Convaincre ou porter témoignage ?
Voilà bien une question dont on pourrait penser que la réponse se trouve dans les lectures de ce dimanche. Saint Paul en effet rappelle aux chrétiens de Corinthe que, quand il est venu chez eux pour les évangéliser, il n’a pas cherché à les charmer par ses discours, mais qu’il est allé droit au but : annoncer le mystère de la Croix, la mort et la Résurrection du Seigneur. Il ajoute : « mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ». On pourrait en déduire qu’il n’a pas cherché à leur partager sa foi en leur donnant des arguments. Certains diraient : en le voyant vivre, ils ont été convaincus sans avoir besoin de longues explications.
Ce qui pourrait renforcer cette conviction, ce sont les paroles de Jésus, quand il dit à ses disciples qu’ils sont « la lumière du monde ». Il explicite en ces termes : « que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux ! ».
Il n’en faut pas plus à certains pour soutenir que le seul témoignage crédible est celui des actes, que les paroles sont inopérantes et que la volonté de convaincre recouvre même quelque chose de malhonnête, comme une immixtion dans la vie des gens. Ceci a tellement été répété que, pour beaucoup, c’est une évidence qu’ils ne prennent plus la peine de vérifier. On a beau leur dire que le témoin n’est pas quelqu’un de muet, c’est celui au contraire qui jure de « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité », on a beau leur rappeler que Jésus a demandé à ses disciples d’ « enseigner toutes les nations », « leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Matthieu 28, 19-20). Rien n’y fait.
Comment est-on arrivé à ce paradoxe que, dans la religion du Verbe, on soit devenu si réfractaire à la transmission par la parole ? Pourtant, c’est elle et elle seule qui permet d’approcher une liberté, de lui proposer la Bonne Nouvelle, de l’éclairer et de lui rendre possible une véritable adhésion. Comme dit saint Paul : « la foi naît de l’écoute et l’écoute s’accomplit par la parole (dite au nom) du Christ » (Romains 10,17). Comment a-t-on pu confondre la parole missionnaire avec le discours prétentieux et creux, le mot d’ordre partisan, le slogan publicitaire déversé par les haut-parleurs ? Qui pourrait connaître la personne du Christ, la grandeur de Dieu, la grâce du Saint Esprit, la beauté de l’Eglise, si on ne dévoile pas tout ça à celui qui nous fait l’honneur de rester quelques instants avec nous pour nous écouter ?
Paul n’a évidemment pas fait autre chose toute sa vie d’apôtre. Après Corinthe, il est allé à Ephèse et là on nous dit qu’il « se rendit à la synagogue et, pendant trois mois, y parla avec assurance. Il entretenait ses auditeurs du Royaume de Dieu et cherchait à les persuader » (Actes 19,8). Aurait-il changé d’orientation ? Point du tout. Quand il évoque sa première annonce auprès des Corinthiens, il dit seulement qu’il n’a pas cherché l’éloquence et qu’il leur a expliqué sans longs préambules l’essentiel du mystère du salut. Mais il a cherché à leur partager sa foi, il n’a pas eu honte de leur ouvrir de nouveaux horizons. Laisser chacun à ses idées, ce n’est pas lui témoigner du respect, c’est le mépriser profondément. Si j’ai trouvé la Vie, ai-je le droit de me taire devant ceux qui courent à la mort ?
Et, quant à l’Evangile de ce jour, le Seigneur encourage certes ses disciples à vivre une vie conforme à la lumière qu’ils ont reçue, c’est une condition nécessaire, mais peut-être pas suffisante, car s’ils doivent être aussi « le sel de la terre », il leur faut assumer leur différence face au monde qui les entoure et pouvoir en rendre compte. Comment sinon par la parole ?