Pourquoi Dieu, S’Il existe, permet-Il tant de souffrances ?
La souffrance est un sujet bien délicat à traiter par écrit car pour tous ceux qui souffrent, que l’épreuve accable, anéantit même, nos pauvres mots humains sont d’un bien faible réconfort. Et comme dit Saint-Exupéry dans Le petit Prince qui venait d’éclater en sanglots : « Je le pris dans mes bras, le berçai. Mais je ne savais trop que dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment l’atteindre, ni le rejoindre. » C’est tellement mystérieux ce pays des larmes.
Oui, devant la souffrance, nous nous sentons bien impuissants et bien souvent nos paroles que nous voudrions consolatrices, heurtent. En face d’une très grande souffrance, le silence s’impose. Job a envoyé au diable ses consolateurs bien intentionnés : « Moi aussi si j’étais à votre place, leur disait-il en substance, je pourrais faire de beaux discours. C’est facile de consoler les autres quand on ne souffre pas soi-même. Et vos consolations me sont insupportables. » Jésus Lui-même ne cherchait pas à consoler, mais agissait.
La souffrance est un mystère
Il n’y a pas de doute que tous nous aspirons à la joie, au bonheur et soudain c’est le drame. Je pense à ces ménages si unis dont le foyer est soudain brisé ; à ces parents qui perdent un de leurs enfants, chair de leur chair et dont ils parlaient avec une admiration inconsciente, ou à ceux qui se réjouissent tant de la naissance d’un enfant et qui doivent accueillir un pauvre petit être handicapé qu’ils devront porter toute leur vie ; à ces enfants qui soudainement se trouvent privés de la source même de leur affection et comme égarés en ce monde ; à ces travailleurs licenciés qui s’angoissent devant leurs faibles ressources financières et leur charge familiale importante ; à ces malades dont l’activité est momentanément arrêtée et quelquefois même définitivement, et je pourrais continuer longtemps ainsi. Tant de souffrances physiques et morales nous entourent car il n’y a pas que les souffrances visibles, il y a toutes les souffrances cachées qui sont peut-être encore plus dures.
Alors un grand cri de révolte s’élève en l’homme. Même pour ceux dont la foi est solide, au moment de grandes épreuves, perte d’un être cher par exemple, Dieu paraît lointain et comme absent. Nous nous disons alorsQ Comment Dieu, le bon Dieu, le Dieu d’amour, peut-il permettre cela ? » ou Q Pourquoi lui ? pourquoi moi suis-je si éprouvée ? Je ne le méritais pas, ce n’est pas possible, Dieu ne m’aime pas. » Et pourtant Dieu est là qui nous aime.
Nous ne comprenons pas car la souffrance est un MYSTERE. Il est certain qu’aucune explication rationnelle ne saurait nous satisfaire pleinement. C’est ce que Dieu a répondu à Job qui l’interrogeait sur les terribles maux dont il était injustement frappé : « Est-ce toi, demande le Tout-Puissant, qui a créé l’Univers. la lumière… ? » Du reste, comment pourrions-nous comprendre pleinement le plan de Dieu avec notre intelligence limitée ? Heureusement. La Révélation nous apporte une lumière nouvelle.
Le risque de la liberté
Tout d’abord, la Révélation nous apprend que la souffrance est entrée dans le monde avec le péché. En effet, Dieu a voulu l’homme heureux, heureux de ce bonheur qui était le sien dans cet amour total du Père, du Fils et du Saint-Esprit de toute éternité. Il l’a invité à y participer librement.
Il nous a créés libres parce qu’Il nous aime et que l’amour ne s’impose pas. C’est là le plus grand honneur que Dieu ait fait à l’homme de le créer, libre et distinct de Lui. Mais l’homme mû par le désir de devenir égal à Dieu, a refusé Dieu et a provoqué la rupture : c’est le péché originel commis par les premières créatures qui se sont détournées de Dieu. C’est avec elles que la souffrance est entrée sur la terre et restera le lot de l’humanité jusqu’à la fin des siècles, car coupées de Dieu, elles devenaient incapables de communiquer à leurs enfants ce bonheur qu’elles n’avaient plus.
Ainsi il ne faudrait surtout pas croire que la souffrance est une punition de Dieu. C’est nous qui en nous détournant de Dieu, nous punissons nous-mêmes.
Car si nous réfléchissons bien, nous devons reconnaître qu’à l’origine de la souffrance, il y a bien souvent notre faute. Si la liberté est notre plus grand bien, si elle nous permet de nous différencier de l’animal, elle nous coûte parfois terriblement cher. Lorsque nous préférons nos mauvais instincts à Dieu, lorsque nous nous y laissons aller, nous nous mutilons nous-mêmes et nous nous éloignons de Lui. C’est cela le péché. Ce n’est pas comme on le croit
Habituellement une simple transgression à une loi, mais beaucoup plus un refus de J’amour de Dieu, un refus de faire sa volonté, un refus de répondre à son appel. Alors, notre esprit coupé de Dieu devient trop faible pour dompter la nature et nous devenons esclave des forces dont est tissé l’univers. C’est ainsi que l’excès de vitesse et l’imprudence sont le facteur dominant des accidents de la route, que les alcooliques peuplent 37 % des établissements psychiatriques, etc.
Le prix de la solidarité
Mais direz-vous, cela est juste pour ceux qui commettent la faute d’en subir les conséquences, mais comment expliquer que des criminels meurent paisiblement dans leur lit et que des êtres bons et délicats soient atrocement malheureux.
Ce scandale vient non plus de la liberté, mais de la solidarité humaine qui fait que nous nous communiquons le bien et le mal. C’est ainsi que de pauvres innocents souffrent de fautes qu’ils n’ont pas commises : enfants abandonnés, enfants d’alcooliques, etc., comme d’autres naissent dans la joie, qu’un foyer se trouve brisé par la faiblesse et l’inconscience d’un des conjoints tandis que l’autre a une vie exemplaire et pourtant il subira toutes les souffrances dues au péché de l’époux infidèle, et on pourrait multiplier les exemples à l’infini.
Alors comment Dieu qui a créé le ciel et la terre, qui est Tout Puissant, qui organise tout, voit tout, peut-il permettre tant de souffrances injustifiées ? Puisqu’il sait tout, Il savait bien que l’homme saboterait sa création. Oui, Il le savait, mais Il savait aussi qu’Il pourrait la restaurer dans une situation plus belle qu’avant et que le bilan serait en définitif positif. Si l’homme a abandonné Dieu, Dieu ne l’a pas abandonné. Et pour montrer qu’il tenait à la liberté des hommes et à leur solidarité quoi qu’il en coûtât, Il a accepté Lui-même d’en porter toutes les conséquences.
La souffrance : sabotage du plan de Dieu
Le fils de Dieu Lui-même est devenu homme. Innocent comme jamais personne ne l’a été, il est venu sur terre pour apporter aux hommes la possibilité d’aimer Dieu à leur niveau. Tout de suite, Il a souffert du péché et du mal des hommes. Ceux-ci n’ont pas voulu Le connaître, l’ont rejeté de leur ville, avec indifférence, quand ce n’était pas avec haine. Il a connu l’incompréhension de son entourage, l’abandon et la trahison de ses amis. Dire que cette souffrance n’était pas grand chose pour Celui qui était Dieu serait oublier les propres paroles du Christ « Mon âme est triste jusqu’à la mort », le déchirement de Gethsémani « Mon Père, si ce calice peut s’éloigner de moi, toutefois non pas ce que Je veux, mais ce que Vous voulez », et le cri d’angoisse et de solitude du Calvaire – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ».
Oui. la souffrance n’est pas voulue par Dieu. Elle est un sabotage de son plan. Du reste, les attitudes et les paroles du Christ nous révèlent la pensée de Dieu face à la souffrance. Il guérit les malades, chasse les démons, ressuscite les morts, non pas de temps en temps mais constamment. La souffrance, comme à nous, lui est intolérable ; il a pitié des foules. Il pleure à la mort de son ami Lazare. Il accepte lui-même de mourir pour mieux vaincre la mort par sa Résurrection.
Suivre son exemple, c’est ne pas rester impassible, ni insensible devant la souffrance, mais c’est tout mettre en œuvre pour la faire cesser.
Mais peut-être aussi faut-il profiter de nos épreuves pour repenser le sens que nous donnons à notre vie. Pour certains la vie n’a pas de sens, elle est absurde, résulte d’un hasard, se termine par une mort définitive. La souffrance ne peut ni être vaincue ni même utilisée. On souffre donc en pure perte.
Vaincre la souffrance avec le Christ
Au contraire, à en croire le Christ, la vie a un sens. Elle consiste à marcher dans une direction : celle de Dieu. Q Je suis la Lumière du monde. Qui me suit ne marche pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la vie » (Jean 8, 12). Ce n’est pas contourner l’obstacle ou le faire sauter, mais c’est transformer l’obstacle en occasion d’aimer ; c’est vouloir aborder toute sa vie comme le Christ et grâce au Christ et cela avec la force que nous lui demandons pour pouvoir constamment être ouvert à Dieu et au prochain : savoir pardonner de tout cœur, accepter par amour pour Lui une souffrance aiguë, une douleur physique, morale, etc.
Alors nous prenons conscience de notre pauvreté, de notre fragilité, de notre indigence spirituelle. Nous nous rendons compte que par nous-mêmes nous ne pouvons rien. Nous nous sentons plus que jamais dans la main de Dieu, ce Dieu que nous oublions trop souvent dans les périodes de joie et d’abondance. Le fils prodigue serait-il retourné vers son père s’il n’avait pas été dans la misère ? (Luc XV, 11-21). Relisons lentement ce passage en pensant que le fils prodigue c’est nous ; regardons Dieu, le Père, se précipiter vers nous. Il est là, Il nous attend. Profitons-en pour nous réconcilier avec Lui si pendant un certain temps nous l’avons délaissé. Et comme dit le Psaume 119 Q Avant d’être affligé, je m’égarais ; maintenant j’observe ton message ».
Et peu à peu, nous devenons capables de mieux comprendre nos frères qui souffrent et de les aider. Alors notre souffrance qui, peut-être, nous a révoltés et éloignés de Dieu, au départ, acceptée et offerte au Christ en union avec celles qu’il a Lui-même vécues, ne restera pas stérile mais aidera tous ceux qui cherchent ou luttent à trouver le chemin de Dieu.
Oui, Dieu sait notre faiblesse, Il ne nous a pas caché les difficultés du chemin à parcourir sur cette terre. Il nous a même enjoint de porter notre croix et de Le suivre. Notre croix ! Non pas celle que nous voudrions choisir en un moment de grand élan mystique mais la croix quotidienne, banale, du travail fastidieux, de la vie monotone, de la solitude, de l’incompréhension des proches, de l’abandon des amis, mais aussi la croix des drames de l’existence.
Chacun de nous a traversé ou traversera ces moments très durs où à la suite d’épreuves, on perd pied, on se sent absolument sans courage. On a l’impression de se heurter à un mur tant la douleur nous accable, nous anéantit, d’être dans un tunnel, de ne plus y voir clair, de ne plus savoir ce que Dieu attend de nous. A ces moments-là offrons-lui notre vie qui nous paraît si abîmée par les circonstances, c’est le plus beau témoignage d’amour que nous pouvons lui faire, et petit à petit Dieu nous amènera par des chemins quelquefois obscurs et détournés à réaliser notre vraie vocation de chrétien et rappelons-nous que tout tunnel débouche sur la Lumière.
Aussi si seuls, si incompris, si abandonnés que nous soyons, tournons-nous vers Lui et demandons-Lui sa force et son aide qu’il ne peut nous refuser. Oui, cher lecteur, ce sont des périodes presque héroïques à supporter et que nous devons vivre uniquement de fidélité et de confiance en Dieu. De quoi demain sera fait, Dieu seul Le sait, mais Il nous aidera dans la mesure où nous lui ferons confiance. Notre plus grand tort est d’envisager l’avenir en comptant d’abord sur nous et sur Dieu après et c’est pourquoi nous sombrons dans le découragement.
Une fois que le grand ermite saint Antoine eut surmonté sa détresse, il demanda « Où étiez-vous Seigneur, pendant tout ce temps ? » Et il lui fut répondu « Plus près de toi que jamais ».
Même si nous n’avons plus la force de prier, laissons-nous porter par la prière des autres, jusqu’à ce que nous soyons capables de prier avec eux et pour eux et nous.
Comme disait cette grande malade : « Quand on est démuni de l’essentiel, on est bien obligé de remettre en question l’idée du bonheur. Pour moi qui souffre journellement, le bonheur consiste à souffrir dans l’espoir, c’est-à-dire en sachant que ma douleur est utile pour sauver les hommes. Dès que je souffre avec désespoir, il arrive que je pense au suicide, je sens que je manque d’air ; le bonheur m’échappe. Mon vœu est de m’unir plus totalement aux souffrances du Christ. Je sais que sans Lui je ne serais plus de ce monde. »
Ou cette autre qui fut très éprouvée : « Et puis il y a eu cette redécouverte de l’Amour après être passée par la souffrance, après avoir désespéré de l’amour de mon mari, de tout amour, de celui même de Dieu, je crois.
« J’ai su ce que c’était que d’être une morte ou plutôt une vivante sans espoir, rivée à l’instant présent, vide de pensée, incapable de porter autre chose qu’un travail matériel écrasant, n’ayant plus la force que de me traîner seconde après seconde. Le jour où, au bout de tout cela, on découvre un sens à la vie, à la souffrance, tout est transformé et cette vie de morte devient une vie de vivante. »
« Le bonheur, c’est quelque chose que l’on porte en soi. Une espèce de joie ardente, une paix confiante, une sorte de vie en plénitude où il n’y a rien de trop, une richesse qui vous permet d’accepter les peines et les souffrances aussi bien que les joies, de porter à la fois la beauté et la misère du monde. Plus détachée peut-être, mais indifférente, oh non. Pleinement consciente des pauvres limites humaines et aussi de nos possibilités de les dépasser. Pleinement consciente de notre égoïsme et certaine, pourtant, de pouvoir petit à petit en se flattant avec soi-même se vaincre et aimer enfin gratuitement le monde entier et soi-même en un unique amour: Dieu. »
Je pourrais vous donner de nombreux témoignages. Les réponses sont toujours la même : à travers les souffrances, ces chrétiens ont rencontré l’amour infini du Christ qui en ressuscitant a triomphé du mal et nous appelle à partager sa victoire et sa joie. Cette joie spirituelle ne peut disparaître, elle peut épouser les plus grandes souffrances. C’est elle qui faisait dire à saint Paul en prison : « Je surabonde de joie dans mes fers » et à cet enfant de douze ans, condamné d’une leucémie et qui avait accepté la volonté de Dieu : « Ce que je suis heureux » alors que tout son corps était broyé par la souffrance du mal qui le rongeait. Evidemment, il ne s’agit pas d’un bonheur humain mais d’une paix et joie profonde que Dieu donne à tous ceux qui l’aiment et le suivent.
Souffrir sans aimer est la chose la plus atroce, mais comprendre qu’à travers elle, en luttant contre elle, on rejoint l’amour du Christ, alors tout change.
« Solution de chrétien » dira-t-on en lisant cette notice. Oui. Mais existe-t-il en dehors du christianisme une réponse meilleure? Ce n’est pas le christianisme qui a inventé la souffrance. Celle-ci est un mystère inéluctable par rapport auquel il faut se situer. Si la réponse chrétienne est celle qui comprend le mieux le problème de l’homme et qui lui permet de se dépasser lui-même pour un plus grand bien sans sombrer dans le désespoir, n’est-ce pas là un signe de sa vérité ?
Rencontre – Basilique de Montmartre – cum permissu superiorum.
Le progrès de la science et des techniques ne rend-il pas la religion inutile ?
Depuis cent ans, la vitesse maximum atteinte par l’être humain est passée des moins de 100 km/h des premiers trains à vapeur aux 30 000km/h des satellites habités. La découverte de la relativité et des quanta et celle de l’énergie atomique qui en découla ont mis en cause les bases mêmes de la civilisation. L’évolution n’est plus une hypothèse mais une certitude qu’il paraît aussi difficile denier que la structure du système planétaire. Ne serait-elle pas également l’explication de l’avenir ? Les synthèses récentes des substances chimiques aux limites du minéral et du biologique permettent d’envisager, à plus ou moins longue échéance, l’analyse scientifique de la vie. Et que dire de la cybernétique, de la psychologie ou de la sociologie dont le développement au cours du dernier quart de siècle tient du prodige qui rendent compte des mécanismes profonds de l’homme, dont l’étude qui était autrefois réservée aux seuls théologiens. Devant un tel progrès, la religion n’est-elle pas destinée à disparaître ?
Pour répondre à cette question, nous verrons successivement :
– Qu’il existe des problèmes que la science ne résout pas et que le développement des techniques oblige à poser avec toujours plus d’acuité ;
– Qu’il existe un domaine de réalités qui ne sont pas soumises aux critères scientifiques et qui ne sont pas atteintes par la marche du progrès technique ;
– Que la religion se situe précisément dans ce domaine et qu’elle donne les réponses les plus précises et les plus constructives aux problèmes que le progrès pose aux scientifiques.
Le développement de la science pose à l’homme des questions
Pour situer la religion à sa juste place face à la science, il faut essayer de faire le bilan des changements opérés récemment dans le monde scientifique et technique. Ceux-ci peuvent se classer autour de trois têtes de chapitre : progrès des connaissances, progrès de la puissance mise au service de l’homme, apparition d’un nouveau type d’homme scientifique et technicien.
On constate que chaque ligne de développement comporte une contrepartie.
Des interrogations, suscitées par ses découvertes, se dressent devant l’homme
– Sur quelles bases s’édifie l’explication scientifique ?
– Comment orienter le progrès pour qu’il apporte le bonheur et non la destruction de l’homme ?
– Quel idéal humain doit-on promouvoir ? Est-ce bien celui du scientifique et du technicien ?
a) Le progrès des connaissances scientifiques a-t-il des limites ?
Le progrès scientifique est d’abord l’extraordinaire progrès de la connaissance que l’homme a du monde. Des milliers d’expériences ont été effectuées, des hypothèses vérifiées. Tant par l’exploration de l’espace extérieur que par l’analyse de la structure de la matière, la recherche scientifique a mis en évidence des univers nouveaux. Ne peut-on espérer qu’un jour tout pourra s’expliquer scientifiquement ? Répondre à cette question. c’est déjà s’engager en dehors de la science.
La science, quoiqu’on en ait dit, n’explique rien, elle se contente de décrire. Elle essaie de coordonner les faits grâce à des formules mathématiques et d’enserrer l’image de l’ensemble du monde dans une théorie unique. Bien sûr, la logique de ces équations, la cohérence et la simplicité des théories apportent une satisfaction à l’esprit humain qui « comprend f mieux le monde. Mais supposons que, dans le meilleur cas, la science puisse tout réduire à une unique équation qui résumerait en elle tous les événements de l’univers, la question se poserait encore : pourquoi cette équation ? D’où vient-elle ? Quelle est sa valeur ?
