nous ne pouvons profiter de ses dons, en le laissant seul face au drame du monde. Il nous montra que l’amour seul est fécond et débouche sur la vie, au matin de Pâques. Et bien d’autres choses encore…
Et alors nous commencerons à comprendre ce que peut être l’amour et nous nous y élancerons à sa suite.