Le premier né d’entre les morts
Pâques n’est pas seulement le dénouement d’un drame qui s’est joué pour le Christ dans son affrontement avec puissances de ce monde. C’est le commencement d’une histoire, c’est le premier jour d’une nouvelle ère pour l’humanité. D’Adam à Jésus, la mort a régné dans le monde, nous dit saint Paul. Sans aucune exception, elle a atteint tous les hommes petits ou grands, riches ou pauvres, de tous les âges, de toutes les conditions. Mais avec lui, Jésus, elle s’est cassé les dents, il y a quelqu’un qui lui a échappé et qui a fait la brèche. Tous, un jour ou l’autre, nous pourrons passer par cette brèche.
Pour nous, Jésus est désormais le prototype du monde nouveau, à l’aune duquel nous pouvons deviner ce que nous serons tous un jour. C’est pourquoi il est si important que ce prototype soit apparu sur terre, et pas dans un autre monde que le nôtre : c’est bel et bien dans notre histoire qu’il s’est manifesté, on l’a vu, on l’a touché. Bien sûr, ce constat n’a été pas donné à n’importe qui, le Ressuscité n’est pas venu s’exposer sur les places publiques, ni dans le prétoire de Pilate. L’évidence n’est venue qu’à la fin, quand ses interlocuteurs, tous des gens qui l’avaient connu, ont commencé à s’ouvrir à la nouveauté de ce qu’il leur proposait. Non parce que le fait manquait de réalité, mais parce qu’il réclamait des yeux à même de le voir sans être éblouis et une intelligence susceptible de l’accueillir sans chavirer. Il est trop respectueux de nous pour nous imposer un fait brut qui nous terrasserait. Mais le choc a malgré tout été si fort, la rencontre si décisive, que tout est parti de là : la vie communautaire dans l’Eglise, l’élan missionnaire, le courage face au martyre. La Résurrection est un fait, pas une idée.
Nous vivons toujours de cette nouveauté, qui nous atteint de plusieurs manières. C’est elle d’abord qui sous-tend la fécondité ininterrompue de l’Eglise, sa capacité de traverser l’histoire dans la fidélité à son origine, en semant à chaque génération un appel unique et multiforme à la sainteté. C’est elle aussi qui se manifeste dans la présence, sans cesse renouvelée, de Jésus dans l’eucharistie, sa manière d’être vraiment donné à chaque fois qu’il y a un prêtre pour célébrer le sacrifice de la messe ; par cette présence, il ne cesse de visiter son peuple, de le réconforter, de le faire grandir. Que serions-nous sans cela, sinon des nostalgiques d’une histoire passée, réunis autour des écrits consacrés au fondateur?
Cette nouveauté nous atteint nous-mêmes, inégalement il est vrai, mais bien plus réellement que nous n’osons nous l’avouer. On ne fréquente pas pour rien la messe dominicale, surtout si on y communie, on ne s’abandonne pas en vain au souffle de l’Esprit dans la prière du cœur et, si on se laisse pétrir à neuf à chaque confession, on n’en sort pas non plus indemne. Le Seigneur a une manière d’agir tantôt brusquement, en nous remettant sévèrement devant l’objectif oublié, tantôt par une douceur déconcertante, qui achève de nous conquérir totalement. Mais c’est toujours le même Seigneur vivant qui appelle depuis la rive : « les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » (Jean 21,5).