La réponse est d’autant plus difficile à donner qu’un domaine échappe obligatoirement à une telle équation universelle. C’est celui du travail concret de recherche grâce auquel elle a été établie. Supposons en effet quelqu’un qui affirme que le choix de la vocation scientifique, la prise en considération de telle ou telle piste de recherche, l’adoption d’hypothèses qui s’avèrent insatisfaisantes, puis leur rejet découlent d’une loi immuable. Il est acculé à une vision fataliste de la vie. C’est la disparition de tout sens critique, de toute liberté du chercheur et finalement, de tout effort et de tout l’esprit créateur dont la recherche se nourrit. C’est la mort de tout progrès.
Mais en sens inverse, si la nature n’est pas entièrement régie par des lois, si l’indéterminisme y a sa place, comment se fait-il que la science enregistre des réussites ? Quelle est la part du déterminisme et celle de l’indéterminisme ? Quel crédit accorder à une affirmation scientifique donnée ? Pourquoi la logique mathématique s’applique-t-elle efficacement à l’analyse des choses ? « Le plus incompréhensible est qu’on y comprend quelque chose f, disait Einstein. On est face au mystère de l’esprit humain et de ses rapports avec l’univers. La méthode scientifique aide à le cerner mais non à le résoudre.
b) A quoi va servir le progrès technique?
Le progrès scientifique est indissolublement lié au progrès technique. Une puissance toujours plus grande est mise entre les mains de l’homme. L’énergie nucléaire et bientôt thermonucléaire apporte avec elle une richesse impressionnante de moyens d’exploitation de l’univers. En même temps, la vitesse des communications s’accroît. Le monde, en quelque sorte, se rétrécit. Un événement survenu en Asie trouve son écho dans l’opinion européenne quelques heures plus tard. Et tout cela n’est pas réservé à quelques spécialistes, mais livré à l’homme de la rue dont le confort augmente, dont les loisirs deviennent plus variés, et dont la culture s’approfondit.
Mais à mesure que l’humanité trouve les moyens de s’unifier, et qu’elle prend conscience d’avoir entre ses mains une puissance capable de conquérir l’univers, elle se rend compte qu’elle se trouve à une croisée de chemins. On connaît le drame des savants atomistes qui se sont aperçus à la suite de la première explosion nucléaire que l’outil qu’ils avaient livré à l’humanité pouvait être un instrument de mort en même temps que de vie. L’humanité peut se servir des moyens mis entre ses mains par la science pour son bien ou pour sa destruction. Il est aujourd’hui possible à l’homme de détruire l’humanité. La question se pose alors, angoissante : comment utiliser la puissance technique pour ne pas aboutir à la catastrophe? Et d’abord est-ce possible ? L’homme a-t-il été libéré par la science ou est-il un apprenti sorcier en passe d’être asservi par les puissances qu’il a mises en action ? Comment se servir des moyens de communication perfectionnés pour que le monde ne devienne pas un immense camp de concentration ? Quelle orientation donner à l’évolution de l’homme ? Vers quel idéal doit-il tendre ? Grâce au progrès scientifique, l’humanité est aujourd’hui semblable à un adolescent arrivé à la fin de sa croissance physique. Une question se pose à lui : la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Et si oui, pourquoi ? Il peut y avoir un suicide collectif de l’humanité comme il y a des suicides d’adolescents incapables de répondre à ce « pourquoi f. Si la science oblige à se poser cette question, n’est-ce pas parce qu’elle n’en possède pas la réponse ?
c) Quel idéal proposer à L’homme moderne ?
Il semble cependant qu’il y a une échappatoire à cette impasse. Le progrès, ce n’est pas seulement connaissances nouvelles ou conquête matérielle de l’univers ; c’est aussi un nouveau type d’homme qui apparaît. La science exige du chercheur ou du technicien honnêteté intellectuelle et morale, sens du travail en commun, esprit critique en même temps que créateur, sens des réalités concrètes, persévérance dans le travail, pour ne citer que quelques traits. N’est-ce pas là l’idéal moral qui peut remplacer avantageusement l’idéal religieux ? La question ne peut pas être résolue aussi vite. Si le progrès scientifique et technique exige de l’homme toutes ces qualités, celui-ci est libre de les acquérir ou non. Tout dépend de l’idéal auquel il adhère. Cet idéal peut bien sûr être le progrès de l’humanité en tant que tel. Mais cela peut être aussi l’attrait de la recherche ou l’enthousiasme d’une puissance extraordinaire livrée entre ses mains. Mais alors on risque de canoniser l’apprenti sorcier ou le technocrate. Quelles sont les limites de la recherche, en particulier de la recherche sur l’homme ? Comment définir cet idéal scientifique pour qu’il ne devienne pas de fait monstrueux. Comment y intégrer ces expériences humaines fondamentales que sont l’amour, la paix du cœur, la joie ? Pour cela, il faut se situer par rapport à un Absolu qui donne un sens à la vie et, à nouveau, dépasser le niveau purement scientifique et technique.
Toutes ces remarques montrent bien que loin de se suffire à lui-même le progrès de la science et des techniques postule une réflexion et des prises de position individuelles et collectives qui le dépassent. Reste à savoir dans quel ordre d’expériences humaines il faut en chercher la source.
Au-delà du monde scientifique, le monde des relations de personnes
Les questions qui viennent d’être posées à la lumière du progrès scientifique et technique ne sont pas absolument neuves. Les hommes n’ont pas attendu les XIXe et XXe siècles pour demander Q qu’est-ce que la vérité ? f, pour s’inquiéter de leur avenir, pour essayer de définir un idéal pour l’humanité. Spontanément ils s’adressaient à ce qu’ils appelaient le bon sens populaire, les hommes d’expérience, les oracles, les maîtres de sagesse. Ils sentaient qu’il y avait là un monde qui émergeait du cours de l’histoire, ils percevaient l’existence de réponses éternelles à des questions éternelles. Quelques exemples permettront de mieux situer un tel monde.
a) Des certitudes autres que mathématiques
Lorsqu’un jeune homme dit à sa fiancée : Chérie je t’aime, la jeune fille sait avec une certitude absolue qu’elle dit vrai en répondant : Je t’aime aussi ». Il n’y a chez ces deux jeunes gens aucun calcul mathématique. Leur démarche est pourtant pleinement rationnelle. Un jour peut-être, diront-ils, toujours avec la même certitude: Nous le ferions encore si c’était à refaire. D’où viennent la force et la lumière de leur adhésion ? De ce qu’ils ont apprécié leurs valeurs réciproques. Ils ont senti que leur rencontre donnait une profondeur, une densité, une dimension nouvelle à chacune de leurs existences. Ils ont perçu la joie qu’on éprouve lorsque la vie prend un sens. C’est ce sens de la vie, d’une vie vraie et pleine, qu’ils viennent de découvrir qui fonde leur certitude. La logique, le raisonnement n’en sont pas absents, loin de là, mais ils sont d’une autre nature que ceux d’une analyse scientifique.
b) Des valeurs qui ne sont pas sujettes à évolution
Qu’est-ce qui fait courir le monde, dis-moi, le sais-tu ? demande la chanson… et elle ne répond pas.
Ce qui est certain c’est que tous les hommes cherchent le bonheur, la joie. Seulement, chacun les situe à sa manière, l’un dans la richesse, l’autre dans l’action, le troisième dans l’amour. La valeur de chacune de ces perspectives vient de ce qu’elles sont toutes l’occasion de rencontres personnelles toujours actuelles et toujours épanouissantes au-delà des modalités concrètes qui évoluent avec l’histoire. La richesse peut se manifester par un grand nombre de têtes de bétail chez le nomade, ou un compte en banque fourni chez le businessman. Elle intéresse surtout par la considération qu’elle suscite, l’influence qu’elle donne, la fréquentation de gens importants qu’elle permet. Les joies de l’action, que celle-ci soit guerrière, politique ou commerciale, ne dépendent pas tant des moyens mis en jeu que de la collaboration qu’elle permet avec d’autres libertés, de l’épanouissement des valeurs de chacun qu’elle favorise.
On peut concevoir enfin deux amoureux qui s’aiment autant dans uneQ Caravelle f que dans un char à bancs mérovingien. C’est que leur amour ne dépend pas des sujets de conversation qui ont pu changer. Le bonheur qu’ils goûtent vient de la communion qu’ils réalisent dans le don mutuel de leur vie. A ce niveau, c’est déjà une sorte d’éternité dont ils ont l’expérience et qu’aucun progrès technique ne saurait atteindre.
c) Un ordre des fins qui se distingue de l’ordre des moyens
On s’est demandé à plusieurs reprises s’il fallait démolir la Tour Eiffel. Pour trancher la question, on a mis en avant les faibles risques d’accident, les frais de démolition, le bénéfice financier des visites, l’utilité pour l’O.R.T.F. Bien que sa silhouette soit particulièrement typique du ciel parisien, il ne semble pourtant pas qu’en cas de catastrophe on soit tenté d’en reconstruire une reproduction. En tout état de cause, le fait qu’Eiffel ait construit un chef-d’œuvre de calcul mathématique n’est pas intervenu dans la discussion. Il ne viendrait à la pensée de personne de démolir Notre-Dame. Quels que soient les frais de réparation, on essaiera de la sauvegarder. Au besoin, comme l’a déjà fait Viollet le Duc, on reproduira telle ou telle partie qui a subi les outrages du temps. Toutes les ressources de la technique seront mises en œuvre pour la sauvegarde de ce chef-d’œuvre. C’est qu’on découvre dans une œuvre d’art telle qu’une cathédrale gothique quelque chose de plus que le calcul. Un mouvement, un élan, une harmonie, une grâce s’y révèlent qui assument la perfection géométrique de la maçonnerie, mais la dépassent, La technique se juge par son utilité ou son inutilité. Elle est au service de l’homme. Au contraire la beauté s’impose à l’homme et l’oblige à la respecter, l’admirer, la servir. Quelque chose d’analogue se retrouve dans le cas de l’amour. Un jeune homme qui épouse une jeune fille pour les avantages que cela peut lui procurer ne sait pas ce que c’est qu’aimer. Au contraire, s’il aime vraiment sa fiancée, il est prêt à tous les sacrifices pour elle.
Ces exemples permettent de faire la différence entre ce que 1’on appelle l’ordre des moyens et l’ordre des fins. Les moyens se jugent par leur utilité ou leur inutilité. Telles sont la technique et ses productions, la recherche et ses hypothèses. Au contraire, les fins ne servent à rien, elles sont là et appellent l’homme à les admirer, à les aimer, à s’arrêter en elles. C’est en se vouant à leur service jusqu’au sacrifice qu’on trouve, dans la communion à un idéal, le plus profond bonheur possible.
La religion fait partie de ce monde des relations entre personnes. Elle aussi suppose des certitudes autres que purement mathématiques ; elle aussi fait expérimenter des dimensions autres que celles du progrès technique ; elle aussi dirige l’action non pas selon l’utilité ou l’inutilité mais en fonction de finalités suprêmes. Il reste à savoir si l’existence de la foi est purement extérieure au monde de la science et de la technique et donc lui est indifférente ou, au contraire, si elle apporte quelques éclaircissements aux problèmes fondamentaux que le progrès pose à l’homme.
La religion répond au problème du scientifique
Les questions que le progrès de la science pose au scientifique se ramènent finalement à trois : existence d’un monde au-delà du niveau scientifique, place de l’homme face à ce monde, place de l’activité scientifique à l’intérieur de l’ensemble de l’activité humaine. C’est précisément le propre d’une religion que de répondre à de tels problèmes. Mais quelle religion choisir ? Une réflexion sur la science ne donne pas bien entendu de réponse à cette question, mais il est cependant possible de définir quelques caractéristiques d’une religion acceptable pour l’homme moderne.
a) Une clef de voûte : Dieu Amour
Le scientifique, en réfléchissant sur son activité, sur le progrès du monde, prend conscience de ce que l’univers a un sens, qu’il est compréhensible. Il y a, dans les événements et dans les choses, une logique profonde. L’homme peut, bien sûr, nier cela en affirmant que tout est absurde, mais ainsi il attaque les bases mêmes de toute science, c’est un véritable suicide intellectuel. Au contraire, si l’homme reste logique avec son comportement habituel, il est obligé d’affirmer que sa vie et celle de l’humanité doivent avoir un sens. Mais où trouver celui-ci ? Le progrès en tant que tel est insuffisant, il porte sur la vitesse de marche, non sur la direction. Il faut donc faire appel à une autre expérience humaine pour découvrir cette dernière. Il semble qu’à ce niveau l’amour seul puisse constituer une base de départ suffisante. C’est l’amour qui donne le meilleur sens à une partie au moins de la vie de l’homme et lui permet d’unifier vie familiale, professionnelle et sociale. Mais aucun amour humain n’est parfaitement satisfaisant. On est toujours plus ou moins déçu par celui qu’on aime. L’amour est rarement assez fort pour assumer réellement toutes les activités d’un homme et conserver fidélité et ardeur tout au long d’une vie. Et pourtant l’homme continue à désirer un amour parfaitement transparent, éternel, total. D’où peut bien lui venir ce désir puisque l’expérience quotidienne n’a pas pu le mettre en son cœur? Si l’on ne veut pas retomber dans le cercle vicieux ou dans l’absurde, il faut admettre qu’au fond de chaque homme retentit un appel dont l’origine dépasse l’univers. Cela suppose l’existence d’un Etre absolu qui fonde la marche du monde et attire toute chose vers lui dans l’amour. Seule une réponse personnelle à un tel appel permet alors à l’homme de trouver le véritable sens de son existence et de celle de tout être.
b) Une relation concrète avec Dieu
Lorsque le scientifique regarde autour de lui, il est souvent horrifié. Dans le monde moderne, à cause de la solidarité extraordinaire qui lie les hommes les uns aux autres, les moindres déficiences s’ajoutent les unes aux autres. Petits égoïsmes, vanités, lâchetés, sensualités qui autrefois auraient passé inaperçus, s’additionnent avec une logique implacable et risquent d’influencer la marche même du monde. Une guerre n’est plus aujourd’hui un problème posé à quelques hommes d’élite. La paix dans le monde dépend du niveau moral de l’ensemble de l’humanité. Mais comment réaliser dans la vie de chaque jour cette pureté, cette disponibilité, cette ouverture, ce désintéressement indispensables si l’on veut éviter les pires catastrophes. C’est possible à la seule condition que ce Dieu dont on a trouvé l’existence ne reste pas une réalité intellectuelle. Il faut qu’Il se fasse tout proche de l’homme, lui accorde les moyens concrets et même matériels de vivre Son amour, qu’il contrebalance par une solidarité dans le Bien le terrible engrenage des déficiences et enfin qu’Il donne un sens même à là souffrance et à la peine des hommes, apparemment absurdes et scandaleuses.
c) Une foi qui ne détruit pas la science, mais achève l’homme
La science, depuis deux siècles, a donné à l’homme une nouvelle conscience de lui-même. Toute vision globale de l’homme et du monde, et la religion en est une, ne peut être admise que si elle respecte cet acquis. Autrement dit, une religion ne peut être humaine que si elle est une. prise de position raisonnable. Or, aujourd’hui cela suppose une attitude vis-à-vis du progrès scientifique qui ne soit pas une simple négation. Il faut, au contraire, que la religion montre comment les acquisitions de la science permettent un approfondissement de la conception de Dieu. Elle doit indiquer comment la puissance mise au service de l’homme doit être utilisée pour son bien, pour le bien de ses frères. Finalement, c’est de la religion qu’on attend le moyen de concilier un travail matériel. scientifique, technique avec la recherche de Dieu.
Témoignage d’un scientifique
L’auteur de ces lignes est un scientifique chrétien. A un moment de sa vie, il a affronté jusqu’à l’angoisse les tensions entre science et foi. C’est finalement en découvrant les profondeurs de la foi chrétienne qu’il a personnellement résolu le problème. Seul le Dieu de la foi chrétienne lui a paru digne des exigences d’amour que porte en lui le mouvement du monde et de l’humanité. Dans la rencontre de Jésus-Christ, Fils unique de Dieu venu au milieu des hommes, il a trouvé une amitié concrète capable de bouleverser la vie d’un homme, de lui donner perfection, ouverture et rayonnement à l’échelle du monde. La mort du Christ et sa résurrection lui ont paru la seule réponse à l’anxiété d’un monde placé devant un avenir si lourdement handicapé par les déficiences humaines. La charité chrétienne enfin, vécue dans l’Eglise, lui a paru le moyen le plus adéquat et le plus efficace pour mettre au service du bonheur des hommes les acquisitions du progrès et unifier très concrètement travail scientifique et union à Dieu.
Toutes les religions ne se valent-elles pas ?
Le spectacle des Hindous qui prient sur les bords du Gange à Bénarès ou des Musulmans du Maghreb qui arrêtent tout travail et se prosternent en pleine rue à l’appel du muezzin pose toujours à l’homme de culture occidentale une question fondamentale. Le Christianisme est-il vraiment une voie privilégiée pour aller à Dieu ? Les autres religions ne sont-elles pas également bonnes ? Le choix d’une religion n’est-il pas question de tempérament, de civilisation et donc simplement de naissance ? Pour essayer de répondre à ces questions, nous examinerons successivement :
I – L’attitude de l’homme en quête d’une religion.
II – Le tableau des divers types de religions entre lesquelles le choix est possible.
III – Quelques suggestions pratiques pour guider la recherche.
