Le sacrifice de la messe et le sacrifice de la croix
De tout temps, les chrétiens ont su qu’ils avaient dans l’eucharistie le sacrifice du Christ rendu présent, mais ils étaient également convaincus que le Christ avait offert une fois pour toute sa vie sur l’autel de la croix, comme le dit ce dimanche le passage que nous lisons dans l’Epitre aux Hébreux : « c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice ». Jusqu’au 16e siècle, cette double certitude a pu habiter la foi de l’Eglise sans poser de problème. Avec la Réforme protestante est venu un questionnement qui a amené à suspecter la réalité du sacrifice de la messe : si ça s’est fait un jour, ce n’est plus à faire ; donc la messe est tout au plus le rappel de l’évènement passé, une manière pour nous de l’évoquer et d’en rendre grâce, mais nullement d’en attendre une grâce nouvelle…
Essayons de voir ce qu’il y a derrière cette manière de voir. Le temps, tel que nous le vivons le plus souvent, est une succession d’instants qui ne se reproduiront jamais à l’identique, un flux, « tout passe, tout coule ». Pour la Bible au contraire, certains moments privilégiés peuvent être chargés d’une intensité particulière, ils nous font revivre la grâce d’une intervention de Dieu qui a eu lieu dans le passé mais qui devient ainsi présente, et elle anticipe aussi l’avenir, elle nous fait goûter les arrhes du salut. Tel est le cas de la Pâque, où Israël revit la sortie d’Egypte et anticipe sa libération finale.
C’est une chose d’affirmer, comme nous le faisons dans chaque profession de foi, que le Christ nous a sauvés sur la croix, un certain jour de l’an 30 à Jérusalem ; ç’en est une autre de comprendre comment cet évènement peut venir nous rejoindre aujourd’hui et ici. On dira : c’est la foi qui fait le lien et qui me permet d’accepter maintenant quelque chose qui s’est passé il y a deux mille ans. C’est vrai, et il ne faut pas y manquer, mais qui m’assurera que ma foi est assez forte pour correspondre à un tel don ? Et si Jésus avait trouvé un moyen de nous rendre contemporains de l’évènement? de faire cesser la distance, en venant habiter un moment de notre histoire et d’y accomplir ce qu’il a fait une fois pour toutes ? C’est fou, oui, mais cette folie est celle de l’amour qui nous veut complétement. Et tout cela sans fantasmagorie, sans effets spéciaux, car tout ce passe dans la foi.
Ne perdons pas cette conscience qu’avaient nos pères, que le saint sacrifice de la messe est une réalité. Pouvoir y assister, c’est déjà être au pied de la croix et même si, pour diverses raisons, on ne peut pas communier, on aura déjà là quelque chose de la Rédemption.