Je vous ai aimés
Ils ne sont pas si fréquents les textes où Jésus dit qu’il nous aime. Je n’en connais que trois : « comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jean 13,34), « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (15,12) et le texte d’aujourd’hui : « comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés » (15,9). Remarquons qu’à aucun moment Jésus ne nous dit « aimez-moi comme je vous aime ». Pour lui, l’amour ne se laisse pas enfermer dans un face à face. Celui qui l’unit à son Père s’accomplit dans l’Esprit Saint. Et nous voyons ici qu’il déborde jusqu’à nous.
Cet amour prodigieux qu’il nous porte est la surabondance de celui qu’il reçoit de son Père, tout épris qu’est celui-ci de son Unique. L’amour paternel traverse Jésus en quelque sorte, comme un torrent de montagne qui après avoir rempli une cuvette rocheuse déborde et descend plus bas dans la vallée. C’est porté par cet amour que Jésus s’intéresse à nous. Comment garderait-il pour lui un tel trésor ? Il va même très loin dans ce sens, jusqu’à dire dans le discours du Pain de vie que c’est le Père qui nous attire à lui et que lui ne fait rien d’autre que d’obéir (Jean 6,44).
Mais alors, diront certains, nous ne sommes pas aimés pour nous-mêmes ? D’habitude, ce n’est pas très agréable quand nous découvrons qu’avec nous quelqu’un recherche le souvenir de tel personnage de son passé. Si c’est son Père que le Christ aime et sert à travers nous, nous pourrions nous sentir un peu dépossédés… En fait il n’en est rien, car le reflet de son Père qu’il trouve en nous n’est pas une vague ressemblance, c’est ce qui fait notre identité la plus profonde. En nous servant par amour du Père, il expérimente toujours plus la richesse inépuisable que Dieu a mise au fond de nous. Et cette richesse, c’est nous, dans ce que nous avons de plus inimitable, c’est ce Tu que nous sommes pour le Je divin.
Saint Jean de la Croix a rendu cela d’une manière prodigieuse dans un de ses poèmes :
Le Père : Une épouse qui t’aime, mon Fils j’aimerais te donner
Qui, grâce à toi, vivre avec nous puisse mériter,
Et manger à la même table du même pain dont je me nourris,
Pour qu’elle connaisse les biens que j’ai en un tel Fils
Et que, de ta grâce et de ta vigueur, avec moi elle s’éjouisse.
Le Fils : Je t’en rends grâces, ô Père, le Fils lui répondait.
A l’épouse que tu me donneras, la mienne clarté je donnerai,
Pour qu’elle puisse voir tout le prix de mon Père,
Et comment l’être que je possède, de son être je l’ai hérité.
Sur mon bras je la pencherai : de ton amour elle s’embrasera entière,
Et en éternel délice elle exaltera ta bonté !