A la recherche d’une religion
On peut se poser la question de la pluralité des religions simplement par curiosité ; mais une telle attitude d’esprit ne permet qu’un regard superficiel sur le fait religieux. Il n’en est pas de même quand l’homme, qui s’interroge à ce propos, est déjà à la recherche de Dieu. En effet, il a alors découvert que l’Absolu était une personne parfaitement libre et souveraine. Il désire Le rencontrer mais il sait que Dieu ne peut être rejoint en dehors d’un rendez-vous concret qu’Il a Lui-même révélé à l’homme. Celui-ci doit donc interroger ceux qui se disent envoyés par Dieu pour savoir si leur mission est effectivement vraie. Cependant, face à la multiplicité de témoignages qui s’offrent à lui, il est dérouté.
a) Des éléments communs dans des perspectives contradictoires
Une première solution semble toute simple. Dans toutes les religions, on trouve des rites semblables (repas, purification), des prières de même type (adoration, demande, action de grâces), des images apparentées (création, catastrophe initiale, fin du monde, royauté divine), des institutions comparables (sacerdoce, enseignement, consécration à Dieu). Mais en même temps on observe des options religieuses contradictoires. N’est-ce pas le signe du mal qui ronge le cœur des hommes ? Ne faudrait-il pas réduire toutes les religions à leur commun dénominateur pour y découvrir la trace de Dieu ? Mais, faire cela serait appauvrir effroyablement le message de chacune d’elles. Cela équivaudrait à établir le portrait robot d’un homme qui ressemblerait à une centaine d’individus pris au hasard.
b) La personnalité de chaque religion
Au contraire, il faut se rappeler que dans une religion c’est l’homme qui cherche a exprimer son contact avec Dieu grâce à des manières de faire humaines. Celles-ci sont comme une langue dont le vocabulaire n’est pas infini. Il est tout normal que, pour exprimer une purification, on se serve spontanément du symbole du bain, que l’autorisé prenne les traits d’un roi et que la création apparaisse comme une fabrication du monde par un Dieu artisan. Ce qui compte alors ce ne sont pas les images utilisées, mais leur sens synthétique, la relation à Dieu qu’elles incarnent. Chaque religion a sa personnalité, son originalité. C’est dans ses profondeurs qu’il faut chercher l’écho de Dieu. Seulement, si Dieu est unique, il n’apparaît pas possible qu’Il se révèle aux hommes de façon contradictoire. Dans la mesure où elles s’opposent, les religions ne peuvent donc être toutes révélées de façon équivalente. Comment alors concilier cela avec le fait qu’un Dieu unique est le Dieu de tous les hommes ? N’est-il pas scandaleux qu’Il se révèle à quelques privilégiés? Mais derrière la question se cache un présupposé. Chaque homme souhaite, plus ou moins consciemment, que la révélation divine se présente à lui sans intermédiaire, à la manière d’un Q Chemin de Damas f qui l’obligerait à croire. Mais, forcer Dieu à intervenir dans le monde de cette façon uniforme, c’est limiter sa liberté et sa puissance. Il apparaît au contraire beaucoup plus conforme à la Sagesse divine que Dieu respecte les libertés qu’il a créées en les chargeant de transmettre une révélation confiée à quelques-uns. Aussi, à l’action proprement divine, il faut ajouter les contre-courants créés par la paresse, l’égoïsme, l’ignorance, la faiblesse et le péché des hommes qui en sont les échos. Il y a là de quoi expliquer la multiplicité des religions.
c) Découvrir un ordre de valeurs
En poussant à la limite les explications précédentes, on sera tenté d’affirmer que toutes les religions se valent, qu’elles sont comme des voies, toutes imparfaites, qui convergent à l’unique sommet de la montagne. C’est évidemment une hypothèse qu’il est possible d’émettre mais, à nouveau, elle réduit l’acte de révélation à une action unique de la liberté divine, répercutée de diverses façons, toutes équivalentes. Or, on peut également supposer que Dieu, avec une pédagogie consommée ne se révèle pas tout entier du premier coup mais agit avec mesure, préparant peu à peu l’humanité à la Révélation définitive. Seule une telle hypothèse rend parfaitement compte du fait religieux judéo-chrétien. Elle suppose que les religions n’ont pas la même valeur. Chacune présente une attitude face à l’Absolu divin plus ou moins parfaite ; et, en même temps, annonce et promet un dépassement de sa figure historique limitée.
Appartenir à une religion donnée, y adhérer de toutes ses forces, c’est donc être animé d’un mouvement divin qui pousse à la recherche. Supposons un Hindou qui vient en pèlerinage à Bénarès. Il fait ainsi un acte authentique d’adhésion à Dieu mais, pour être véritablement religieux, il faut qu’il découvre que ce n’est pas un geste magique ou superstitieux qui lui achèterait le salut. Il faut qu’il attende une grâce divine qui dépasse ce qu’il en expérimente dans les rites qu’il effectue. Dans certaines circonstances, l’individu ira jusqu’à percevoir des raisons suffisantes pour quitter la religion dans laquelle il est né et pour en adopter une autre qu’il découvrira meilleure. Dans d’autres cas, de telles raisons ne peuvent être découvertes que par un observateur d’une religion plus haute. C’est ainsi que les Juifs et les Musulmans comprennent mieux les insuffisances du fétichisme que les païens vivant dans la terreur de leur sorcier.
Dans les pages qui suivent c’est un chrétien qui examine les diverses attitudes religieuses pour essayer de trouver la vérité qui est en chacune d’elles ainsi que l’élan de recherche de Dieu qui les anime et dont il trouve le courant principal dans l’Histoire Sainte judéo-chrétienne.
Les types religieux fondamentaux
L’étude des diverses religions permet de classer en deux types fondamentaux les attitudes de l’homme face à l’Absolu.
Dans les religions naturelles, l’homme découvre Dieu comme créateur à partir de ses traces dans l’univers. Il répond à cette connaissance par une réaction spontanée. Mais, à cette occasion, il prend conscience de ses diverses aspirations insatisfaites et se pose le problème du mal et de la souffrance. L’ébauche de solution qui y est apportée s’avère inadéquate et oblige à une nouvelle recherche.
Les religions issues de l’Ancien Testament reconnaissent Dieu à partir de son intervention dans l’histoire où Il se choisit un peuple, le guide et le sauve. Le judaïsme et l’islam recueillent le sens de cette histoire, Q La Parole de Dieu », sous la forme d’un Livre. Le Christianisme croit que cette Parole divine est totalement réalisée dans l’Homme-Dieu : Jésus-Christ.
A. LES RELIGIONS NATURELLES
Les comportements de l’homme face à la divinité dans les religions naturelles se distinguent selon l’importance qu’elles accordent, comme source de la connaissance de Dieu, au message des forces de vie, à celui de la conscience humaine ou encore à la constitution sociale de l’humanité.
1) Les religions primitives
Dans les religions dites Primitives, Dieu est découvert comme l’auteur de la vie. Il est, par le fait même, maître de la mort. Pour se sauver du malheur, il faut communier à la puissance divine et pénétrer ses secrets.
a) Chez les peuplades au stade de la cueillette, la divinité est sentie comme une Providence qui assure à l’homme sa pitance quotidienne grâce aux fruits qu’il trouve dans la forêt.
b) Chez les peuples chasseurs, la divinité se rencontre dans le combat à mort avec des bêtes ou des hommes. Elle est la puissance invincible qui réclame soumission à ses serviteurs, mais se communique à eux.
c) Chez les peuplades à civilisation agraire, Dieu est représenté par les forces de fécondité et d’ordre de l’univers qui assurent à l’homme la nourriture. la santé, la sécurité. La mort n’est qu’un hiver auquel succède le printemps de nouvelles naissances. L’homme est appelé à collaborer spontanément à ce cycle de morts et de renaissances qu’il observe dans ses champs et dans son bétail. Par le sacrifice, il réalise un merveilleux échange en offrant à la divinité les prémices de ses possessions et en recevant en retour toute sorte de bénédictions. Mais ce sacrifice prend toute sa valeur grâce à la prière qui l’accompagne. On peut donc en déduire qu’il y a au fond du cœur de l’homme une lumière qui lui permet d’être en contact avec le ciel. Rechercher cette lumière et la favoriser, c’est le but que se proposent les religions mystiques.
2) Les religions mystiques
Dans ces religions et l’exemple le plus connu en est donné par les religions de l’Inde, ou les philosophies religieuses de l’antiquité gréco-romaine, l’homme découvre l’Absolu dans le mystère qu’il perçoit au fond de son propre cœur. En effet, dès qu’il réfléchit sur sa propre vie, l’homme y discerne des profondeurs infinies et des possibilités de domination de tout l’univers. Mais, paradoxalement, alors même qu’il se sent capable de tout comprendre, il est faible, ballotté par les forces de la nature. Le mal et la souffrance viennent de là. Ils ont pour origine l’illusion (maya), le mensonge par lequel l’homme qui porte l’Absolu au-dedans de lui, s’attache aux choses particulières, extérieures et qui passent pour atteindre à la libération (moksha) qui est vie dans l’Absolu, il faut donc se détacher de tous désirs qui lient l’homme aux choses mortelles. Ce détachement ne saurait être purement négatif comme celui de l’ascète, du yogin. En effet, c’est en donnant positivement tout ce que l’on possède et jusqu’à sa propre vie, pour réellement ne rien s’approprier que l’on découvre un jour son véritable Soi qui est l’Absolu.
Le Boudhisme a poussé jusqu’à la limite ce don de soi. La libération elle-même, découverte du mystère divin du Nirvana, doit être communiquée. Le mystique se transforme alors en prédicateur. La mission bouddhique sort de l’Inde pour rayonner dans le reste de l’Asie et jusqu’aux confins de l’Europe. L’Absolu apparaît maintenant comme se manifestant à travers l’influence. historique de ses fidèles. C’est ce qui nous amène à considérer un nouveau type de religions les religions d’Empire.
3) Les religions d’Empire
Lorsqu’une société politique adopte une attitude religieuse qu’elle perçoit comme universelle, elle trouve dans cette expérience un élan qui la pousse à propager dans le monde qui l’entoure l’adhésion au même idéal. La perception de l’Absolu et la perception des forces d’expansion de la société s’identifient en quelque sorte. C’est ce que l’on trouve dans les religions aussi bien égyptienne qu’assyro-babylonienne, romaine ou perse. De nos jours, quelque chose d’analogue s’observe quand l’Occident déchristianisé identifie son expansion coloniale à la croisade pour le Progrès et la Liberté. Tout ce qui s’oppose au rayonnement de l’Empire est considéré comme force du mal. Suivant le cas, on représente le combat terrestre comme parallèle à un combat céleste du principe du Bien contre le principe du Mal (cf. la religion perse antique), ou au contraire, on divinise rois, empereurs et cités. Le culte de la personnalité du Chef, la fidélité patriotique, l’espérance invincible dans la victoire constituent la véritable religion du peuple.
Cependant, à plus ou moins brève échéance, l’Empire est détruit sous le coup des forces adverses extérieures ou intérieures. L’Absolu, perçu dans les forces politiques, doit alors être cherché ailleurs. Celui qui ne veut pas revenir en arrière vers l’âge d’or des religions de la nature ou s’évader du monde dans un contemplation philosophique est amené à chercher une histoire sainte dans laquelle il puisse s’intégrer et qui ne soit pas sujette aux fluorations des civilisations. Une telle figure historique unique à travers laquelle Dieu se révèle et entre en dialogue avec l’homme se présente dans les religions issues de l’Ancien Testament.
B. L’ANCIEN TESTAMENT ET SES CONTINUATIONS
Lorsqu’on aborde la lignée religieuse judéo-chrétienne, on est frappé par un double phénomène. D’une part, ces religions annoncent une intervention de Dieu dans l’histoire ; d’autre part, elles insistent sur l’acte libre de foi par lequel l’homme adhère à la Parole de Dieu. On le verra successivement dans l’Ancien Testament et dans ses interprétations symétriques par le Judaïsme et l’islam.
a) L’Ancien Testament
Vers l’an 2000 avant notre ère, en réponse à un appel de Dieu, un nomade, Abraham, quitte la Mésopotamie pour s’installer en Palestine. Un peuple se constitue à partir de ses descendants. Dieu se révèle alors comme partenaire de ce peuple dans un dialogue qui se continue tout au long de 2 000 ans d’histoire. Il se manifeste comme une personne agissante, aimante et en même temps découvre l’homme à lui-même dans ses aspirations infinies, mais aussi dans les ingratitudes, les haines, les égoïsmes de son cœur. Les voies de Dieu ne sont pas les voies de l’homme. Mais, malgré la distance insondable qu’il y a entre le Créateur et sa créature pécheresse, Dieu promet aux siens qu’un jour ils goûteront l’unité avec Lui, unité réalisée dans l’Amour. Cela se fera-t-il par une intervention directe de Dieu ou, au contraire, par l’envoi d’un homme capable de vivre dans l’intimité de Dieu et d’y entraîner ses frères ? L’Ancien Testament ne tranche pas la question.
b) Le Judaïsme
Parmi les héritiers de l’Ancien Testament, le Judaïsme est celui qui refuse tout complément à la révélation consignée dans la Loi, les Prophètes, les Ecrits des Sages et que les Chrétiens appellent l’Ancien Testament. Cependant, l’attitude religieuse juive n’est pas identique à celle du peuple hébreu d’antan. La religion juive est essentiellement une religion du Livre. C’est dans la méditation de celui-ci et celle de ses commentaires aussi bien que dans l’obéissance minutieuse à la Loi qu’on réalise l’union avec Dieu. La promesse d’unité entre l’homme et Dieu semble ainsi déboucher sur une attitude qui, malgré sa grandeur, choque par les limites de son particularisme racial et de son légalisme littéral. Est-ce l’unique participation possible à la Tradition religieuse de l’Ancien Testament ?
c) L’islam
L’islam refuse les limitations du Judaïsme. Il y a un au-delà de l’Ancien Testament qui tranche les questions restées en suspens. Mahomet est le dernier des prophètes. Avec lui, la révélation est close. Il n’y a plus qu’à attendre le jugement dernier où Dieu, transcendant et miséricordieux, accueillera au Paradis ceux qui auront professé qu’il est le seul Dieu et reconnu la mission de Mahomet. Cette attente n’est pas passive ; au contraire, il’ faut mettre toutes ses forces (guerre comprise) au service de la communauté islamique.
Tout homme doit sinon croire, du moins reconnaître l’autorité de Dieu à travers la puissance politique musulmane. Cependant, la révélation faite à Mahomet reste consignée dans un livre : le Coran. Celui-ci n’indique pas clairement l’organisme capable de le commenter de façon vivante. Quel est le sens de ce livre pour l’homme d’aujourd’hui ? C’est ce que l’islam ne sait pas définir de façon suffisamment précise. Il s’enferme ainsi irrémédiablement dans le passé. C’est ce qui fait sa difficulté. Comment alors peut-il être porteur d’une Parole divine toujours actuelle ?
C. LE CHRISTIANISME
Face aux impasses rencontrées par le Judaïsme et l’islam, le Christianisme apporte une réponse paradoxale. Le dialogue entre Dieu et l’homme, annoncé dans l’histoire du peuple hébreu, a été parfaitement achevé. La venue de Dieu sur terre et l’Elévation totale d’un homme dans l’intimité divine sont un seul et même événement.
Le Verbe, Parole de Dieu, s’est fait chair et Il a habité parmi nous, se faisant cet homme : Jésus de Nazareth, Fils de Dieu.
La révélation personnelle de Dieu aux hommes et la réponse parfaite de l’homme à Dieu s’unifient parfaitement dans l’obéissance du Christ jusqu’à la mort et sa manifestation glorieuse dans la résurrection. Dieu respecte jusqu’au bout, jusqu’à la mort de son Fils, la liberté pécheresse de l’homme qui se coupe de la vraie vie et met le Christ en croix mais, en même temps, Il est victorieux de tout mal.
C’est désormais la foi, c’est-à-dire la relation personnelle de l’homme avec Jésus-Christ qui est le centre de la démarche religieuse. Celui qui s’unit au Christ actuellement vivant car ressuscité, n’a plus à craindre ni le jugement de Dieu sur le péché, ni la souffrance, ni la mort. Il est déjà en un certain sens ressuscité, plus que cela, il est lui-même divinisé, habité par l’Esprit Saint, rendu Fils adoptif de Dieu.
Cela est encore caché car nous ne sommes pas pleinement morts avec le Christ, mais nous attendons son retour où apparaîtront clairement au monde entier les dimensions du Ressuscité. L’Eglise est le lieu vivant de rendez-vous où le croyant peut rencontrer le Seigneur. Les sacrements quelle propose sont le prolongement des gestes mêmes du Christ en même temps qu’ils communiquent à l’homme la grâce d’une réponse personnelle et communautaire.
Le Christianisme intègre ainsi les richesses des religions naturelles, mystiques et sociales, tout en achevant le mouvement de révélation de l’Ancien Testament. Le Christianisme se présente de la sorte comme une religion parfaite, dernier pas de l’homme en attendant la manifestation pleine et totale de Dieu dans la vie éternelle promise au croyant.
Une difficulté surgit cependant devant cette totalité de la Révélation : les Chrétiens ne sont pas d’accord entre eux :
– Les Protestants mettent l’accent sur la manière dont on peut rejoindre le Christ de façon personnelle. Ils insistent sur le fait que le contact s’établit lorsque la Parole de Dieu, transmise par l’Ecriture, est rendue vivante dans la communauté croyante grâce à la prédication. Les structures sacramentelles et institutionnelles de l’Eglise servent avant tout à aider celle-ci. Mais, peut-on être réellement uni au Christ dans l’Amour sans sa présence corporelle, sans une obéissance concrète à ses ordres ? Aussi, les Catholiques insistent-ils sur la nécessité d’une Eglise dont l’autorité soit indiscutable en ce qui concerne la foi et qui trouve dans le sacrement de l’Eucharistie le centre d’où la présence corporelle du Christ, mort et ressuscité, rayonne son action aujourd’hui.
– Les Orthodoxes sont d’accord avec ce point de vue. Ils posent le problème au niveau de l’organisation de l’autorité ecclésiale. Ils insistent sur le fait que l’unité de l’Eglise se fait dans la charité. Pour cela, il suffit, d’après eux, de chercher l’accord, l’harmonie du corps des évêques sans avoir à recourir aux mesures coercitives d’une autorité romaine… Mais, n’est-ce pas oublier le péché qui persiste et qui provoque des conflits, même à l’intérieur de l’Eglise ? N’est-ce pas négliger l’intention du Christ de fonder le collège des apôtres lui-même comme une institution hiérarchisée, ayant Pierre pour porte-parole? Pour éviter cette difficulté,les Catholiques soulignent la nécessité d’un Pape, successeur de Pierre. Celui-ci, comme serviteur spécial de l’Unité, a le pouvoir d’arbitrage ultime quand les Chrétiens risquent de se diviser sur des questions de foi et de comportement ecclésial. Ils manifestent ainsi que le Christ a fait à son Eglise un don total de ses privilèges. L’Eglise n’est pas une foule qui trouverait son unité en dehors d’elle, immédiatement dans la personne du Christ. Cette unité, le Christ la lui a donnée effectivement avec les moyens de l’assurer à toute heure de l’histoire. L’institution de la papauté en est, grâce à l’action de l’Esprit-Saint, un instrument et un témoignage.
Quel comportement adopter ?
