
Dieu, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui
Il faut nous y habituer : le Nouveau Testament, quand il cherche à nous faire découvrir le salut par la croix, utilise une foule d’images, qui nous aiguillent à chaque fois sur une voie nouvelle : rachat, sacrifice, réconciliation, victoire sur le démon etc… il n’y a pas une explication, il y en a au moins une dizaine, et ceci est fort utile pour nous préserver de toute simplification qui ferait de la Rédemption un processus de guérison comme un autre.
Le passage de saint Paul que nous lisons ce dimanche se caractérise par le fait que c’est le Père qui est présenté comme le Sauveur, opérant la réconciliation avec l’humanité pécheresse dans le Christ. Cela n’enlève évidemment rien à Jésus : il est l’instrument du Père par sa vie et sa mort. Mais l’Apôtre, qui a si souvent parlé de cette participation, n’en dit mot ici. Il sort du cadre de la vie terrestre de Jésus pour nous faire contempler le plan de Dieu, c.a.d. le dessein d’adoption de l’humanité qui a été perturbé par la faute originelle, mais que le Père fait aboutir en « se réconciliant » avec l’homme.
Mais il faut prendre garde de ne pas réduire le drame du salut aux dimensions d’une petite brouille entre Dieu et l’homme, que Dieu rattraperait en faisant le premier pas et en nous envoyant son Fils pour tout arranger. N’interprétons pas le rachat par la croix, comme si c’était Dieu qui renonçait à exiger quoi que ce soit de sa créature pour mieux la laisser libre. Cette vision « gentille » du salut prétend mettre en valeur l’amour désintéressé de Dieu, mais elle le rend surtout mièvre et insignifiant. La mort du Christ ne serait plus qu’un fâcheux accident, parce que les hommes n’ont décidément pas compris ce que Dieu leur offrait et qu’ils se sont vengés sur celui qu’ils avaient à leur merci. Et le fruit de tout cela, ce serait une simple leçon qui nous serait adressée à travers la Passion de son Fils : il faudrait seulement comprendre le sens qu’il a donné à sa vie et son message de fraternité. Ne nous contentons pas de cela. Ce qui est en jeu, c’est la vocation de l’homme fait pour Dieu : l’homme doit bien quelque chose à Dieu, non pas des offrandes et des sacrifices, mais un amour qui prenne la forme de l’adoration et de l’obéissance. Et Jésus vient combler le déficit. Sur la Croix, il prend la place de l’homme défaillant et crie jusqu’au bout sa fidélité à la volonté du Père.
Il y a deux mouvements dans la Passion : celui du Père vers nous, celui du Fils vers son Père (avec nous). Le salut qui nous est promis, le mouvement descendant de Dieu vers nous, n’est pas un simple toucher qui changerait magiquement notre condition humaine, il est là pour rendre possible le mouvement ascendant par lequel le Christ, Dieu fait homme, nous entraîne à sa suite : ayant pris une vie d’homme avec un cœur d’homme, il réalise dans son humanité la parfaite obéissance due au Père et il s’unit si profondément à ceux qui ont reçu sa vie dans le baptême qu’il fait couler dans leurs veines le sang régénéré par sa Croix.