Pour qu’aimer ne soit pas un vain mot
L’insistance mise par Jésus sur l’amour fraternel (et filial) est si forte dans les textes d’évangile que nous lisons en ce moment, qu’il faut essayer de prendre ce sujet au sérieux et de voir comment faire pénétrer cet amour dans notre vie. Or nous sommes dans une situation où ceci n’est pas très facile. Nous sortons d‘une période où on s’est mis à parler largement de l’amour, après des siècles de grande pudeur. L’Écriture elle-même et saint Jean en particulier poussaient plutôt dans ce sens. Mais, à force d’employer le mot, on l’a aplati et banalisé. Quand j’étais au séminaire, nous nous amusions, mes camarades et moi, à compter combien de fois le mot « amour » revenait dans les homélies que nous écoutions : « 21 ! » disait l’un, « 32 ! » répliquait le second.
Cette répétition allait de pair avec un affaiblissement en proportion : à trop parler de l’amour, on en parlait mal, c’était à la fois l’indulgence facile devant le péché, la sensiblerie larmoyante devant la souffrance d’autrui, la tolérance érigée en principe, tout ce qui donnait au christianisme cette « fadeur » que beaucoup ont remarquée et qui ne faisait pas vraiment envie. Le Père des cieux ressemblait à un grand père un peu gâteux qui sourit aux incartades de ses arrière-petits enfants…
Comme si nous savions ce que c’est que l’amour ! Dieu seul peut nous l’apprendre. Pour essayer de comprendre ce que Jésus met dans les mots « aimez-vous comme je vous ai aimés », il ne servira à rien de mettre des superlatifs à nos bon sentiments. Dans la Bible, l’amour de Dieu coexiste avec des réalités pour le moins surprenantes. Dans le psaume 136, où le refrain « car éternel est son amour ! » revient à chaque verset, il accompagne également des affirmations du genre « il précipita Pharaon et son armée dans la mer Rouge ». Étrange amour que celui-là ! Dans les lectures d’aujourd’hui, nous pouvons glaner quelques indications qui nous ouvriront les yeux sur cet amour fou du Seigneur.
« Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » nous dit Jean dans l’Épître de ce jour. Tous les dons que nous sommes prêts à faire supposent toujours qu’on est à peu près sûr de trouver chez l’autre une certaine réciprocité, surtout quand il s‘agit de biens très importants comme notre vie. Or voilà de la part de Dieu une manière de faire différente : en l’absence de toute réciproque, il s’est engagé pour cette petite créature décevante. Et il n’a pas cessé de faire des premiers pas vers elle. Ce n’est pas qu’il mépriserait toute reconnaissance : quand elle viendra un jour, il l’accueillera avec joie, parce qu’elle traduit chez nous une certaine maturité qui commence à s’éveiller. Mais il ne l’a pas attendue.
Jésus, dans l’Évangile du jour, nous dit : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour ». Le modèle, là, n’est pas son attitude avec nous, mais celle qu’il a avec son Père. Recevoir les commandements, faire confiance à celui qui les édicte, mettre tout son soin à exécuter exactement ses ordres, les garder comme un précieux dépôt, c’est aussi de l’amour.
Et encore : « Je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ». L’ami, celui qu’on aime, c’est celui avec lequel on partage ses raisons de vivre. Jésus n’a pas de plus beau trésor à partager avec ses amis que ce qu’il a entendu près de son Père, non seulement le chant des anges, mais la profondeur des pensées divines !
Voilà de quoi guider bien des aspects de notre conduite…