Vous vous êtes posé la question de la diversité des religions, c’est que peut-être vous désirez revivifier vos propres relations avec Dieu. Pour cela, l’analyse nécessairement rapide et sommaire qui vient d’être faite ne saurait suffire. Chercher Dieu, c’est l’engagement de toute une vie, ce qui suppose en particulier trois types essentiels d’efforts qui se conditionnent mutuellement.
a) La prière
En premier lieu, on ne peut se mettre en quête de Dieu sans un effort de prière. Si Dieu est Dieu, Lui seul a l’initiative et l’homme doit s’y accorder par sa disponibilité et sa soumission. Il ne suffit pas d’en accepter le principe, il faut encore essayer d’y mettre toutes ses forces affectives et morales. Pour cela, il est indispensable de prendre le temps de prier. Au départ, ce peut être simplement l’invocation hypothétique Q Dieu que l’on dit Amour, si tu existes éclaire-moi f, mais au cours de laquelle on essaie de réaliser au plus profond de soi l’ouverture de lumière aussi exigeante qu’elle puisse être. Si, au contraire, on a déjà des connaissances religieuses, il faut se servir de ce qu’on sait déjà de Dieu pour invoquer sa venue.
b) L’action
La seconde démarche est celle d’un effort moral, en direction des autres. Toute religion exige une démarche de cet ordre comme application concrète de la découverte de Dieu. Refuser une religion parce qu’elle est trop exigeante serait une malhonnêteté où des raisons théoriques ne feraient que cacher un égoïsme fondamental. C’est au contraire, en faisant l’expérience d’une authentique disponibilité à l’égard des frères que l’on apprend un peu ce que peut être la disponibilité à l’égard de Dieu.
c) L’étude
Mais, dès que l’on essaie loyalement ce double effort d’amour, on s’aperçoit de sa faiblesse, de son péché. Seule une révélation concrète de Dieu peut les bousculer et soutenir la bonne volonté vacillante. Pour cela, et c’est la troisième démarche, il faut s’attacher à pénétrer le sens profond de telle ou telle religion concrète. Il faut commencer par reprendre sur de nouvelles bases la religion de son enfance ou celle du milieu culturel dans lequel on vit. Si cette religion est autre que la religion chrétienne, il serait nécessaire de la comparer à la foi au Christ. Si, au contraire, on a été élevé dans le Christianisme une lumière supplémentaire peut venir de la considération parallèle de telle ou telle attitude religieuse actuelle (par exemple, l’islam ou une religion de l’Inde). A ce propos deux remarques sont à faire. En premier lieu, il faut prendre une religion comme elle est, sans en extraire les éléments qui nous plaisent pour en rejeter les autres. Si Dieu se révèle dans tel ou tel cadre, c’est un fait dont il faut respecter les éléments ; sinon, on se prend soi-même pour un fondateur de religion sans en avoir reçu mission. En deuxième lieu, il ne faut pas chercher à examiner toutes les religions pour prendre sa décision, comme il n’est pas nécessaire de connaître toutes les filles du monde avant de choisir celle que l’on aime. Il existe un critère interne qui permet d’apprécier rapidement la valeur d’une religion. Rencontrer Dieu, c’est rencontrer la personnalité la plus extraordinaire qui soit. Or, toute rencontre suppose que l’on se comprenne avec son interlocuteur, qu’on soit compris de lui et qu’on trouve ainsi dans la rencontre son propre épanouissement. Mais, également, tout dialogue est un contact avec quelqu’un d’autre qui nous bouscule et qui dérange nos habitudes de pensée et d’action. Quand il s’agit de rencontrer Dieu qui est l’Autre par excellence, l’infini, mais aussi le Créateur, la Sagesse même, le dérangement et l’arrangement doivent être maxima. La religion vraie répond parfaitement aux aspirations de l’homme en même temps qu’elle bouleverse infiniment son confort égoïste.
Mais comment savoir qu’on est dans la bonne voie ? Lorsqu’on est devant une porte fermée avec un trousseau de clefs et que l’une d’entre elles ouvre la serrure, il n’est pas nécessaire de chercher une autre clef. Lorsqu’une démarche religieuse ouvre véritablement le cœur de l’homme à l’irruption de Dieu, il ne faut pas s’évader dans des études infinies. Il faut essayer effectivement de marcher dans la voie proposée. Une telle décision se prend en général progressivement. A force de chercher loyalement et concrètement, un jour, on s’aperçoit que la recherche continue, mais qu’il n’y a plus à revenir en arrière.
Conclusion
Le Chrétien qui vient de faire ces réflexions témoigne que dans le combat avec le Christ mort et ressuscité, homme et Dieu, il a trouvé la possibilité d’une amitié divine merveilleuse, victorieuse du mal, de la souffrance, du péché, mais aussi une exigence toujours renouvelée de don de soi, d’amour. La Parole du Christ lui a donné la réponse à tous les grands problèmes de la vie, mais u même coup, elle a suscité de nouvelles recherches. Arrangement et dérangement suscités par la découverte de la personne du Christ se sont révélés pour lui d’une ampleur maximum que l’étude de quelques-unes des grandes religions de l’humanité n’a fait qu’accentuer. Mais, ce témoignage est avant tout un appel au dialogue. Celui-ci vient à peine d’être ébauché par ces lignes, il faut maintenant le continuer de vive voix. Il n’y a pas de marche solitaire vers Dieu, parce que Dieu ne se trouve que dans un dialogue : l’important est de l’engager. Mais, cela suppose une décision que personne ne peut prendre à la place de l’intéressé. Cependant, quelle que soit sa réponse à cette invitation, le lecteur peut être sûr que la prière fraternelle des chrétiens l’accompagnera dans sa recherche pour l’aider et le soutenir.
Rencontre – Basilique de Montmartre – cum permissu superiorum.
La foi chrétienne en huit points
Par le P. Michel Gitton
Basilique du Sacré Cœur de Montmartre 1990
Revu et corrigé en 2020
La foi chrétienne n’est pas une collection de dogmes qui s’ajouteraient les uns aux autres, sans qu’il y ait un fil d’or qui les relie, mais ce fil d’or n’est pas une idée, une théorie abstraite, c’est le déroulé d’un dessein : Dieu a voulu avoir une histoire avec les hommes. Je vais essayer de faire sentir la cohérence de ce dessein en parcourant toutes les étapes du projet de Dieu et sur chaque point je m’en tiendrai, évidemment, à l’essentiel. Je ne vais pas présenter un système clos, mais tâcher de montrer la splendeur de ce qui se manifeste ainsi à chaque pas.
1. Attente, Révélation, Foi
Partons de cette première affirmation : la vérité est une personne. Cette personne, c’est Jésus Christ, révélation de Dieu et sollicitant notre adhésion par la foi. Or, il y a une merveilleuse convergence entre ce que Dieu nous a révélé et ce que nous portons d’aspirations les plus essentielles. La vérité à laquelle nous adhérons n’est pas la découverte laborieuse d’une pensée qui se cherche, qui réfléchit sur son expérience et en tire des conclusions peu à peu reliées les unes aux autres, ce n’est pas non plus une mythologie, l’irruption de quelque chose de merveilleux totalement étranger à ce qu’est l’homme, c’est une révélation, en ce sens que nous apprenons des choses que nous n’aurions pu trouver par nous-mêmes, mais qui coïncident avec ce que nous portons de plus essentiel et ainsi Dieu nous révèle à nous-mêmes tout en se découvrant à nous. Il ne suffit pas de sonder nos besoins, nos attentes tels que nous pouvons les percevoir, il y a dans l’Evangile quelque chose d’absolument nouveau, qui tient à Dieu et à son projet sur nous. Cette vérité est plus intime à nous-mêmes que nous-même et pourtant elle nous arrive de l’extérieur (comme nous l’explique saint Paul : « qui croirait si on ne lui avait rien annoncé ? »), mais elle fait mouche : c’est un autre qui nous parle et nous dit son dessein et nous reconnaissons la voix de la Vérité. Cette voix, c’est celle du Créateur qui avait mis en nous des semences de vérité. Ces semences ne peuvent pas vraiment éclore sans rencontrer une annonce de l’extérieur qui vient du fond de l’histoire du Peuple de Dieu, qui passe par les prophètes d’Israël et par les Apôtres de Jésus et nous rejoint ici et maintenant par un des membres de l’Eglise. Quel que soit le moyen, c’est la voix du Bon Pasteur qui nous arrive et comme dit Jésus : « mes brebis écouteront ma voix ». Elles l’écouteront parce que cela correspond à quelque chose d’inscrit au plus profond d’elles-mêmes.
Dieu remplit en dépassant. La Révélation chrétienne ne mesure pas aux besoins des hommes, elle n’est pas le plein qui comble le creux, mais elle dépasse infiniment cette attente, tout en la remplissant. Quand les gens disent « qu’est-ce qui vous prouve que le christianisme est vrai ? ». Il ne faut pas leur répondre : rien ne me le prouve, c’est un grand mystère, je crois par ce que je crois, c’est très beau comme ça. Ce serait bien insuffisant. Il ne suffit pas non plus de dire : je vais vous démontrer que c’est vrai, car cela correspond très exactement à tout ce que vous attendez. Il y a bien des chances qu’en agissant ainsi, on ramènerait le christianisme à un niveau très bas. Le Christ est cette réalité vivante pour laquelle l’être humain est bâti et, quand elle se présente, l’homme peut certes se dérober à elle (ô combien …!), il peut lui refuser l’accès de son cœur. Mais il peut aussi s’ouvrir et savoir qu’il est fait pour cette vérité, qu’elle est sa raison d’être la plus profonde, qu’elle ne vient pas, comme un intrus, le contraindre, violer sa conscience, mais qu’elle lui ouvre des possibilités nouvelles qui étaient sans doute déjà les siennes, mais qui ne pouvaient s’actualiser que parce que cette vérité s’est approchée de lui.
Quel est le contenu de cette vérité ? Encore une fois, c’est une personne. Pas une collection de propositions vraies, mais Jésus-Christ attendu dans l’Ancien Testament, présenté dans le Nouveau et dans l’Église qui vient au-devant de nous. On ne rend jamais les armes qu’à Jésus Christ. On n’est pas convaincu par des thèses, on est séduit par une personne, la figure de Jésus. Mais cette adhésion n’est pas simplement sentimentale, elle s’appuie sur la découverte d’une « figure » qui a un sens et qui donne le sens de l’histoire humaine et de mon histoire personnelle. Cette vérité nous atteint à partir du moment où l’on a perçu la cohérence profonde du projet divin sur l’homme. Soudain les contours nous apparaissent, les lignes de force se dégagent, on aperçoit la logique profonde de tout cela : de la Trinité à la Jérusalem céleste, d’Abraham au pape François, tout s’éclaire. Cette figure que nous n’aurions pu forger nous-mêmes s’impose dans toute sa majesté. En Jésus nous voyons ce qui nous dépasse et qui s’est fait en même temps si petit pour nous. Il faut être bien grand pour s’abaisser à ce point, pour nous ressaisir et nous emmener dans ses hauteurs, sans rien perdre de sa force et de sa beauté ! D’un seul coup, tout cela nous apparaît sous la vraie lumière, et alors là nous nous disons : « c’est vrai, ça ne peut être que cela, j’y crois ! ».
Pour préserver ce trésor, il faut certes, des formules, des textes, des professions de foi, des dogmes. Mais comprenons bien que tout cela sert à empêcher que se referme la brèche qu’a ouverte le Christ. C’est si tentant de ramener la figure de Jésus à des modèles plus connus, et alors on arrondit les contours et on rend la figure méconnaissable. Le but du dogme est de garder intacte l’ouverture qu’a aménagée le Christ au milieu des pensées humaines. Mais ce ne sont jamais les formules qui portent en elles la vérité, elles y renvoient, mais Jésus seul est la vérité.
Le dépôt confié à l’Église est saisissant, tous ceux qui ont honnêtement cherché à le comprendre ont été émerveillés. L’Église ne rajoute rien d’elle-même, elle n’a pas autre chose à faire qu’à en préserver l’accès, et pour cela éviter que la pensée humaine ne digère Jésus Christ, comme elle a digéré tout ce qu’elle a trouvé d’un peu neuf sur son passage. On ramène au cas précédent, « le christianisme, ce n’est que du platonisme pour le peuple ! » disait Nietzsche. Cette décomposition de l’original, du nouveau, pour le ramener au commun dénominateur est le grand travail des esprits paresseux, Avec le Christ, grâce à l’Église, le Seigneur est resté toujours aussi provoquant et aussi neuf, malgré les siècles. On n’a jamais réussi à le réduire aux limites d’un prêt à penser.
Pourtant il a fallu sortir du cocon primitif, affronter les cultures des différents peuples, des civilisations successives, traduire dans toutes les langues le dépôt de la foi. A chaque fois, ce furent des risques de distorsions, mais il y avait en même temps quantité de perspectives nouvelles qui s’ouvraient, et ceci est bon et stimulant, car c’est ainsi que le dépôt révèle des virtualités qui n’étaient pas encore explicitées. Le Magistère de l’Eglise a dû veiller à ce qu’on ne sorte pas de ce dépôt, car ce dépôt, c’est Jésus Christ transmis aux apôtres. On ne fera jamais mieux. Ce qui surgira des mots nouveaux, des explications inédites, des développements progressifs qu’on donnera des vérités de la foi c’est la possibilité d’accueillir toujours mieux l’unique figure du Christ. C’est pourquoi le critère de la vérité n’est pas ce qui s’est dit un jour dans tel contexte, ou ce qui se dit aujourd’hui dans tel milieu, mais ce qui se dit toujours et partout, semper et ubique. Face à une question, on s’interrogera sur ce qui est la foi permanente de l’Eglise, ce qu’elle a toujours enseigné et qu’elle continue à enseigner. Sans doute nous nous penchons avec une vénération particulière sur la sainte Ecriture qui est le premier écho de l’irruption historique de Jésus Christ, soit parce qu’elle l’a précédé et préparé (Ancien Testament), soit par ce qu’elle en est l’immédiate conséquence (Nouveau Testament), mais la Bible n’est pas pour nous la révélation à elle toute seule, si elle est isolée du reste du mouvement de l’Eglise : cette tradition fidèle qui l’a porté jusqu’à nous. Elle est même proprement incompréhensible, en tout cas facile à falsifier, si l’on ne la lit plus dans le climat qui l’a portée, dans la vie sacramentelle de l’Eglise, dans sa manière de parler, etc… La tradition nous garde très proches de l’origine, elle ne s’ajoute pas à la figure du Christ et à son enseignement, elle nous y ramène.
Vous allez me dire : je vois bien ce qu’est l’objet de la foi chrétienne, mais la foi, en quoi consiste-t-elle ? Et puis comment y adhère-t-on ? On dira : « la foi est une grâce, mais tout le monde ne l’a pas, il y en a qui ont peut-être rencontré Jésus Christ, mais d’autres pas ». Mais comment se fait-il que la foi soit un don si inégalement partagé ? C’est injuste ! En réalité la foi, c’est Dieu et l’homme qui se rencontrent. C’est d’abord une démarche de Dieu vers l’homme, mais c’est aussi la réponse libre de l’homme à l’invitation de Dieu. Du coté de Dieu toutes les conditions sont remplies, il n’y a pas d’être humain qui soit absent de cette grâce qui vient au-devant de lui. Et du coté de l’homme, il y a nécessité d’une réponse, sans quoi Dieu aurait agi sans nous, il se serait imposé à nous d’une manière tellement autoritaire que nous n’aurions eu qu’à consentir et d’un consentement sans amour. Il a voulu nous permettre de marcher vers lui. C’est tout le risque qu’il prend. Si tout est donné de son coté, tout est donné de façon discrète et c’est à nous de retrouver ses traces. Il faut deux conditions qui sont les conditions de la foi, l’ouverture du cœur (la volonté droite) et l’effort de l’esprit humain pour percevoir ce que Dieu veut nous dire. L’un ne va pas sans l’autre. Il ne suffit pas de vouloir croire pour croire, d’être intelligent pour croire, il faut que notre cœur étant ouvert, notre intelligence puisse fonctionner à son plein régime et découvrir les signes suffisants et mêmes surabondants que Dieu nous fait parvenir. C’est pourquoi il peut y avoir des gens intelligents qui n’ont pas la foi et des gens qui voudraient l’avoir, mais qui ne font pas l’effort nécessaire pour s’approcher de la vérité. Par contre, je pense qu’il n’est pas possible que des gens qui auraient une bonne volonté n’aient pas un jour ou l’autre la possibilité de rencontrer Jésus. A partir du moment où le cœur est ouvert, il ne peut que chercher à connaître et l’intelligence, même si elle n’est pas très développée, ne manquera pas d’accéder à la beauté du mystère de Dieu. L’acte de foi mobilise notre esprit, ce n’est pas un acte irrationnel, ce n’est pas quelque instinct obscur qui nous amènerait vers Dieu. Le Seigneur demande cet assentiment de l’esprit, même s’il est lent et laborieux. La foi, l’homme la rencontre donc au sommet de sa démarche de volonté et d’intelligence et c’est là que la grâce (présente dès le début) lui permet de franchir le dernier pas : faire la synthèse de tout ce qu’il a aperçu et, devant la splendeur qui se dévoile à lui, rendre les armes à la Vérité. Au lieu de se cramponner sur de fausses évidences, des doutes à portée de main, c’est l’intelligence s’ouvrant enfin à la plénitude de ce pourquoi elle est faite, acceptant de se laisser dépasser, de se laisser pétrir par une vérité plus haute. Il y a intelligence et intelligence. Il y a celle qui s’applique aux phénomènes quantitatifs de ce monde, qui analyse la réalité et la fait rentrer dans des perspectives générales, mais il y a aussi l’intelligence de l’artiste, de l’amoureux qui se laisse saisir par quelque chose de très riche et de très fort qui s’impose à lui. La connaissance n’est pas moins sure, mais elle ne procède pas de la même manière : au lieu d’analyser de façon désimpliquée une réalité inerte, elle accueille des signes, elle apprend à rentrer prudemment, respectueusement, dans quelque chose qui la dépasse, mais la convie en même temps à avancer.
L’acte de foi est donc le point de départ de tout cheminement vers Dieu. Dieu l’a voulu ainsi. Lui qui est amour (comme nous le verrons bientôt) a voulu se faire connaître par amour. Il n’a pas voulu contraindre notre intelligence et notre volonté, ni nous mener à lui sans nous. Il a voulu que nous soyons acheminés par une ouverture de notre cœur. A partir de ce moment, nous allons pouvoir marcher vers une vérité que nous remettons plus en cause, mais que nous essaierons d’approfondir sans cesse. Nous ne serons pas toujours dans le registre de l’évidence, mais, dans la suite de notre adhésion, nous avancerons dans un certain clair-obscur qui caractérise notre vie ici-bas (« voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer »). Si j’ai donné ma foi à Jésus-Christ, si j’ai dit oui à sa grâce, j’accepterai beaucoup de choses que je n’ai pas pu vérifier présentement et devant lesquelles il faudra signer un chèque en blanc sur l’autorité de sa parole. Nous dirons : « tu m’as montré que tu avais les paroles de la vie éternelle, alors j’avance et je te fais confiance sur tout le reste ».
2 – Dieu unique et Trinité
« Qui est Dieu ? » demande l’homme en quête d’Absolu. Dieu est Amour, nous répond la Bible. Dieu n’est pas un problème métaphysique, Dieu n’est pas un principe abstrait qui servirait à expliquer le monde. Dieu n’aurait guère d’intérêt pour nous, s’il n’était que la conclusion d’un raisonnement, ce Dieu-là n’aurait jamais suscité l’immense soif d’aimer qui sommeille en chacun d’entre nous. Non, Dieu est Dieu, et il est Amour.
