S’il a fait l’expérience de la mort,
c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous
L’Epitre aux Hébreux renferme des trésors. Nous ne lui devons pas seulement une réflexion d’une rare profondeur sur le sacrifice du Christ (notre Grand Prêtre qui intercède pour nous devant son Père), mais c’est tout le projet de Dieu qui se déploie devant nous dès les premiers chapitres et dont nous avons ce dimanche un aperçu saisissant.
Dieu voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire (2,10). Voilà, dit tout simplement, une vérité prodigieuse à laquelle on ne pense pas souvent et qui explique tout de notre création. Nous ne sommes pas le fruit du hasard, apparu un jour sur une planète du système solaire, Dieu depuis toujours voulait partager quelque chose de sa gloire avec des êtres qui ne sont pas Dieu, mais qui ne sont pas rien non plus : il les voulait au point de jonction du matériel et du spirituel, tenant le milieu entre l’animal et l’ange. Ils seraient à son image comme à sa ressemblance, résumés dans ce premier couple dont on nous dit que Dieu l’a pétri avec amour (comme cela nous est présenté dans la première lecture de ce jour). La gloire de Dieu, ce n’est pas son prestige, c’est la réussite parfaite de son œuvre, qui suppose notre amour répondant au sien, à l’image de cet Amour qu’est le Dieu-Trinité.
Et tout part de là : si l’homme et la femme ont préféré le mirage d’une fausse divinisation à la place de l’amour vrai et qu’ils ont fait, à cause de cela, l’expérience de la mort, ce n’est pas le dernier mot de Dieu. Celui-ci leur a envoyé son Fils, rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être, ce Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante (1,3), donc vraiment Dieu comme lui. Et ce Fils s’est fait semblable à eux en tout, car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères (2,11). En ce sens, il a été abaissé un peu au-dessous des anges (2,9) pour se mettre complètement dans la condition des hommes. Mais c’était afin d’offrir en notre nom un sacrifice qui rende enfin gloire à Dieu : au sein du plus total abandon, avec un grand cri et dans les larmes (5,7), il a consenti à la volonté du Père ! La lettre aux Hébreux nous donne par avance ce qu’on a souvent appelé le « théorème du Salut » que développera bien des siècles plus tard saint Anselme de Canterbury : « seul l’homme devait, seul Dieu pouvait ».
On est frappé de voir que très tôt l’Eglise s’est dotée d’une réflexion solide sur les bases de sa foi. On n’a pas attendu les grands docteurs du Moyen Age pour tenter de dire avec des mots justes ce que le Christ nous avait donné en venant sur notre terre. Il faut que nous aussi nous y arrivions, avec les moyens qui sont les nôtres. Nous avons à rendre raison de notre foi et de notre espérance, comme le dit saint Pierre (3,15). Et cela ne se fait pas seulement en les traduisant par du ressenti (« c’est formidable », « ça me fait du bien de croire… » etc.), il faut pouvoir dire, avec des mots à nous, mais avec tout le sérieux requis, ce que Dieu nous a révélé à travers l’enseignement de l’Eglise. Notre intelligence y a aussi sa part.