La revanche de Dieu
Le prophète annonce « la vengeance qui vient, la revanche de Dieu ». Cette revanche n’est pas une victoire militaire, ou une révolution de palais, non, c’est la guérison des yeux de l’aveugle, des oreilles du sourd, des jambes du boiteux. Curieux, vous ne trouvez pas ? Pourtant toutes ces choses existent pour des raisons naturelles, et Dieu les a permises, sinon elles n’existeraient pas. En quoi la guérison de ces malheureux est-elle une action d’éclat qui fasse honneur à Dieu ? Et d’abord une vengeance contre qui ?
Eh bien, disons-le tout de suite : une victoire contre Satan, car tout ce qui fait du mal à l’homme dans son corps comme dans son âme a une cause évidente : l’hostilité de l’Ennemi contre la créature humaine, sa volonté de l’atteindre dans ses forces vives, pour l’amener à douter de la bonté de Dieu, pour la décourager, lui enlever tout désir de s’élever. Et il y réussit assez bien, dans la plupart des cas. Pour un Job qui déclare fièrement : « si nous accueillons le bonheur comme venant de Dieu, comment ne pas accueillir de même le malheur ? » (2,10), combien se laissent prendre et accusent Dieu de les oublier et finissent par penser qu’il est inexistant. Bien sûr pour ce faire le Démon utilise le plus souvent des causes physiques qu’il se contente d’aggraver ou surtout de grouper avec d’autres difficultés pour que sa victime finisse par penser que tout se déchaîne contre elle.
Mais, me direz-vous, pourquoi Dieu laisse-t-il faire cette monstruosité, pourquoi ne vient-il pas prendre la défense de l’homme éprouvé ? Car il est quand même assez puissant pour le faire ; s’il ne l’était pas, nous n’aurions aucune raison de le prier, comme nous sommes invités à le faire.
Regardons de près sa manière d’agir. Puisque nous avons cité le livre de Job, on voit clairement que le saint homme n’est pas exempt de souffrance, mais que Dieu, malgré tout, limite celle-ci : « ne touche pas à sa vie » dit-il à Satan (2,6). Et ensuite il laisse les choses aller jusqu’au point où le démon perd la partie en n’arrivant pas à faire plier Job. Et celui-ci connait alors un renversement inattendu. Dieu ne lui a pas épargné l’épreuve, mais il a aidé l’homme à la traverser et à en sortir grandi. Sans doute fait-il ceci avec chacun d’entre nous, mais nous n’en avons que médiocrement conscience. Saint Paul, qui s’y connaissait en coups durs, a cette phrase magnifique : « à ceux qui aiment Dieu, tout coopère à leur bien » (Romains 8,28). Non que tout soit bien et heureux, mais tout coopère à notre bien, tout y mène, si nous avons pris courageusement le parti d’aimer Dieu.
N’empêche que cette situation n’est sans doute pas celle que Dieu avait voulue pour nous en nous créant, il nous avait faits pour le bonheur et pas pour la souffrance, celle-ci s’est insinuée dans la condition humaine « par la jalousie du Diable » (Sagesse 2,24), comme le rappelle le livre de la Sagesse à propos de la mort. En soi, elle ne fait pas honneur à Dieu et ce serait bien à tort que nous lui trouverions des qualités, même si, dans la situation présente, elle peut devenir un tremplin. Jésus quand il a reçu en pleine face l’objection de ceux qui lui rappelaient certains malheurs survenus de son temps (Luc 13,1-4), n’a pas prêché la résignation et le stoïcisme. Devant la tombe de Lazare, il a pleuré. On comprend bien sa joie quand il a pu rendre la fille de Jaïre à ses parents.
Telle est la revanche de Dieu, et elle est merveilleuse, même si, pour y arriver, il semble prendre parfois bien des chemins sinueux.