Il est amour, non pas seulement parce qu’il nous aime, mais parce qu’il est amour intrinsèquement, qu’il est amour au fond de lui-même, qu’il n’a pas attendu l’existence du monde pour aimer. Dieu dès le départ est relation. Il n’y avait pas de terre, il n’y avait pas de mer, il n’y avait pas d’homme, qu’il y avait déjà en Dieu des relations, mais des relations éternelles, des relations qui font partie de sa nature. Elles ne lui sont pas advenues un beau jour, comme nous qui, étant nés, ayant commencé à grandir, nous sommes découverts en relation avec nos parents et avons tissés de nouveaux liens avec des camarades, puis avec des cercles de plus en plus larges. Non, en fait, Dieu est cet indicible jeu de relations entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. Non pas trois dieux qui partageraient la même nature divine, mais un seul Dieu qui est Père et qui communique son être éternellement à son Fils et son Esprit dans une totale unité. Dieu est le nom que nous donnons à la ronde des trois, à ces trois qui vivent cette existence toute entière régie par l’amour. Réfléchissons à ce que cela veut dire. A certains moments, nous avons peut être senti qu’il n’y avait pas d’autre bonheur que d’aimer pleinement, d’être, pour l’autre et avec lui, comme si l’amour était notre seule raison d’être, mais cela n’a peut guère pu durer, car la vie nous a ramenés à des nécessités plus immédiates. Mais c’est pleinement vrai en Dieu, – en Dieu seul. Pour le Père, le Fils et le Saint Esprit, d’exister, d’être Dieu, c’est en même temps être tout l’un pour l’autre, de n’exister que par l’autre, de n’exister qu’en vue de lui, de ne pas avoir d’autre raison d’être que celle-là. Les pères de la terre, même si la paternité est pour eux importante, ne sont pas que père, ils sont bien d’autres choses, ils sont maris, ils sont fils, ils sont citoyens français, ils sont abonnés au gaz. Tandis que le Père du ciel est défini par sa paternité, il est Père et c’est tout, tout entier dans sa paternité, dans la ferveur de ce don qu’il fait éternellement au Fils, – je dis bien : qu’il fait et non pas qu’il a fait un beau jour dans le passé et qu’il se contenterait de maintenir en l’état. Non, ce jaillissement du Fils à partir du Père, ce don parfait, il est actuel, toujours. Si j’ose dire, le Fils du ciel est plus jeune dans sa filiation que nous ne le sommes vis-à-vis de nos pères de la terre. Alors, si tout le bonheur du Père, c’est de se donner, de donner tout, de donner tout sauf ce fait qu’il est Père (qui lui permet d’être en relation avec son Fils), la joie du Fils, de son côté, c’est l’accueil total de l’initiative du Père, cette réception savourée où il sait que son bonheur, c’est d’être voulu du Père. Il n’est pas le point de départ, mais il est tout ce qu’est ce point de départ, par le don que celui-ci lui en fait à chaque instant. Le Fils à son tour peut donner ce qu’il a reçu du Père, ou plutôt le lui rendre dans l’action de grâce, et cela il le fait dans une troisième personne : avec le Père qui est la source, il est source à son tour de l’Esprit. Celui-ci est pur jaillissement de leur amour mutuel, dans lequel se boucle la sainte Trinité. C’est la plénitude du Fils qui est tellement dans le Père, qui est tellement pénétré du don du Père, qu’à son tour il fait place à l’inouï d’une autre personne divine, égale à eux. Le mouvement s’achève en perfection dans ce troisième qui est tout du Père et tout du Fils, qui n’est pas quelque chose de chacun d’entre eux, mais qui est le fruit de leur amour mutuel. Nous voyons dans la Trinité la réalité dynamique de cette donation mutuelle. Les Grecs ont inventé un nom savant, ils parlent de la « périchorèse », circulation entre les personnes qui fait que chacun est dans l’autre et par l’autre, qu’on ne peut isoler l’un des trois, parler de l’un sans parler des deux autres. C’est bien pour cela que Jésus peut dire « qui me voit voit le Père », bien qu’ils restent distincts, totalement distincts et même infiniment distincts, tout ce qu’ils « ont » c’est d’ « être » (l’un pour l’autre et l’un par l’autre). Si bien que nous disons sans mensonge : « je crois en un seul Dieu », je ne crois pas en trois dieux, je crois en un seul Dieu qui se livre dans cette circulation d’amour. L’unité n’est pas celle – bien pauvre – d’un solitaire, d’un être isolé, mais elle est une unité pleine, dense, riche et même débordante. D’où ce qui suit.
3 – La Création de l’homme et du monde
La création n’est pas un avatar de Dieu qui se déciderait à créer par amusement ou par désœuvrement, parce qu’il aurait un besoin incoercible de s’épancher. Ou parce qu’il ne serait complet qu’en se donnant un accomplissement dans la création. Celle-ci est gratuite, non nécessaire, en ce sens que Dieu aurait pu ne pas créer, elle n’ajoute rien à Dieu. Elle est pur amour qui se donne. La plénitude de Dieu n’est pas dans l’avenir, elle n’est pas dans une réalisation qu’il se donnerait, dans une œuvre qu’il entreprendrait. La plénitude est au départ, elle est en lui, elle est dans l’amour des Trois. Il y a là tout ce qu’il faut pour son bonheur. Non pas un bonheur égoïste et narcissique, comme on l’a vu, mais bonheur partagé dans le mouvement du Père vers le Fils et avec le Fils vers l’Esprit Saint. Donc la création est un jaillissement imprévisible de la liberté divine qui veut partager à l’extérieur le bonheur qui est celui des trois, le bonheur de s’aimer. La création est dans la logique du Dieu-amour. Elle n’est pas une étape complètement discontinue par rapport à ce qui précède, car les Trois s’y révèlent avec une grâce particulière. Le Père est la source absolue de tout, celui d’où sourd toute initiative et donc celle de la création. Le Fils, quant à lui, est le modèle de la création. C’est en voyant ce premier écho de son être éternel, cette ressemblance dans la différence, que le Père lance cette œuvre. Mais le Fils est aussi le terme de la création, sa fin, car c’est pour lui que tout a été créé au ciel et sur la terre, pour l’établir Roi et Epoux de cette création. Et le Saint Esprit opère le lien entre l’œuvre et son créateur, il la travaille en profondeur pour qu’elle ressemble à son modèle.
Il n’empêche que la création est un acte tout à fait particulier, par lequel Dieu pose devant lui du « non-Dieu ». L’être créé n’est pas quelque chose de Dieu, une partie de Dieu qui se détacherait de lui, il est fait avec rien (ex nihilo), il surgit du néant à l’appel de Dieu. Dieu pose devant lui quelque chose qui n’est pas lui et qui pourtant n’est pas rien. Mystère, car, si Dieu est tout, il semblerait qu’il ne puisse avoir rien d’autre que lui et voilà qu’en réponse à sa parole jaillissent des créatures qui ne sont pas illusoires, qui ont une être propre, une structure, un devenir mais qui en même temps restent suspendues à lui, ne trouvant leur consistance qu’en lui. Il suffirait qu’un instant Dieu cesse de penser à elles pour que cette création cesse d’exister, parce que ce monde repose sur la bienveillance divine, parce qu’un jour Dieu a jugé « bon » de le créer et l’amener à son achèvement. La pauvreté des choses, leur dépendance vis-à-vis de la source de leur être, est en même temps leur beauté : c’est quand elles confessent que Dieu les a faites, qu’elles révèlent l’infini dont elles sont issues.
Au milieu de cette création il y a, bien sûr, l’homme. L’homme est créé dans une dépendance radicale vis-à-vis de Dieu, l’homme est fait non seulement par Dieu comme les autres êtres, mais pour Dieu, pour le rencontrer, pour l’aimer. Il a plus que des ressemblances avec le règne animal, dont il est probablement tiré, mais c’est le seul des animaux qui soit ainsi. Les autres êtres sont une œuvre magnifique de Dieu et, nous l’avons dit, leur être chante déjà la gloire divine, mais il fallait une intelligence et un cœur pour donner une voix à cette louange, et c’est l’homme et la femme qui seront cette voix. Les êtres vivants accomplissent leur œuvre propre selon leur espèce, leur instinct leur apprend à se protéger, à se nourrir et à se reproduire, tout cela pour durer. Tandis que la raison d’être de l’homme, c’est de ne pas avoir de raison d’être proportionnée à lui, c’est de tendre vers plus que lui. « L’homme passe l’homme », disait Pascal. L’homme est un être ouvert en vue d’un accomplissement qui dépasse ce monde. Et c’est là sa grandeur, c’est en cela qu’il est fait à l’image du Fils. Et c’est pourquoi aussi cet homme est doté de liberté. Car cette quête de son souverain bien, l’homme ne la poursuivra pas poussé par un sûr instinct, comme les animaux qui cherchent leur nourriture ou qui cherchent le semblable avec qui s’accoupler. L’homme au contraire est mû par le désir de Dieu qui l’habite, mais ce désir ne l’amène pas infailliblement à son terme, ce n’est pas un filtre d’amour que l’homme aurait absorbé, il devra se déterminer librement. Il aura à accomplir le don de lui-même à Dieu, comme un vol plané dans les bras du bon Dieu, quelque chose de risqué qui fera son bonheur éternel. Ce risque est redoutable car, s’il peut le réussir, il peut aussi le manquer. L’homme qui est fait pour l’amour peut manquer l’amour, il peut préférer les idoles muettes et c’est l’horizon de son éternelle damnation. A l’inverse du papillon qui se dirige immanquablement vers la flamme, l’homme peut manquer son souverain Bien. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le prix de l’adhésion de l’homme à Dieu. Quand Dieu voit un homme venir à lui, quand il voit un saint qui lui offre tout dans le dernier instant de sa vie, il ne dit pas : « c’est normal, avec ce que je lui ai donné il ne pouvait pas faire autrement ». Non, il trouve cela merveilleux, il admire. Eh bien, voilà la raison d’être de la création ! Dieu n’a pas créé pour construire une merveilleuse mécanique qui prouverait son intelligence et sa puissance. Il n’a pas voulu régner sur un peuple de robots, il n’a que faire des « prosternations d’esclaves » selon le mot de Péguy. Ce qu’il voulait, ce sont des fils et des fils reconnaissants. Pour cela, il a pris lui aussi tous les risques, même celui de l’échec partiel de son projet. Mais quelle joie quand la brebis perdue revient au bercail, quand il peut dire : « bon serviteur, entre dans la joie de ton Maître » !
Le mot de liberté recouvre bien des choses. En français, on appelle souvent liberté la simple capacité d’autodétermination, la simple possibilité de dire oui ou non. Cela fait bien partie de la liberté. Mais c’est là le degré le plus bas, car la véritable liberté, c’est celle qui consiste, après avoir pesé le pour et le contre, après avoir entrevu la possibilité éventuelle du refus, de dire « d’accord ! » et de le dire éternellement et de le dire avec toujours plus de raison. La vraie liberté commence, quand, au delà du premier choix, de la première oscillation, on a risqué quelque chose sur l’amour et on persévère dans ce don. Selon le mot célèbre : « la liberté ce n’est pas de faire tout ce qu’on veut, mais de vouloir tout ce qu’on fait ».
Contemplons un instant la place de l’homme dans la création ; cet homme qui est la charnière du matériel et du spirituel. Ce monde est là pour manifester toutes les étapes du projet créateur de Dieu. Il y a d’abord les choses qui ont simplement l’être, ce sont les minéraux, il y a ceux qui ont l’être et la vie ce sont les végétaux, il y a ceux qui ont l’être, la vie et le mouvement ce sont les animaux, il y a ceux qui ont l’être la vie, le mouvement et déjà quelques bribes d’intelligence comme les animaux supérieurs. On dirait que Dieu a voulu étager les dons qu’il va faire à l’homme en nous les montrant séparément, avant de les réunir dans la plus haute de ses créatures matérielles, l’homme. Il a été établi gardien de ce monde matériel que l’homme dépasse par son intelligence et sa liberté, mais dans lequel il est immergé, il n’en est pas le maître absolu, il n’a pas le droit d’en épuiser les ressources par une consommation effrénée. Le cosmos subsistera, d’une façon qui nous dépasse, après la Résurrection comme le cadre de notre amour avec Dieu, le domicile conjugal de Dieu et de l’homme.
La créature humaine est à mi-chemin du monde visible et du monde invisible, celui des êtres spirituels, des anges, des archanges, des séraphins. Quand on parle du ciel, ce n’est pas d’abord de Dieu qu’on pense, il s’agit du monde des anges auquel il faut croire, parce qu’ils font partie de notre foi chrétienne. Ce sont des créatures plus intelligentes, plus douées que nous dans tous les domaines. En elles nous devinons qu’il y a dans la création des possibilités, des virtualités infinies du dessein créateur de Dieu. Les richesses déjà infinies du monde sensible ne sont rien à côté de celles-là. L’homme est à mi-chemin, il est celui qui, dans le monde matériel, a une âme immortelle, qui dépasse la matière. Il est donc capable de s’orienter vers Dieu et de faire chanter au monde visible toute la beauté du créateur, il donne une voix au cosmos. C’est un être spirituel qui, à ce titre, communie avec les plus hautes créatures, les anges. Ils sont ses compagnons et ses guides sur le chemin du salut. Donc l’homme est la charnière entre deux univers et, à cause de cela, infiniment aimé par Dieu qui se penche vers sa petitesse et lui destine un bonheur qui dépasse même celui que les anges connaissent. Dieu lui promet la béatitude éternelle dans la participation à sa vie trinitaire, à la vie des Trois.
Ce monde, par sa beauté produit sur nous une impression profonde. Nous nous disons : « Dieu est très fort d’avoir fait de si grandes choses dans sa création, mais plus fort encore d’avoir fait tout cela pour ce petit bout d’homme de rien du tout, tard venu, mal fichu et, par certains côtés, si faible et qu’il veut élever si haut ! Dieu nous a donné une intelligence et une capacité de percer les secrets de la nature, pour que nous puissions admirer son œuvre et aussi nous servir de ses ressources pour nous nourri, nous vêtir etc… Ce monde obéit à des lois que Dieu a posées. Le miracle n’est pas une entorse que Dieu ferait à ces lois, c’est tout simplement la façon dont Dieu sait utiliser souverainement ce qu’il a créé, c’est ainsi qu’il sait rendre à la création sa souplesse originelle, lui donner la possibilité de rendre des accents que nous ne lui connaissions plus. Finalement, le miracle est, si j’ose dire, la chose la plus naturelle du monde dans cette création dont Dieu reste le maître. Il reste aussi le maître par sa providence, cette providence qui lui permet de suivre l’ensemble de notre aventure humaine, de nous suivre chacun et tous en même temps. Certes il n’empêche pas le mal y mette sa marque affreuse (nous en reparlerons). Depuis le péché, il a d’une certaine façon laissé l’homme à lui-même pour qu’il éprouve les conséquences de la séparation avec Dieu. Mais il ne s’interdit pas (surtout en réponse à la prière) d’intervenir pour soulager l’homme accablé par le mal et en faisant en sorte que finalement l’homme ne soit pas tenté au-delà de ses forces. Il agit aussi en contrôlant le jeu pour éviter que le désordre ne dépasse les limites qu’il lui a fixées et ne vienne complètement écraser les semences de liberté et d’amour que Dieu a semé dans l’humanité.
4 – Le péché des origines et ses suite
Mon quatrième développement est pour parler du péché et pour nous rappeler quelle est la gravité du drame où l’homme est jeté. Le péché ce n’est pas une faute par rapport à un règlement, une espèce d’incartade qui mettrait l’homme dans de mauvais rapports avec Dieu. Le péché, c’est d’abord ce manque de confiance dans un Dieu bon et sage. C’est cette manière qu’a l’homme de vouloir garder sa vie, de l’avoir pour lui au lieu de la recevoir. C’est ce qui l’amène à faire juste l’inverse de ce pourquoi il est fait : imiter le Fils éternel dans sa relation au Père. Celui-ci n’a pas jugé comme une bonne prise tout ce qu’il avait reçu du Père mais le lui rend dans l’obéissance et dans l’action de grâce. Le péché c’est cette attitude de l’enfant prodigue qui s’empare de sa part d’héritage qu’il veut pour lui seul, alors que son Père ne la lui disputait pas et il pouvait en jouir dans l’indistinction. C’est l’attitude de celui qui veut tout de suite, qui ne veut avoir que pour soi, coupé de toute relation. Et le péché à ce titre est une folie, il nous sépare de Dieu et il nous sépare aussi du bonheur. A partir du moment où nous nous coupons de notre source nous nous condamnons à mourir de soif. Nous voulons capter quelque chose et c’est comme de l’eau qui nous file entre nos doigts. C’est bien cela qu’on voit avec l’homme qui, devant les dons de Dieu, veut les saisir, se les approprier pour lui tout seul, au lieu de les recevoir. L’homme qui a ce titre n’a bientôt plus rien du tout, qui n’a plus que la nostalgie de ce qu’il aurait pu avoir, l’homme qui, à cause de cela, souffre et fait souffrir les autres. Car, quand on n’a plus grand-chose, on a envie de ravir la part des autres et on est entraîné dans un conflit indéfini avec nos semblables. Voilà la désorganisation du projet de Dieu. L’homme n’avait pas été créé pour la mort, la mort n’était pas la punition du péché, elle en était la conséquence. L’homme fait pour la vie, pour la communion de vie avec Dieu, quand il se coupe de lui se recroqueville sur lui-même, et s’appauvrit même dans son corps, même dans son organisme physique, puisqu’il est fait pour Dieu dans son corps et dans son âme. Donc là où la communication avec lui n’est plus, le corps lui-même perd en subit les conséquences. Qu’on pense à ces malades qui, n’ayant plus personne à aimer, plus personne qui se penche sur eux, se laissent aller à la mort et, avant même que les causes pathologiques n’interviennent, hâtent le moment de leur trépas. L’être humain est fait pour aimer. Lorsqu’il n’aime plus tout le souverainement Aimable, son être se dégrade.
Ceci n’est pas seulement un accident qui se produirait une fois, de temps en temps. C’est d’abord l’aventure de nos premiers parents. Quelles qu’aient été le contexte de leur apparition sur terre, quelles qu’aient été les circonstances de leur passage de l’animal à l’homme, il y a eu un premier couple. Et c’est lui avec lequel Dieu voulut faire démarrer l’humanité. C’est le couple de l’homme et de la femme, égaux et différents, qui est l’image de Dieu. Or voilà que l’un et l’autre ont engagé leur responsabilité dans le sens qu’on sait, ce faisant ils ont engagé aussi celle des autres. Car Dieu nous avait voulu l’humanité comme une famille, il nous avait voulu ensemble comme un corps dont le premier homme était la tête. Reconnaissons que nos vies ne sont pas incommunicables, aucun d’entre nous ne recommence pas à zéro l’aventure de l’humanité. Nous avançons sur les épaules de ceux qui nous ont précédés. Et lorsque ces prédécesseurs se sont coupés de Dieu, l’héritage que nous recevons n’est pas glorieux. C’est une humanité atrophiée (mais pas anéantie dans sa dignité profonde) que nous recevons et qu’ensuite nous transmettons. Non seulement nous naissons mortels, mais inégalement marqués par le mal et la souffrance. Si nous avions persévéré dans l’amitié divine l’homme aurait transmis à l’homme une vie immortelle. Mais, parce que l’homme a voulu construire sa vie sans Dieu, il ne peut transmettre qu’une vie pour la mort. C’est l’envers de la communion des saints : là où la grâce est destinée à circuler dans le corps de l’humanité, portant aux uns les fruits de la sainteté des autres, la séparation consommée en Adam va entraîner la propagation du mal, même chez ceux qui n’avaient pas péché à la ressemblance de sa faute à lui et qui néanmoins, en lui, ont « péché » et sont morts. L’homme sort du cadre protecteur de la maison familiale pour entrer dans une liberté sans protection.
