Un sacerdoce saint
Saint Pierre applique à ses correspondants, des chrétiens de fraîche date issus pour la plupart du monde païen, le texte de l’Exode (19,6) qui concernait Israël au moment de la conclusion de l’Alliance au pied du mont Sinaï : « je vous tiendrai pour un royaume de prêtres et une nation consacrée ». C’est audacieux, mais c’est vrai : le baptême a fait de chacun d’entre nous un prêtre, un prophète et un roi, comme il est dit au moment de l’onction après le baptême. Depuis plusieurs décennies, on a beaucoup cité ce texte de Pierre pour illustrer le « sacerdoce commun des fidèles », un thème qui n’avait pas toujours été vraiment mis en valeur dans l’Église catholique. On s’en méfiait un peu parce qu’il avait servi à Luther et au protestantisme en général, pour minimiser le sacerdoce « ministériel » (comme on l’appelle maintenant), c.a.d. la prêtrise des ministres de la nouvelle Alliance.
Le Concile Vatican II en remettant en valeur cette donnée traditionnelle a eu bien soin de marquer que les deux se distinguaient par une différence qui n’est pas seulement « de degré », mais « de nature ». Mais il n’en dit pas plus. C’est pourquoi diverses interprétations ont eu cours. Pour beaucoup, cela voudrait dire que le seul vrai sacerdoce, celui qui durera jusque dans la gloire, c’est celui des fidèles qu’ils ont reçu à leur baptême, ils partagent la dignité du Christ qui a offert en son Père le seul vrai sacrifice, qui est celui de sa vie. Pareillement les chrétiens sont invités à s’offrir en à Dieu dans toute leur existence, ils présentent, nous dit saint Pierre, des « sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ ».
Ceci est parfaitement vrai, mais rend-on suffisamment justice au sacerdoce que Jésus a transmis à ses Apôtres en y voyant seulement un moyen et un moyen provisoire (pour le temps de cette vie) d’aider les baptisés à réaliser leur vocation ? En d’autres termes, le sacerdoce de la nouvelle Alliance n’est-il qu’une fonction pour accomplir les tâches du ministère, ou n’est-il pas aussi une authentique consécration qui perdurera jusque dans l’éternité ?
Quand Jésus dit dans la « prière sacerdotale » qui termine, en saint Jean, les discours après la Cène : « je me consacre pour qu’ils soient consacrés » (17,19), il met un lien entre l’oblation fondamentale qui est la sienne vis-à-vis de son Père et celle qu’il confère, en ce moment précis, à ses Apôtres. Déjà, lorsqu’il leur lavait les pieds, il avait répondu à Pierre qui se récriait : « si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi ! « (13,8), or cette « part », c’est celle que les lévites avaient dans le culte de Dieu dans le Temple. Les onze sont donc les premiers à bénéficier de ce lien particulier avec le Christ grand prêtre qui les met à part (c’est un des sens du mot consacrer), qui les envahit de sa grâce et qui les fait participer à son sacrifice. Ensuite viendront ceux qui profiteront de leur parole et deviendront croyants ; avec eux ils partageront quelque chose de cette consécration sacerdotale, qui est au premier chef la leur. On trouvera d’utiles compléments à ces réflexions dans le dernier livre du Pape Benoit XVI en collaboration avec le cardinal Sarah qui était consacré à cette question Des Profondeurs de nos cœurs, Fayard 2020.