Accepter la réalité comme elle est
Le passage du livre de Job qui nous est lu ce dimanche ressemble par bien des côtés à l’enseignement célèbre de l’Ecclésiaste : « vanité des vanités, tout est vanité ! », il nous donne de l’existence humaine un aperçu assez sombre : « la vie de l’homme sur terre est une corvée ! ». L’un comme l’autre, ces deux livres bibliques correspondent à un moment de reflux après les grandes ambitions et les rêves de gloire de l’époque royale. Celle-ci s’était terminée, comme on sait, par un désastre, on a donc été renvoyé à l’expérience individuelle, à l’humble tâche de tous les jours, entre le travail et la famille, avec ses joies et ses peines. En fait de peines, il faut bien reconnaître que celles-ci l’emportent souvent sur les joies. La prière et l’obéissance à la Loi donnent seules une touche de lumière sur cette existence vouée à la mort. C’est le temps des sages et non plus celui des prophètes, il faut avancer pas à pas, Dieu fera le reste.
Cette étape a sa grandeur, on ne peut le nier. Elle balaye les illusions et met l’être humain dans sa nudité au pied de Dieu. Si celui-ci veut faire de grandes choses avec ce petit bout d’homme, il le fera, mais ce ne sera pas en considération de sa valeur intrinsèque, ce sera pure grâce ! Le pessimisme apparent de ces déclarations n’est pas le dernier mot de la Révélation, il dégage le terrain pour ce qui est notre plus haute promotion : l’union au Christ, la transformation de notre être par l’Esprit Saint, notre adoption par le Père. Les anciens Pères n’ont pas eu peur de parler de déification. Pourtant c’est du même homme que nous parlons, celui que le livre de Job nous a décrit comme un tâcheron accomplissant péniblement sa journée de travail.
Il y a, dans notre vie personnelle, la nécessité de passer par le réalisme des sages d’Israël. Savoir que nous sommes peu de chose, que notre existence passera sans que nous ayons changé grand’ chose sur la face de la terre, que nos colères comme nos enthousiasmes s’arrêteront un jour au seuil de la mort. Mais, au lieu de nous enfermer dans un ressentiment morose, nous sommes invités à nous en remettre d’autant plus aux mains de Dieu, pour qu’il fasse son œuvre en nous. Notre vie est « cachée avec le Christ en Dieu », nous dit saint Paul (Colossiens 3,3), un jour elle surgira de la mort, et là on verra tout ce que le Seigneur a fait avec cette poussière que nous étions.
La franche acceptation des contraintes de notre vie présente est le premier pas sur le chemin de la lucidité spirituelle. Mais elle doit s’opérer sans ressentiment. Ce que Dieu fait est toujours bon, tout ce qui a de l’être porte la marque du Créateur, la réalité la plus pauvre est un don du Père. Sachons apprécier ce peu qui est déjà beaucoup. Recevons-le comme un « présent », un cadeau du bon Dieu ! Tout n’est pas agréable, mais rien n’est vain, finalement : nos limites nous dispensent de l’orgueil, les lenteurs auxquelles nous sommes soumis font croître en nous la patience et nous obligent à ne pas « enjamber sur la Providence » (selon le mot de saint Vincent de Paul). Être prêt, tout est là !
Nous ne perdons rien à suivre ce chemin, le Seigneur nous a dit « où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Luc 12,34).