5 – L’Incarnation du Fils
La réponse de Dieu à cette catastrophe constituera la cinquième thèse. L’Incarnation est une nouvelle étape dans le projet de Dieu, une nouvelle audace : c’est le pas étonnant que Dieu fait vers l’homme pour le tirer du mal sans rien casser de sa liberté. Dieu y prend le mal de revers, au lieu de l’affronter directement. Il avait laissé l’homme à lui-même, tout en se réservant d’intervenir dans les moments graves, afin de l’empêcher de s’enfermer dans son orgueilleuse solitude et de compromettre définitivement son avenir.
L’Incarnation est préparée de longue date, même si elle intervient relativement tard dans une humanité qui a vécu déjà des milliers d’années. La Bible nous montre que Dieu n’a pas cessé de chercher à établir une tête de pont dans l’humanité depuis les origines : Noé, Abraham, David sont autant d’hommes sur qui Dieu compte pour correspondre à son projet sur l’humanité et lui offrir un culte qui lui plaise. De diverses façons, il fait alliance avec eux et avec leur descendance pour établir un peuple fidèle. On remarque qu’à chaque fois, le projet de Dieu se fait plus précis, mais aussi plus limité : l’humanité, une famille, une famille au sein de cette famille. Puis ce sera le « petit reste » qui survivra à la catastrophe engendrée par le péché qui ne cesse pas de faire ses ravages, même dans le Peuple élu. Puis l’objectif se focalise sur un seul homme : le Messie, roi et par certains côtés prêtre, serviteur de Dieu jusqu’à la souffrance pour offrir à Dieu une humanité rachetée. Le peuple d’Israël avec ses hauts et ses bas reste le berceau de Celui qui doit venir : sa prière, sa médiation de la Loi, l’offrande de ses pauvres sont le terreau où germera le Messie. En Marie, ce peuple trouve sa plus haute figure en même temps que l’instrument privilégié par qui le Messie nous est donné.
Dieu, au lieu de nous attendre sur la ligne d’arrivée, va se mettre lui-même, dans la personne du Fils, sur la ligne de départ. Si Dieu « nous avait créés admirablement », comme dit l’oraison de Noël, « il nous a rachetés plus admirablement encore ». Cela débute par l’Incarnation. Tout commence à Nazareth. Un jour, à Nazareth, un petit d’homme a commencé de vivre dans le sein d’une femme et c’était le Fils éternel de Dieu. Ce n’est pas une émanation de Dieu, un avatar de Dieu. Ce n’est pas quelque être divin inspiré par Dieu. C’est l’un des Trois qui, dans un amour indicible, obéissant au dessein du Père, vient rapprocher de lui sa créature blessée. Les yeux clos, il s’est enfoncé dans notre pâte humaine, l’a revêtue totalement. Il s’est fait l’un de nous, sans restriction, sans se préserver, sans chercher des conditions de vie supérieure ax nôtres. Il s’immerge si totalement que plus jamais il ne s’en arrachera et qu’il n’aura pas à s’y reprendre à deux fois. Il n’y aura pas d’autre incarnation. Tout a été dit. Ce saut de Dieu vers l’homme, cet abaissement du Très-Haut vers ce qui est le plus faible est si parfait qu’on n’a rien à y ajouter et il est donné pour toujours. Même l’Ascension ne remettra pas en cause l’Incarnation. Le Christ n’est pas venu parmi nous en touriste, pour goûter un peu de notre humanité et, après avoir fait son travail, repartir. Non, il est venu et il restera toujours de notre côté : du côté du Père et de notre côté. L’Incarnation est totale et plénière et elle est à jamais donnée, disponible pour nous.
En venant parmi nous, le Fils a assumé une nature humaine, il l’a faite sienne. Il n’y a pas la personne Verbe et une personne humaine appelée Jésus qu’il inspirerait. Jésus, c’est le Verbe fait chair, le Fils parmi nous, il vient saisir, à titre personnel, une humanité particulière, avec son âme et son corps, son imagination, son intelligence et sa volonté et il en fait son humanité : l’humanité de Dieu ! Tous ses actes sont les actes du Fils, toutes ses pensées sont les pensées du Fils éternel. Il n’agit pas sur son humanité comme le Saint Esprit le fait sur nous. Il agit sur elle parce que c’est son humanité et que désormais elle lui est associée. Et, en même temps, il est vraiment homme. Il n’est pas un pantin manié par Dieu, il a tout ce que nous avons et rien que ce que nous avons, il n’a pas un membre en plus, son intelligence ne fonctionne pas différemment de la nôtre, il a une volonté humaine, son corps est vulnérable et mortel. C’est pour cela qu’il est bien notre frère et en même temps il est vraiment Dieu.
La venue du Fils parmi nous est quelque chose qui s’est passé dans l’histoire. Ce n’est pas un conte de fées, cela n’a pas eu lieu sur une autre planète. Ce n’est pas un mythe. C’est un événement qui a marqué à jamais l’histoire des hommes, un événement qui s’est déroulé dans un lieu très précis, qu’on peut visiter aujourd’hui. Un lieu qui n’est pas extraordinaire par son abord extérieur : « de Nazareth peut-il sortir quelque chose de bon ? ». Mais un lieu béni qui a été le cadre du plus grand événement qui soit. Donc nous pouvons rejoindre Jésus dans son histoire. Nous recueillons avec amour ce qui s’est passé réellement un jour à Nazareth, puis à Bethléem, puis dans tous les endroits où le Christ est passé, là où l’immensité, la beauté de Dieu se sont réfractés à travers la perfection d’une humanité singulière, celle de notre Seigneur Jésus-Christ. Les Evangiles qui nous sont parvenus sont les témoins fiables d’une histoire, ce sont quatre regards convergents sur une aventure pour laquelle nous sommes finalement plus renseignés que sur certains évènements contemporains du récit évangélique. La fiabilité des premiers témoins vient de leur conviction qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire dans la venue de Jésus parmi les hommes, sur lequel ils n’ont pas barre, c’est pourquoi ils ne sentent pas le droit d’y ajouter leurs idées ou d’en retirer quoique ce soit, même s’ils le mettent en forme selon leurs souvenirs et leur talent.
Quand nous vénérons le cœur humain de Jésus que nous découvrons derrière chaque page de l’Evangile, nous sommes éblouis par la perfection de sa vie d’homme, par toute sa profondeur intérieure, où nous devinons Dieu qui a voulu se rapprocher de nous, non pour nous impressionner, non pour nous donner des leçons, mais d’abord pour être à nos cotés, pour y vivre l’amour filial et fraternel que nous avions oublié et pour nous le rendre accessible. Et devant ce Cœur nous avons à rester longuement en adoration, pour déchiffrer peu à peu ses beautés, ses perfections, à la fois parfaitement humaines et totalement divines.
6 – La Rédemption : Mort et Résurrection du Fils
Nous suivons Jésus jusqu’au terme: « ayant aimé les siens, il les aima jusqu’au bout » et c’est notre sixième thèse : ce qu’on appelle la Rédemption. Là se trouve notre certitude que Dieu n’a pas abandonné l’homme à lui-même, c.a.d. au péché et à la mort. Il n’a pas laissé l’homme croupir dans le mal, car l’honneur de son Père était engagé. Il y a si longtemps que le démon soufflait à l’oreille de l’être humain : « si Dieu était bon, ça ne se passerait pas comme cela ! ». Il n’a pas non plus attendu que l’homme revienne à lui parce que ce n’était pas possible. La souffrance en effet dressait les hommes les uns contre les autres et contre Dieu et le péché aggravait leur souffrance, cycle infernal où l’homme était enfermé. Alors, Dieu a pris un long détour, pour se loger au cœur du drame : dans son Fils il s’est approché de la situation de l’homme dans sa plus grande misère. Puisque la conséquence de ses péchés l’empêchait d’aller jamais vraiment vers Dieu en reconnaissant sa responsabilité dans le mal, puisque le mal entraînait le mal, le Fils s’est mis au point le plus difficile, au point le plus exposé de la condition humaine, là où plus personne ne pouvait plus aimer : dans la souffrance la plus totale, la plus effrayante, là ou les meilleures dispositions se tournent en blasphèmes et où la fraternité aboutit au ressentiment. Et là il a continué à aimer, là il a continué à vivre ce retour d’amour du Fils vers le Père, de la créature vers le Créateur. Il a fait ce que jamais personne ne pouvait faire, c’est-à-dire qu’en se mettant dans la pauvreté dernière, il a continué à aimer, à obéir, à faire confiance. Le pécheur ne voit que les avantages de l’amour, il aime tant qu’il est gratifié par l’amour et quand les avantages commencent à cesser, quand il se croit seul à donner, il cesse aussi d’aimer. Or Jésus s’est mis dans le cas le plus extrême, où les dons sont totalement absents, où il est privé de tout, où son œuvre est anéantie, où l’amour du Père n’est plus du tout sensible – même psychologiquement – d’où son cri terrible « mon Dieu pour quoi m’as-tu abandonné ? ». Le Père se tait. Pour le Fils, l’amour du Père est tout, bien plus que nous il est suspendu à son Père. Ce silence est insupportable, il le déchire complètement. Mais, même dans ce cas-là, il continue à aimer, la preuve : il se tourne encore vers Dieu et n’interrompt pas sa prière, qui va se finir en action de grâce anticipée. Au moment où il n’a presque plus de souffle dans la bouche, où ses forces sont réduites à rien, avec le moins de moyens il va faire le plus étonnant, ce petit retournement de rien du tout, ce petit décalage par rapport à l’expérience normale des hommes qui est si profond qu’il renverse les données du problème, qu’il fait sauter le piège, qu’il fait une brèche dans la condition humaine. Avec nous, le démon gagne bien souvent, car plus l’homme souffre, plus il est une proie facile pour celui-ci. Et il semblerait que le démon se soit acharné sur Jésus, sentant sa sainteté, voulant d’autant plus le faire tomber, il a tout tenté pour le détourner de son Père et il a été battu et mis en fuite.
Non seulement Jésus a connu la mort (et quelle mort !), mais l’être mort, la durée dans la mort. Il est, comme dit le Crédo, descendu aux enfers, il s’est enfoncé dans ces profondeur que la Bible appelle Shéol ou enfers (pas l’enfer qu’elle appelle plutôt Géhenne), qui le séjour des morts avant le Christ, région d’une morne attente. Le Fils de Dieu en s’y aventurant fait briller la lumière jusque dans ce lieu obscur. Saint Pierre nous dit qu’il va prêcher aux âmes en prison.
La Résurrection c’est tout simplement la réponse du Père à tant d’amour. Devant la plénitude de l’amour filial qui se donne, il y a la plénitude d’amour paternel qui rend au Fils infiniment plus que ce qu’il avait jusque-là, qui lui donne une vie immortelle, délivrée du mal et de la souffrance. Jésus a un corps, un vrai corps d’homme avec lequel il entre en communion avec les choses et les êtres. Il échappe, certes, il n’est pas limité par les contraintes de temps et d’espace, il peut se montrer en plusieurs lieux à la fois, il entre toutes portes closes etc… Mais c’est bien lui avec ses mots, son sourire, son exigence. Il n’est pas moins, il est plus. Ce n’est pas un ectoplasme, un être fantomatique. Le fait que le Père ait rendu la vie à ce corps mortel que son Fils avait porté jusqu’à la croix montre que Dieu n’abandonne pas la matière à son insignifiance, comme si la vraie vie était ailleurs et que ne devrait survivre que l’âme délestée de son lien avec la matière. Le projet de Dieu, battu en brèche par le péché d’Adam, est réparé : Dieu est vainqueur sur le terrain où il avait paru être battu. En Jésus le corps de l’homme est rendu porteur de la vie la plus haute par son union à une âme elle-même divinisée.
Le Christ ressuscité ne passe pas dans un autre domaine, il continue de communiquer avec nous. Pendant quarante jours, il est apparu à différents moments à ses disciples pour les réconforter et les inviter à se remémorer ce qu’il avait vécu avec eux, avant de les lancer dans la mission universelle. Ce temps est relativement court, car Jésus veut laisser à ses Apôtres la responsabilité de l’Eglise naissante. Il ne sera pas moins présent parmi eux mais d’une autre façon : en laissant l’Esprit inspirer ses chefs et susciter des charismes, mais en visitant incognito le cœur de ses amis à travers la prière et les sacrements. Pendant ce temps, il monte aux cieux, non pour se perdre dans les nuages, car il « monte vers son Père et notre Père » pour achever sa vie terrestre dans la joie de vivre avec toute son humanité dans la communion du Père. C’est là qu’il peut recevoir l’autorité sur les tous les êtres, spécialement les créatures angéliques qui lui sont soumises. Maintenant qu’il est monté aux cieux il nous envoie l’Esprit Saint, c’est-à-dire que il peut dans son humanité toute irradiée de lumière et de force faire découler la source de vie pour nous, il peut à partir des blessures de son corps, devenues fécondes et glorieuses, faire s’échapper les fleuves d’eau vive qui vont laver le monde entier et qui vont communiquer la grâce à toute l’humanité. Donc le Christ n’est pas seulement pour nous un exemple, sa passion n’est pas seulement une leçon de courage, sa résurrection n’est pas simplement une utopie destinée à nous soutenir dans le combat, elle est source de vie, si nous nous branchons sur elle. Glorieux et Seigneur il peut donner à toute chair la rémission des péchés et l’Esprit Saint. Et donc c’est toute la restauration du monde qui commence à partir du Christ ressuscité. Si la restauration est encore cachée et si la victoire n’est que partielle, elle s’étend de proche en proche, elle atteint d’abord les sphères les plus profondes de notre être et puis, de proche en proche, par nous elle atteint le domaine des corps, des institutions, des réalités sociales, du monde entier qui est travaillé de l’intérieur par ces énergies de Résurrection.
7 – la vie dans l’Esprit
La vie chrétienne, c’est notre entrée dans l’existence pascale du Christ : ce que le Christ vit en plénitude, il nous rend possible de le vivre dans ce temps d’attente où nous sommes placés avant son retour, il nous intègre dans sa réussite de façon cachée. Car, comme nous le dit Saint Paul, notre vie est « cachée », avec lui, en Dieu. Cachée, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas comptabiliser toutes les transformations qu’il opère en nous, mais nous y croyons, nous les savons réelles et nous savons par quelles voies il nous les communique.
Elles nous arrivent principalement par la liturgie de l’Eglise qui est toute entière porteuse du mystère du Christ qu’elle nous dispense tout au long de notre vie, en se coulant dans notre temps, nos jours, nos semaines, nos années Si nous la vivons pleinement, et pas seulement à certains moments, elle informera notre vie, nous éduquera et nous fera porter du fruit, en nous faisant rentrer dans ce ballet qui prépare et annonce la ronde des saints autour de l’Agneau dans le ciel. Au cœur de cette liturgie, il y a les sacrements. Les sacrements, ce sont très exactement les points où jaillit pour nous le mystère pascal dont nous devenons les bénéficiaires. Par eux, nous recevons quelque chose du drame de la Croix et de la Résurrection, nous devenons témoins des actes sauveurs du Christ, nous entrons dans sa vie. Le salut qui nous rejoins alors n’est donc pas un simple décret d’amnistie prononcé une fois pour toutes à Jérusalem en l’an 30, c’est notre entrée concrète dans l’histoire du salut en ce temps et en ce lieu où nous sommes, la manière concrète dont le Christ vainqueur vient toucher notre vie, et celle de tous les autres, jusqu’à la consommation des siècles. Le sacrement, c’est le nom de ce branchement sur le cœur du Christ mort et ressuscité qui s’opère pour nous, la soudaine actualité de l’œuvre du salut qui nous fait contemporains des actes du Sauveur. C’est pourquoi ces sacrements ont une face visible, repérable, historique et comportent en même temps une réalité invisible (la grâce). On sait quel jour on a été baptisé, on sait quand on a communié, quand on a reçu l’absolution et en même temps ce sont des gestes qui mettent en jeu l’action même du Christ glorieux lequel, dominant les temps et les espaces, s’offre à son Père pour nous. On dit que le sacrement est conféré ex opere operato, c’est-à-dire que l’effet est garanti, si les conditions sont remplies (la matière, la forme et le ministre prescrits, avec une intention droite). Pour peu que le ministre soit un vrai ministre et que le signe sacramentel ait été correctement posé, nous savons que tout est réalisé du coté de Dieu. Mais attention ! cela ne veut pas dire que c’est une réalisation mécanique. Il y a bien quelque chose de nous qui doit entrer en jeu pour que ce sacrement soit fructueux. Il faut d’abord que nous soyons d’accord pour le recevoir, car, si nous le refusions, il n’y aurait même pas de sacrement. Mais, même reçu validement, il faut, pour qu’il donne du fruit, que nous y consentions en profondeur, que nous lui permettions d’agir en nous, que nous nous y soyons préparés, que nous y revenions ensuite comme à une source.
Si le Christ a institué sept sacrements, c’est que l’être humain est complexe et qu’il passe par différentes phases. Les sacrements viennent à rejoindre l’expérience humaine sous plusieurs angles, qui sont tous des centres d’intérêt du Christ que nous voyons déjà se déployer durant sa vie publique (rémission des péchés, attention aux malades, présence aux noces, consécration des Douze, etc…). A chacune, il vient appliquer un rayon de sa lumière, ou un ruisseau de son sang. C’est l’eucharistie bien sûr qui domine tout cet organisme sacramentel par l’ampleur du don qui s’y exerce, nous y avons non les effets du mystère pascal, mais ce mystère lui-même dans sa source. Le sacrifice de la messe n’est pas un souvenir de ce qui s’est fait sur le Golgotha, c’est le sacrifice du Christ sur la Croix ; le corps sacramentel n’est pas un don du Christ, un moyen de nous prouver son amour et de faire passer sa grâce, c’est son propre Corps. Dans tous les autres sacrements, l’élément matériel (eau, huile) est un moyen que le Seigneur utilise pour nous communiquer quelque chose de sa grâce, mais on n’adore ni l’eau bénite, ni les saintes huiles, or là, avec l’eucharistie, c’est la réalité matérielle elle-même qui est transformée : même si nous ne voyons rien de changé à l’extérieur, le pain et le vin ne sont plus qu’une apparence : c’est le Christ glorieux qui est là ! C’est ce Christ glorieux auquel nous communions, c’est-à-dire auquel nous nous unissons en profondeur au point de faire plus qu’un seul corps avec lui, et aussi un seul corps avec tous nos frères qui sont eux aussi de membres du Christ.
Mais il y a les six autres : il y a le baptême qui fait habiter en nous l’Esprit Saint et les deux autres personnes divines et qui, par le fait même, annule les principaux effets du péché des origines : il remédie à l’état de rupture congénital avec Dieu dans lequel nous naissons et nous donne des aptitudes nouvelles et vraiment incroyables (la foi, l’espérance et la charité, c.a.d. l’amour). Il y a la confirmation qui redouble le baptême et le fait pénétrer plus avant dans nos moelles. Il y a la pénitence qui remet le baptisé pêcheur en état de grâce. Il y a le mariage qui transfigure l’alliance humaine en la faisant ressembler à l’alliance du Christ et de l’Église. Il y a l’ordre qui fait qu’un homme semblable aux autres peut être assumé par Dieu pour devenir le médiateur du Christ, plus exactement pour laisser le Christ agir à travers lui. Enfin il y a le sacrement des malades qui est comme une ordination au « saint état de maladie » par lequel le souffrant se trouve identifié au sacerdoce du Christ. Voilà pour les sacrements qui sont les moyens, mais l’agent et en même temps le résultat, c’est la grâce.
