Va !
Le deuxième dimanche de Carême de l’année A nous fait entendre ce texte essentiel qu’est l’appel d’Abraham. Le texte hébreu commence par une formule presque intraduisible : « va pour toi ! ». L’aventure du Peuple de Dieu commence par un départ, un arrachement. Même s’il y a des haltes, et même assez longues, nous sommes un peuple nomade. La fixation de la présence de Dieu à Jérusalem n’est elle-même qu’une étape dans l’itinérance de l’Arche d’Alliance. Et de Jésus saint Jean (1,14) dira qu’en s’incarnant, « il a mis sa tente parmi nous ». La tente, ce n’est pas un logement très durable. L’Église elle-même est installée dans ce qui demeure un déplacement : de Jérusalem, où elle est née, à Rome, la grande cité païenne, où elle a fixé sa demeure, comme nous le rapporte le livre des Actes de Apôtres.
Itinérance ne veut pas dire instabilité. Dieu est là qui veille et il ne laisse pas à elle-même l’errance du Père des croyants. Il reçoit périodiquement des appels à partir, mais aussi l’ordre de se fixer, au moins provisoirement, en certains lieux. La seule terre qu’il possédera jamais, c’est la grotte de Makpela, le lieu de la sépulture de Sara qui servira aussi pour lui et pour sa descendance directe. Humour : la seule possession, c’est la trace d’un départ ! Pas plus !
Qui pourrait prétendre que nous soyons destinés à un autre sort. L’auteur de l’Épitre aux Hébreux tire la leçon de l’aventure d’Abraham : « nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir » (13,14). Ne rêvons donc pas d’une stabilité qui ne serait pas celle que Dieu veut pour nous : il est lui et lui seul le Rocher et ce roc lui-même, comme l’a entrevu saint Paul, nous accompagne dans notre déplacement : « ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c’était le Christ » (1 Corinthiens 10,4). Nous pensons aussi à l’image de la colonne de nuée qui avançait dans le désert pour guider les Israélites dans leur marche sinueuse vers la Terre promise.
Le temps où nous vivons est celui d’une désinstallation, les bastions catholiques qui nous semblaient forts, les communautés nombreuses, les institutions hospitalières, le réseau de l’enseignement catholique, le maillage paroissial, tout cela est bousculé jusqu’à un point que n’imaginons même pas. Nous n’avons pas particulièrement à nous en réjouir, mais il ne faut pas non plus que nous nous découragions, comme si notre existence de fidèles du Christ y était suspendue. Nous aurons toujours les soutiens nécessaires, même dans la clandestinité, s’il le fallait.
Mais, comme tout moment de « passage », il nous faut privilégier l’essentiel sur l’accessoire, comme ceux qui doivent faire précipitamment leur bagage au moment d’un sinistre : qu’emporterons-nous avec nous : notre smartphone ou notre évangile ? Cela doit dicter nos choix même immédiats : Quels achats sont les plus judicieux ? Quelle place donner à notre formation religieuse ? Quel temps accorder à la prière ? Quel souci des pauvres ?
Écoutons saint Paul : Je vous le dis, frères: le temps se fait court. Que désormais ceux qui ont femme vivent comme s’ils n’en avaient pas; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas; ceux qui sont dans la joie, comme s’ils n’étaient pas dans la joie; ceux qui achètent, comme s’ils ne possédaient pas; ceux qui usent de ce monde, comme s’ils n’en usaient pas vraiment. Car elle passe, la figure de ce monde (1 Corinthiens 7, 29-31).