La joie de Pâques
Une dame russe qui assistait un jour à la vigile pascale dans une paroisse catholique de Paris me faisait remarquer que les alléluias et les congratulations qui marquaient la fin de l’office ne traduisaient pas une allégresse profonde et j’étais bien obligé de remarquer qu’il y avait du vrai dans son observation. Je cherchais la raison dans la différence entre le carême des orthodoxes (qui commence bien plus de quarante jours avant Pâques et qui comporte de vraies privations) et ce qui reste chez nous de l’austérité de la Sainte Quarantaine : il est sûr que la marche vers Pâques à la suite du Christ est bien plus marquante chez nos frères d’Orient. Mais elle me répondit que la joie de Pâques n’est pas seulement le soulagement après l’effort. Il y a, me disait-elle, dans la grande Pâque russe une saisie de tout l’être humain, corps et âme, portés par les rites, soulevés par les mélodies, labourés par l’ascèse, tandis que chez nous, les Occidentaux, la joie reste très cérébrale. Je ne pouvais que m’incliner devant ce constat.
Mais il m’est revenu à l’esprit que, deux fois dans ma vie, j’ai vécu une vigile pascale d’une manière très étonnante dans une joie profonde et débordante, qui était le fait de toute une assemblée et qui avait duré même après la fin de la messe. Pourtant, dans les deux cas, les circonstances n’étaient pas idéales, il y avait eu des tensions, de la bousculade, l’inquiétude même que les choses ne se passent mal. Or, dans chacune de ces deux occasions, ces difficultés avaient été transcendées par la force même de la liturgie, sa logique profonde, qui avait bousculé tous les obstacles et nous avaient mis devant le fait : même si tout se passe mal, Jésus est là au milieu de nous, ressuscité ! La conscience que nous prenions tout à coup de cette présence rayonnante nous avait profondément consolés des peines rencontrées et nous avaient donné une assurance à toute épreuve.
Grâce sans doute exceptionnelle, que je n’ai jamais vu se reproduire par la suite avec cette intensité, mais qui prouve que la célébration même porte bien plus que nous n’en avons conscience, la plupart du temps. Nous n’y évoquons pas la Résurrection comme un fait du passé, admis et enregistré, mais comme une nouveauté inimaginable qui nous est dispensée à nouveau ce jour-là ! Avec la foi en la Résurrection nous est donnée la résurrection de la foi, foi trop souvent endormie au fond de notre cœur. « Si tu confesses de ta bouche Jésus comme Seigneur, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé » nous dit saint Paul (Romains 10,9). Croire que Dieu a ressuscité le Christ d’entre les morts, c’est avoir une si large ouverture de foi que nous créditons Dieu du pouvoir de renverser pour une fois la loi la plus universelle, la plus absolue qui soit : tout ce qui est né doit un jour mourir et disparaître. Et quand la mort a fait son œuvre, plus rien ne peut intervenir pour ramener à la vie. Or nous croyons qu’en Jésus l’impossible est arrivé !
Préparons-nous à cela, préparons-nous à poser à nouveau cet acte de foi invraisemblable, portés que nous serons (peut-être) par les chants, l’ambiance, les lectures, mais même si rien de tout cela ne nous est donné comme nous l’attendions.
Bonne fête de Pâques !