La grâce, ce n’est pas quelque chose, ce n’est pas un médicament, ni une force qui agirait à notre insu. La grâce, c’est au fond le Saint Esprit, qui a été donné en plénitude par le Christ, qui est répandu sur toute chair depuis la Pentecôte, le Saint Esprit qui agit au fond de nous en faisant de nous des êtres libres, des fils dans le Fils. La grâce n’est pas une manière pour Dieu d’agir en nous sans nous, c’est elle qui sollicite notre liberté, qui l’éduque, qui la fait grandir. N’opposons pas la grâce et la liberté, ne voyons pas dans la liberté une autonomie où l’homme ne devrait rien à Dieu. Dieu n’est que don, ce qu’il veut faire avec nous n’est pas dicté par son intérêt particulier ou une quelconque volonté de puissance, ce qu’il veut voir réussir en nous, c’est nous. Mais il sait pourquoi il nous a créés : pour une communion d’amour et cette communion demande une participation libre de notre part. Puisque nous sommes devenus faibles et souvent aveugles, nous avons besoin d’être éclairés, dirigés et soutenus. Il le fait patiemment et, si nous nous laissons faire, il fera grandir notre responsabilité, notre maturité spirituelle, la possibilité d’agir et de dominer les mouvements anarchiques de notre être. Peu à peu il nous rend ainsi participants à son projet. La grâce, c’est encore cette mystérieuse réalité qui ne se laisse pas cerner pas des résultats empiriques, mais que nous mesurons souvent après coup en voyons le tracé de notre vie. On peut se demander sur le moment : est-ce que nous avançons ou faisons du sur-place, avons-nous fait des progrès ou pas ? Ce n’est pas notre affaire, mais nous devons être en état de grâce, au moins tout faire pour retrouver cet état et laisser Dieu agir en nous. C’est pourquoi nous avons à prier, car la prière c’est ce par quoi nous faisons advenir la grâce dans nos vies. La prière obtient tout, la prière confiante, surtout dans le domaine de notre vie intérieure, nous garantit le don de l’Esprit Saint, c’est Jésus qui nous l’a promis : « si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ? ».
Mais je n’ai pas encore parlé de l’Église parce que si elle est omniprésente dans la vie chrétienne, d’un certain côté elle est seconde : ce n’est à elle que nous croyons d’abord, c’est au Christ que nous rendons les armes, c’est lui qui nous livre l’image définitive de Dieu dont l’Eglise est la servante. C’est elle qui nous a engendrés à la vie chrétienne, c’est elle qui nous a fait grandir dans cette vie avec le Christ, c’est elle qui nous accueillera un jour au ciel et nous fera rentrer dans cette assemblée infiniment plus vaste que nous ne l’imaginions sur terre puisque nous y verrons des millions et des millions de frères et sœurs qui sont morts avant nous et qui ont rejoint le Christ. Donc l’Église, c’est une société à deux faces. La réalité visible solidement implantée dans l’histoire, avec ses chefs, ses structures, son droit, c’est elle qui nous enseigne et qui nous dispense les sacrements. Et puis c’est aussi une société invisible, la société des sauvés de tous les temps, ceux qui étaient dans les limites visibles de l’Église et ceux peut-être qui n’y étaient pas complètement. C’est la foule des premiers-nés qui entourent le trône de l’Agneau. Il faut toujours prendre l’Église dans ses deux dimensions. L’Église, ce n’est donc pas d’abord un lourd appareil institutionnel, c’est la manifestation dans l’histoire humaine de ce dessein que Dieu veut réaliser : rassembler tous les hommes dans une communion de foi et d’amour. Là où l’Église catholique est présente, nous savons que nous avons le salut à sa source. Mais cela ne veut pas dire que Dieu ne peut pas agir autrement ailleurs, mais même ailleurs il agira en dépendance de cette source qu’il a voulue. Ce seront des résurgences de la même source, il n’y aura pas plusieurs sources. C’est ainsi qu’il faut bien comprendre l’adage « hors de l’Église point de salut ». Cette Église elle ne se repose pas sur ses lauriers, elle ne pense pas qu’il lui suffise d’être cet immense peuple à la fois terrestre et céleste. Elle pense qu’il faut toujours étendre sur terre les limites de sa tente, élargir ses piquets. C’est pour cela qu’elle est destinée à la mission, qu’elle n’existe que pour autant qu’elle accepte de se répandre. Qu’elle n’est pas statique et stationnaire. Et que sans cesse elle perd du terrain ici car le monde lui résiste et souvent se détourne d’elle et en même temps elle conquiert de nouveaux horizons. Elle est sans cesse tendue entre son accomplissement qui se réalisera le jour où le Christ reviendra et ce travail patient, jamais terminé, cette toile de Pénélope toujours à retisser dans laquelle elle manifeste au Christ sa fidélité. J’ajouterai que cette Église est différenciée. C’est-à-dire qu’elle n’est pas un peuple confondu ou tout le monde aurait le même rôle. Elle est un peuple structuré qui fait place en son sein à la richesse du sacerdoce : il obéit à des chefs visibles qu’il ne confond pas avec Dieu, mais auquel il se soumet parce qu’ils lui donnent jour après jour la vie du Christ. Sachant qu’il n’y a jamais autant de bonheur qu’à obéir lorsqu’on le fait pour Dieu. Ce peuple est aussi enrichi de nombreux charismes qui l’illustrent dans des genres très différents : service des autres, dons artistiques, pénétration des mystères, guérisons, miracles. Toute cette richesse est rendue compatible grâce à l’Esprit qui fait l’unité sans l’amour.
J’ajouterai à cette réflexion sur l’Église une réflexion sur la communion des saints. Car d’être chrétien, c’est participer à ce grand corps qui est certes l’Église, mais l’Église avec toutes ses ramifications. Ce que justement on appelle la communion des saints. Nous ne sommes pas chacun de nous à recommencer l’aventure humaine, je le disais à propos du péché, c’est encore plus vrai à propos de la grâce. Là où une âme s’élève, elle élève tout l’univers. Là où je suis en communion avec le Christ, j’entraîne dans cette communion tous les autres, tous mes frères. C’est pourquoi le Christ nous ouvre par cette communion des saints une possibilité de donner notre vie à notre tour, de ne pas être simplement des bénéficiaires du salut, mais d’en être, nous aussi des acteurs. C’est là qu’il faut situer en premier lieu la Vierge Marie. Elle est un membre éminent de la communion des saints, non pas au-dessus d’elle mais en elle. La Vierge Marie est la première sauvée et à cause de cela la première à pouvoir répandre le salut. Il est en effet une loi dans le christianisme que celui qui est comblé peut combler les autres, celui qui a reçu peut donner et que plus on a reçu plus on a la capacité de donner. La Vierge Marie a vécu cela. Elle qui, sans mérite de sa part, avait été préservée du Péché originel, qui avait reçu cette divine maternité, voilà qu’elle entre de plain-pied avec toute sa force juvénile et sa bonne volonté dans cette transmission de ce qu’elle a reçu. Et aujourd’hui si nous l’invoquons, c’est que nous savons qu’elle peut donner à pleines mains ce qu’elle a. Eh bien la même expérience est – toute proportion gardée – en jeu avec les saints déjà au ciel, mais aussi avec nous sur terre. Les saints ne sont pas seulement des exemples que nous aurions à suivre, ils sont comme un défi qui nous est jeté : « nous avons reçu le même baptême que vous et voyez ce que Dieu a fait avec nous, alors vous qu’attendez-vous pour nous suivre ? ». Leur prière nous aidera, car ils nous enveloppent de leur amour, si nous suivons leurs traces. Inondés de la lumière divine, ils sont devenus capables de nous la faire désirer et en quelque façon de nous la transmettre.
Enfin un petit mot sur la prière. La prière qui est au sein de notre vie chrétienne l’élément décisif qui nous permet d’agir non pas dans l’ordre du visible mais dans celui de l’invisible. Notre prière chrétienne n’est pas simplement une élévation vers Dieu. Elle est une manière de faire rentrer en nous le Fils et l’Esprit, de nous configurer à l’amour des trois, de nous faire entrer dans la famille trinitaire. C’est pourquoi la prière ne se réduit pas à des états mystiques ou autres, à des impressions, à des sensations, mais qu’elle est un acte de notre liberté qui se rapproche de Dieu, qui choisit Dieu qui décide de se donner à Dieu. La prière n’est pas seulement demande, même si celle-ci est légitime, elle est contemplation, long regard sur Dieu rendu tout proche par la sainte humanité de Jésus et la beauté de son cœur.
8 – Les derniers temps
Il me reste une dernière thèse, celle sur les « fins dernières », l’eschatologie comme on dit. C’est-à-dire sur le terme de notre histoire avec Dieu. Nous croyons que le monde va vers un terme. Nous ne pensons pas que ce qui a été créé un jour sera éternellement en chantier. Un jour, il y aura une fin parce qu’un jour il y aura le bonheur pour lequel Dieu nous a créés. L’humanité ne continuera pas cette course perpétuelle, faite de hauts de bas, dans laquelle jamais rien n’est assuré définitivement, même s’il y des oasis de plénitude sur la route. L’eschatologie que nous laisse espérer le Christ n’est pas une marche en avant vers un terme idéal, qui reculerait sans cesse à mesure qu’on s’approcherait de l’horizon : comme il y a eu une création au départ et pas un processus éternel, il y aura un terme, une vie plénière avec lui pour toujours. Ce terme a des anticipations dans les sacrements quand nous rencontrons Jésus mystérieusement caché et dans le bonheur que connaissent déjà les élus après cette vie, mais – en attendant la Résurrection bienheureuse – ce ne sont que des ébauches, car Dieu veut que nous entrions tous d’un même pas dans la Jérusalem céleste et il faut donc attendre l’ultime réponse des derniers qui paraîtront sur la face de la terre. Il ne se résigne pas à ce qu’il y en ait quelques-uns uns qui se perdent. Alors tant que le monde dure, tant que Dieu a l’espoir d’amener à lui des hommes, des groupes d’hommes, des sociétés, l’histoire continue. Et quand il aura pensé qu’il atteint le plénum (dont lui seul connait la mesure), il arrêtera le cours des évènements et tous connaîtront ce jugement qu’on appelle général parce qu’il enveloppera tous les hommes, mais aussi les réalités collectives, et le cosmos entier.
Le jugement ne dit pas d’abord condamnation, mais plutôt tri, mise à jour des pensées profondes, dévoilement de l’orientation générale des personnes, des sociétés. Donc cette fin du temps, loin de nous terrifier, loin d’être pour nous une menace qui pèserait sur nos têtes, est au contraire le commencement notre bonheur, pour peu qu’aujourd’hui nous soyons résolus à aimer Dieu de tout notre cœur et à faire sa volonté. Nous savons que ce jour-là Dieu fera enfin ce qu’il voulait, il fera disparaître le mal et la souffrance pour toujours. S’il a laissé le mal se propager sur la terre, c’est parce qu’il ne voulait pas l’arracher brutalement et obliger l’homme à l’aimer. Un jour il sera vaincu. Un jour les choses seront claires, un jour nous saurons de quel coté nous sommes et ce jour-là nous expérimenterons jusque dans notre chair le bonheur indicible du Christ glorieux. Du coup, cesseront les incertitudes et le clair-obscur de nos vies.
En ce jour-là, nous connaîtrons une vie qui n’aura pas de fin, une vraie vie, dont celle que nous connaissons aujourd’hui n’est que l’ombre, mais dont nous avons parfois l’aperçu dans un moment de vrai bonheur. On dit parfois « que ferons-nous au ciel » ? Le Seigneur ne nous donne que quelques images : une ville (la Jérusalem céleste de l’Apocalypse) où nous serons tous rassemblés autour de l’Agneau, où nous aura accès à arbre de vie, où nous n’aurons plus besoin de la lumière du soleil, d’autres textes nous parlent d’un festin de viandes grasses et de vins capiteux etc… A l’inverse du Coran, la Bible ne nous fournit que très peu d’aperçus sensibles du bonheur futur, parce que tout ce que nous pouvons imaginer est forcément limité. Les plus grandes joies que nous pouvons imaginer deviendraient vite ennuyeuses si nous devions en jouir perpétuellement, tandis que Dieu nous surprendra toujours : étant infini, il sera la source d’un bonheur lui-même infini, dont nous serons toujours à découvrir le commencement. Le meilleur qu’on puisse en dire, c’est que nous serons « avec lui » pour toujours. Etre près de celui qu’on aime, n’est-ce pas tout ce qu’on peut espérer ? Nous aimerons d’une façon nouvelle ce Dieu qui se penchera sur nous sous les traits humains de Jésus de Nazareth : il nous conduira toujours plus à son Père et fera jaillir de notre poitrine l’Esprit sans mesure. Ce bonheur ne sera pas seulement éthéré, il concernera notre cœur et notre corps, il nous fera goûter la beauté des choses et des êtres. A part la sexualité, qui n’aura pas sa place dans un monde où aucune naissance ne sera plus nécessaire, tout ce qui a fait la substance de notre vie nous sera rendu magnifié ; notre cœur, une fois passé au feu de l’amour divin, exultera au contact de ceux que nous avons aimés et des saints du ciel avec qui nous nous élancerons vers notre Roi de gloire. La compréhension de notre vie sur terre nous sera donnée : une fois le péché définitivement lavé, nous verrons la cohérence des attentions de Dieu sur nous et les vrais actes d’amour que nous sommes parvenus à poser malgré notre faiblesse.
En attendant, Dieu engrange les âmes. Puisque Dieu veut que nous entrions un jour tous ensemble dans la Jérusalem céleste, il garde en réserve chacune de vos vies. Quand chacun d’entre nous passe par la mort suite du péché, il comparait devant lui, pour connaître déjà par ce premier jugement, la mise à jour de ce qu’il en est dans le fond de son existence. Car il y a un terme aux oscillations de notre liberté. Nous ne sommes pas toujours entre le oui et le non, il y a un jour où notre volonté se stabilisera, c’est l’heure de notre mort. Ce jour-là, le Seigneur nous révélera le choix profond que nous avons ébauché jusque-là, ou plutôt c’est dans cette confrontation que se réalisera l’ultime décision : « alors tu veux de moi ou tu ne veux pas de moi ? » et c’est notre réponse qu’il éternisera. Et à partir de là, nous serons bien dans le bonheur éternel, ou dans la séparation définitive, c.a.d. l’enfer. Car l’enfer existe et il n’est pas simplement un épouvantail, il est faux de dire que Dieu rattrapera tout, comme si l’homme n’avait pas la terrible possibilité d’un non, ce qui laisserait un doute sur la réalité du oui qu’il peut donner. C’est Jésus qui nous a parlé dans les termes les plus clairs de l’enfer (qu’il appelle la Géhenne de feu), ce n’est qu’au contact de l’amour brûlant de Dieu qu’on peut comprendre la terrible gravité du péché. Dire que l’enfer est vide est absurde, car il n’est pas question d’un lieu quand le Christ en parle, mais d’un bien état et il ne parlerait pas avec autant de précision d’un état qui serait celui de personne.
Le purgatoire, quant à lui, n’est pas un état intermédiaire, mais l’état de ceux qui ont choisi Dieu, qui ont voulu Dieu mais qui ont encore de lourdes entraves, qui sont encore captifs des choix inconsistants qu’ils ont faits et qui doivent en conséquence subir une cure de désintoxication pour paraître nets et purs devant leur Seigneur. Au contact du Christ qu’ils sentent si proche et si aimant, ils souffrent de leur inadaptation à l’amour. Ils souffrent de voir leurs genoux si enkylosés, leurs nuques si raides et ils acceptent d’être brisés pour retrouver la liberté glorieuse des enfants de Dieu.
Voilà ce qui commence déjà à la mort de chacun d’entre nous lors de cette première rencontre du Christ vivant qui précède la totale et définitive admission en sa présence lors de son retour glorieux. Le jugement dernier récapitule tous les « jugements particuliers » et s’étend à l’histoire entière en révélant toute la part qui était déjà occupée par l’amour de Dieu, l’autre étant promise à disparaître dans l’étang de feu dont parle l’Apocalypse.
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Le christianisme c’est tout un programme ! Mais c’est surtout l’écho d’un projet merveilleux qui vient du fond des siècles et des profondeurs même de Dieu. Il nous faut le découvrir sans cesse pour en vivre de plus en plus profondément.
Ne peut-on suive Jésus-Christ sans obéir à une Église dont les exigences et les prises de position sont parfois contestables ?
« Qu’il y a-t-il de commun entre ce trust romain, dirigé par des prélats en dentelles, et la pauvreté évangélique ? » demandent les uns. « Pas de curé entre Dieu et moi » disent les autres. Il y a aussi ceux qui se taisent mais n’en pensent pas moins… Comment ne pas éprouver un sentiment de scandale au souvenir des abus de l’Inquisition ou du comportement des papes de la Renaissance ? Et combien de personnes sont choquées par certaines attitudes des chrétiens et même des membres du clergé, attitudes non seulement maladroites mais encore franchement contraires à l’esprit de l’Évangile ? D’ailleurs, lorsqu’on est « d’Église » on n’est plus libre, s’entendent dire les chrétiens. La hiérarchie des gens d’Église vous embrigade dans ses activités, vous astreint à la messe hebdomadaire, à la confession… vous dicte des options en matière de politique et va même jusqu’à vous imposer des prises de position dans le domaine intellectuel ! N’est-ce pas là une atteinte à la dignité de la personne humaine ? Jésus-Christ en aurait-il fait autant ?
L’Église, rétorquent d’autres, ne doit pas être tellement sûre de ce qu’elle affirme puisqu’elle est en pleine évolution. La religion n’est plus la même de nos jours qu’il y a vingt ans. Qui a raison : ceux qui parlent aujourd’hui ou ceux qui ont parlé hier ? Pie IX et son « Syllabus » ou Jean XXIII et son encyclique « Pacem in terris » ? Ne serait-il pas plus simple de s’en référer directement aux évangiles ? L’homme moderne a-t-il vraiment encore besoin d’une Église
Que faut-il attendre de l’Église ?
Pour répondre à cette question, il faut en poser une autre : que cherche-t-on dans l’Église ? Est-elle une amicale d’entraide des adorateurs du Christ ? Est-elle simplement chargée de faire régner la morale évangélique au service d’une humanité en quête de progrès ? S’il en est ainsi, les défaillances de ses membres peuvent assurément mettre en cause les raisons mêmes de son existence… Ses prises de position intransigeantes paraissent alors inutiles.
