Tout ce qui s’appelle vertu
Dans le passage de l’Epitre aux Philippiens que nous lisons ce dimanche, saint Paul exhorte ses correspondants à « prendre à leur compte » des valeurs qui étaient déjà celles du monde antique, sous l’influence des philosophes : « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et mérite des éloges ». Nous retrouvons là un enseignement voisin de celui de l’Epitre aux Romains, où le même Paul déclarait que les païens eux-mêmes ont au fond d’eux une loi morale (à laquelle d’ailleurs ils ne sont pas fidèles), une loi qui consonne avec les exigences du Décalogue.
Aujourd’hui, l’Eglise n’a pas peur d’enseigner que la morale chrétienne rejoint, de fait, les exigences de la conscience de tout homme et qu’en cela elle est universelle, même si elle n’est pas reconnue par tous. C’est ce qu’on appelle la « Loi naturelle », qu’on pourrait atteindre idéalement de deux manières : par la Révélation confiée à l’Eglise et par la réflexion des hommes de bonne volonté.
Cette vision optimiste des choses rencontre de nombreuses oppositions, notamment de la part de nos amis protestants pour qui l’homme ne peut plus rejoindre l’état de nature depuis le péché originel. D’autres font remarquer que les injonctions du Christ sont paradoxales et extrêmes : loin de suivre la sagesse du monde, il nous invite à donner notre vie jusqu’au bout, à ne tolérer aucun compromis, à préférer la pauvreté, les larmes, la persécution… Quel rapport avec la Loi naturelle qui est faite d’équilibre, puisque la vertu tient le milieu entre le trop et le pas assez ?
Le divorce entre ces deux visions n’existe que si l’on a réduit la loi naturelle à n’être qu’un minimum applicable à tous, une morale ne dépassant pas l’horizon de la vie terrestre. C’est ainsi qu’on oppose également les prescriptions du Décalogue et les Béatitudes de l’Evangile. Mais l’opposition est-elle juste ? C’est le mérite de saint Jean Paul II d’avoir montré que la simple obéissance aux commandements peut être, dans certains cas, héroïque. Dans son encyclique Veritatis Splendor, très attaquée aujourd’hui, il rappelle qu’il y a des comportements qui sont intrinsèquement mauvais, qu’on ne peut adopter pour aucun bien. Or la tentation est grande, quand un intérêt vital est en jeu, de penser que « la fin justifie les moyens » comme on dit. Il ne manque pas de moraliste pour soutenir que dans certains cas extrêmes l’avortement peut être une issue légitime. Dans ce cas-là, que fait-on d’autre que de soumettre l’exigence divine à notre intérêt (mal compris) ? Le pape voit là la dimension « martyrielle » de la morale. Quand les chrétiens d’hier et d’aujourd’hui sont invités à renier leur foi, ou au moins à consentir à se taire lorsqu’on les somme de dire leur dernier mot, ils pourraient croire qu’un geste de complaisance n’engagerait pas à grand-chose, alors que leur exécution va être une catastrophe pour leur famille. Mais s’ils y consentaient, ce serait un mensonge, au moment où la vérité est en jeu. La dignité de l’être humain est justement de pouvoir engager, dans certaines circonstances, sa vie sur le bien et le vrai. Cela vaut pour toute loi morale digne de ce nom. Et des non-chrétiens eux-mêmes en ont donné l’exemple.
Sans doute, toutes les règles morales ne nous obligent-elles pas à cet extrême, et heureusement. Il est des commandements qu’on pratique sans trop de mal. C’est le rôle de l’éducation de rendre presque naturelle certains comportements vertueux. Mais la vie chrétienne nous apprend que le combat, même pour des choses élémentaires, reste toujours d’actualité, notre adhérence au « vieil homme » étant toujours vivace.
Conclusion : le Christ, en nous initiant à la vie divine, nous a entraînés vers les sommets. A nous de mener une vie digne de cette « humanité » dont il nous a gratifiés.