Mais si l’on considère ce que l’Église dit d’elle-même, on s’aperçoit qu’elle cherche à répondre à un besoin de l’homme plus fondamental encore que son besoin de morale ou d’entraide. L’Église se présente comme le cadre d’un rendez-vous que Dieu donne à l’homme. Dieu est inaccessible par les seules forces humaines. Si l’homme veut entrer en contact avec Dieu, Dieu doit d’abord venir à lui. Or, l’Église a conscience d’être le lieu privilégié où cette rencontre peut se réaliser.
L’Évangile n’est-il pas suffisant ?
Mais cette rencontre de Dieu avec les hommes n’est-elle pas déjà totalement réalisée par Jésus-Christ ? N’y a-t-il pas un unique médiateur : le Fils de Dieu devenu chair ? Que peut ajouter l’Église à la personne du Christ ? Ne suffit-il pas d’aimer le Christ tel que l’Évangile l’annonce, de communier par la foi et la pensée avec le Ressuscité ? Pour répondre à ces questions, il faut essayer de savoir ce que signifie cet amour pour le Christ de l’Évangile et voir comment peut se faire la rencontre du chrétien du XXè siècle avec Jésus Ressuscité. Aimer le Christ, suivre le Christ ou être son disciple (les trois expressions sont synonymes dans l’Évangile), cela signifie d’abord écouter sa parole. Dès lors une difficulté se présente : l’Évangile peut être interprété de bien des manières, parfois contradictoires. Laquelle est conforme à l’esprit du Christ ? Il est difficile d’admettre que l’homme n’en saura jamais rien et qu’il doit se contenter de sa propre interprétation au risque de déformer la pensée de Jésus. C’est pourquoi l’Église nous dit qu’elle est la dépositaire authentique de l’esprit de Jésus dans lequel il fait lire l’Évangile.
Mais aimer, ce n’est pas seulement connaître, c’est aussi agir. Suivre le Christ signifie agir pour Lui et avec Lui afin de nouer dans cette activité commune un véritable lien d’amour. A nouveau la question se pose : comment l’action du disciple pourra-t-elle s’unir à l’action du Christ ? Il ne suffit pas, à deux mille ans d’intervalle, que chacun imite le Christ suivant sa propre inspiration, il lui faut un moyen de le rejoindre aussi concrètement que ses contemporains l’ont pu faire. Les hommes ont besoin d’exprimer leur amour pour le Christ par des gestes gratuits et « éprouvés ». La liturgie leur offre cette possibilité en leur permettant de vivre à la fois les premiers pas que le Christ fait vers eux, leur amitié et leur abandon au Christ et Son amour qui s’empare d’eux. Il faut pouvoir être sûr que, sous le couvert d’une recherche du Christ, on ne suive pas son propre rythme psychologique, qu’on n’essaie pas de reprendre à son profit ce que l’on pense avoir déjà offert au Christ : l’Église permet de savoir avec certitude que le Christ a bien accepté tel ou tel don à Lui offert. Elle représente les mains du Christ saisissant l’homme pour achever sa conversion et accroître son amour. L’homme ressent le besoin d’atteindre le Christ de façon visible : l’Église répond à ce besoin en se présentant comme le prolongement du mystère de l’Incarnation. Le Christ, depuis qu’Il est « remonté aux cieux » n’a pas fait disparaître la possibilité pour l’homme d’entrer en contact personnel et concret avec Dieu. En effet à travers son Église, Il continue à agir dans le monde.
Le Christ a-t-il voulu une Église ?
Toutes ces affirmations ne sont-elles pas des désirs pris pour des réalités ? C’est dans la parole du Christ Lui-même qu’il faut chercher la réponse. Comment le Christ se comporte-t-il vis-à-vis de ceux qui veulent Le suivre? L’amour qu’il attend de ses disciples comprend, semble-t-il, une double dimension. Il est d’abord accueil de sa parole. Il s’agit, bien entendu, de sa prédication personnelle, mais le Christ enseigne aussi que ses disciples sont les relais autorisés de sa parole : « Qui vous écoute, m’écoute » (Luc 10, 16) car c’est son propre Esprit qui parle à travers eux (Matthieu 10, 20). Et, tout normalement, les Grecs qui viennent voir Jésus commencent par s’adresser à ses disciples : Philippe et André, notamment, qui leur sont plus proches car ils parlent mieux leur langue (Jean 12, 20-21). Le Christ connaît d’ailleurs ceux qui croiront en Lui à cause de la parole de ses disciples et prie pour eux (Jean 17, 20).
En second lieu, aimer le Christ, être son disciple, c’est participer à la vie de la communauté qu’il a fondée. Cela suppose non seulement de tout quitter, mais encore de faire partie de la fraternité de ceux que Pierre va réconforter quand lui-même sera revenu de son premier égarement (Luc 22, 31-32) et d’accepter l’autorité spéciale reçue par Pierre (Matthieu 16, 17-19). C’est en vivant dans cette communauté que le disciple du Christ pourra collaborer avec le Seigneur. C’est le cas des disciples qui nourrissent la foule lors de la multiplication des pains (Matthieu 15, 35-36) ou qui sont envoyés en mission (Matthieu 10). Ces premiers essais annoncent le grand départ : celui où le Christ va demander aux siens d’être ses relais dans le monde entier (Matthieu 18, 16-20). Cette tâche est intimement associée à l’amour qu’ils doivent avoir pour le Christ. Le cas de Pierre en est un exemple particulièrement frappant : le Seigneur lui confie la charge de pasteur en échange d’une proclamation d’amour.
La présence du Christ sur terre est ainsi continuée par ceux qui, dans l’amour du Christ, ont reçu mission apostolique.
L’Église d’aujourd’hui continue-t-elle le Christ ?
Mais, dira-t-on, même si le Christ a donné une mission aux douze apôtres, de quel droit, deux mille ans après, des hommes se disent-ils successeurs de ces apôtres ? De la réponse à cette question dépend tout le Christianisme. Si l’on refuse toute autorité aux successeurs des apôtres, l’autorité même du Nouveau Testament disparaît. En effet, ces écrits sont en grande partie l’œuvre de la seconde génération chrétienne. Il semble par ailleurs que les apôtres aient eu, dès le départ, très nettement conscience de pouvoir communiquer à d’autres la mission qu’ils avaient reçue du Christ.[i] Mais finalement l’Église est aujourd’hui un fait. Sa conscience de rendre le Christ présent aux hommes est une donnée. Elle est l’unique institution qui ait une telle conscience. La refuser, c’est donc se situer en position paradoxale par rapport au Christ qui veut relayer son action et sa présence par des hommes. C’est laisser sans solution les problèmes que posent les exigences d’un amour concret du Christ. Au contraire, accepter l’Église comme le cadre d’un rendez-vous concret avec le Christ en notre temps et en notre pays, c’est la démarche même de la Foi. Cette démarche doit se faire raisonnablement, ce qui ne veut pas dire à coup de raisonnements. Car, en dehors de l’Église, le Christ que l’on cherche apparaît plus lointain, plus imaginé, moins concret. En définitive, la compréhension profonde du rôle de l’Église ne peut se trouver que dans l’expérience de la vie ecclésiale que l’on doit faire. Encore faut-il que cette expérience ne soit pas absurde. Cela exige que l’on réponde à certaines objections.
L’Église sainte peut-elle être composée de pécheurs ?
Finalement, la grande objection contre l’Église est toujours la suivante : comment croire qu’une Église dont les membres sont si médiocres puisse permettre de rencontrer le Christ. Certes le péché des chrétiens est bien un scandale. L’Église n’en est pas du tout fière. Elle demande qu’on fasse pénitence, qu’on répare, qu’on fasse un effort pour ne pas retomber dans les fautes passées. Elle ne canonise pas la papauté de la Renaissance ou les abus de l’Inquisition. Cependant l’Église sait que le péché de ses membres est inévitable. S’il faut faire partie de l’Église pour aimer le Christ et si le Christ est venu pour les pécheurs et non pour les bien-portants, il y aura fatalement des pécheurs dans l’Église. Et c’est fort heureux en fin de compte car autrement personne ne pourrait être sauvé. Seulement, le péché multiplié par l’ignorance, par les déficiences de volonté, par la foule, peut provoquer les catastrophes les plus terribles et ternir le visage de l’Église. En quoi consiste alors la sainteté de l’Église? D’abord, bien entendu, en la réussite morale : l’Église en témoigne par ces personnalités exceptionnelles que sont !es saints canonisés. Mais, elle peut consister aussi en cet effort persévérant de relèvement après des fautes que l’on recommence toujours, en ce maintien des exigences divines alors même qu’elles apparaissent au-dessus des forces humaines, en cette foi douloureuse, au sein de la médiocrité humaine, dans la miséricorde de Dieu qui seule sauve les hommes sans aucun mérite préalable de leur part. C’est de cette sainteté que l’Église témoigne le plus souvent. C’est elle qu’il faut apprendre à reconnaître, au-delà de la grisaille des comportements quotidiens, dans l’élévation spirituelle de la doctrine, dans les appels à l’héroïsme toujours renouvelés, dans les réussites partielles, dans les redressements qui se produisent au moment où tout semblait perdu. Et en même temps, il ne faut pas juger les hommes trop vite. Dans telle action discutable, ou même franchement immorale, quelle est la part de liberté, de responsabilité ? Dieu seul le sait.
Le sens des réformes
Il ne faudrait pas tirer de ces considérations la conclusion que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’Église d’un pays, d’une époque donnée, a conscience de ne pas répondre encore totalement à l’exigence du Christ et à l’attente des hommes. C’est parce que les chrétiens, à une époque donnée, se sentent insuffisamment transparents à l’action du Christ, parce qu’ils se rendent compte qu’ils se sont laissés enliser dans des formes de vie privée ou collective par trop ambiguës qu’ils essaient de réaliser une remise à neuf, un « aggiornamento » comme on dit avec Jean XXIII. Bien sûr, cet effort de réforme est lui-même entaché par le péché des chrétiens. Il risque d’être pure course à la nouveauté ou diminution de certaines exigences. Mais il faut percevoir l’élan profond qui s’y manifeste et ne pas se scandaliser des échecs. Le mystère sous-jacent à tout cela est finalement celui d’un Dieu qui n’a pas besoin des hommes mais veut bien prendre le risque de s’en servir. Il manifeste par là une confiance étonnante en ses créatures libres et leur communique une singulière dignité en même temps que la joie d’une coopération directe avec le Maître et le Sauveur du monde.
Pour une Église pauvre
L’une des réformes que réclament bon nombre de chrétiens et de non-chrétiens est celle des apparences de richesses que l’Église semble présenter. Ici, il faut faire quelques remarques importantes. Avant tout, il faut se rappeler ce que signifie la pauvreté dans l’Évangile. C’est tout d’abord le détachement des biens de ce monde au sujet desquels il ne faut pas se tracasser (Matthieu 6, 25-34) et qu’il faut être prêt à quitter à la suite du Christ qui meurt nu sur la croix (Marc 10, 17-27). En second lieu, la pauvreté évangélique consiste à se mettre au service de tous les hommes (saint Jacques 2, 1-9) et, en particulier de ceux qui ressentent le besoin du salut, les pauvres, matériellement et moralement (Luc 4, 18-19). Enfin, et c’est peut-être le plus important, la pauvreté évangélique suppose qu’il n’y a qu’une seule richesse qui vaille la peine d’être cherchée : le Royaume de Dieu qui est déjà au milieu de nous dans l’engagement d’amour que le Christ propose à son égard (Matthieu 13, 44-46).
– Le détachement : La pauvreté demandée à l’Église devra s’inspirer de ces divers éléments et les concilier au mieux de façon concrète. Et tout d’abord, il faut bien voir ce que signifie le détachement de tout bien. Un niveau de vie peu élevé ne satisfait pas à ce précepte. On peut être riche comme les Pharisiens qui vivent de façon dépouillée mais en tirent gloire et influence. On peut être pauvre comme Zachée qui, tout en ayant une fortune considérable, accepte de réparer les torts qu’il a faits et de mettre la moitié (!) de ses biens au service des pauvres. C’est le sacrifice qui fait la pauvreté évangélique. Le romantisme de certains excès de dénuement peut être une forme d’orgueil ou d’hypocrisie aussi grave que l’attachement à telle ou telle possession. Le critère de la véritable pauvreté, c’est d’être prêt à tout quitter si le Christ le demande et, en attendant, de prouver la sincérité de cette disposition en donnant régulièrement aux plus pauvres que soi une part significative de son revenu. Mais, pour éviter tout orgueil, ce don doit savoir se faire discret. « Que la main droite… » (Matthieu 6, 1-4).
– Le service : En second lieu, la pauvreté de l’Église doit signifier une mise au service de tous. Ce service sera d’autant plus vrai et désintéressé qu’il sera plus efficace, c’est-à-dire qu’il sera déterminé par les besoins réels de ceux que l’on sert et non par les désirs des serviteurs. C’est en fonction d’un meilleur service que le Christ accepte, malgré le scandale des Pharisiens, de participer aux banquets des Publicains, qu’il admet que la communauté des disciples soit servie par des femmes (Luc 8, 1-3) et qu’elle ait une caisse tenue par Judas (Jean 12, 6), etc. De la même manière, l’Église, voulant servir avec efficacité, gardera toujours un minimum de biens. Toute action sociale nécessite en effet l’utilisation des moyens modernes de contact et d’organisation et cela coûte cher. Par ailleurs il faut que ses prêtres et permanents aient des moyens suffisants pour se consacrer totalement à leur ministère et l’assurer avec une certaine indépendance vis-à-vis des puissants de ce monde (c’est aussi le seul moyen pour que leur détachement de tout bien soit vraiment libre et donc authentique. Un dénuement imposé n’a pas la même valeur de charité qu’un dépouillement volontaire). Cela suppose un niveau de vie moyen qui sera fonction du milieu à évangéliser. Il est certain qu’un prêtre missionnaire dans un pays où l’on meurt de faim ne pourra pas se nourrir comme un vicaire d’un quartier chic de Paris. Ce qui compte ici, c’est la possibilité de se mettre au niveau de ceux que l’on cherche à évangéliser, pour pouvoir leur communiquer son message : « Je me suis fait grec avec les grecs, juif avec les juifs » dit saint Paul. Il faut aussi que les pauvres se sentent à J’aise dans l’Église. C’est plus difficile aujourd’hui car le monde moderne est particulièrement sensible aux inégalités entre hommes, inégalités qui provoquent angoisse et souffrance. L’Église doit être la mère de tous les hommes, tout en ne flattant pas ce qui serait jalousie ou amertume. Les solutions concrètes à ce problème sont malheureusement trop souvent encore au stade de la recherche. Mais il faut avoir pitié de la faiblesse humaine.
Il y a aussi le problème délicat qui est celui d’une certaine adaptation au style d’une époque. D’une part, l’apostolat de l’Église nécessite qu’elle prenne les formes de l’époque présente pour parler aux hommes leur langage. Mais faut-il pour autant liquider le passé même si le goût de leurs grands-parents ne convient plus aux hommes d’aujourd’hui ? Pour la raison que le XXe siècle préfère les lignes simples et droites aux mignardises et pastiches du XIXe, faut-il détruire les églises anciennes ? Il faut se rappeler aussi que les changements coûtent cher et que ces dépenses seraient peut-être mieux utilisées dans un autre domaine (un exemple : une chasuble en forme de boite à violon, même lamée d’or, qu’on trouverait d’ailleurs difficilement à vendre, a finalement moins de valeur marchande qu’une chasuble en laine blanche, toute simple, qu’il faudrait acheter chez un fabricant spécialisé d’aujourd’hui…). Un compromis doit être cherché. Mais tout compromis est discutable.
En conclusion, refuser tout bien à l’Église, c’est finalement la réduire à l’esclavage ou à l’impuissance et nier son caractère de corps du Christ, continuant l’Incarnation. Mais il faudra aussi parfois que les institutions chrétiennes aillent jusqu’à risquer leurs moyens d’existence dans certains cas urgents où elles seront seules à pouvoir apporter une aide efficace. C’est ainsi que des évêques au Moyen Age ont vendu des vases sacrés pour nourrir leurs diocésains en temps de famine.
– Les richesses du Christ : Le dernier aspect de la pauvreté de l’Église consiste à manifester que la seule richesse qui doit intéresser les hommes est la richesse du Royaume de Dieu. Mais c’est tout normalement l’Église elle-même qui représente ce Royaume de Dieu sur la terre. Il faut donc qu’elle sache accepter en toute simplicité les dons qui lui sont faits sans penser tout de suite à leur utilisation pratique. Le Christ a su ainsi féliciter Marie qui venait lui oindre les pieds alors que Judas se scandalisait de ce geste d’amour (Jean 12, 1-8). Tel ornement, telle construction, en proportion raisonnable d’ailleurs, doivent avoir une place dans l’Église pour manifester qu’elle est la dépositaire des richesses du Christ et qu’aucune richesse humaine n’est suffisante pour honorer ces valeurs divines. Ici encore la proportion considérée comme raisonnable par une époque diffère de celle que l’époque suivante adoptera pour son compte. Mais l’Église doit considérer les biens hérités des époques passées non comme ses biens propres mais comme des hommages rendus au Christ, et elle doit s’en servir pour le plus grand bien de tous. La tension entre ces deux objectifs met précisément en cause de la façon la plus radicale l’es goûts et les désirs des responsables ecclésiastiques : leur véritable pauvreté est celle d’ânes portant des reliques richement caparaçonnés mais qui plient sous ce fardeau.
Éviter le scandale en même temps que respecter un patrimoine spirituel est souvent fort difficile. Toutes ces remarques tendent à décrire un état idéal des choses. Il n’en reste pas moins que les hommes d’Église, parce qu’ils sont pécheurs, sont tentés de commettre des excès. Il faut les comprendre, les corriger au besoin, et s’efforcer soi-même à un plus grand détachement. Enfin, il ne faut pas attacher au problème de la pauvreté de l’Église plus d’importance qu’à celui de la foi, de l’espérance… et de la charité.
L’Église et la politique
Les prises de position contestables de l’Église que l’on invoque pour refuser d’en faire partie appartiennent souvent au domaine de la politique. Ici encore, il faut rappeler quelques principes. Tout d’abord, l’Église comme telle ne croit pas que sa fin essentielle, qui est de permettre aux hommes de rencontrer Dieu, soit nécessairement conditionnée par une réussite politique. L’Église le manifeste en n’accordant jamais une confiance totale à un système politique. Même quand une partie importante, des fidèles et du clergé appartiennent à un même parti, l’Église ne canonise pas celui-ci. Elle en voit les faiblesses et tend à les dépasser, au risque de paraître trahir les intérêts humains de ceux qu’elle avait favorisés quelque temps. Il ne s’agit pas d’opportunisme mais de l’affirmation qu’aucune politique humaine, même chrétienne, ne satisfait totalement l’Église. Cependant, l’Église est en même temps qu’une réalité spirituelle une société visible. C’est par cet aspect visible qu’elle réalise sa mission : la rencontre des hommes avec Dieu. L’Église est donc obligée de refuser certaines doctrines politiques qui combattent son existence ou ses conditions de vie. Par ailleurs, elle doit nécessairement entrer en dialogue avec les forces au pouvoir pour organiser au mieux ses conditions de vie et pouvoir exercer son apostolat : elle est donc amenée à faire de la politique. Enfin, ses membres doivent s’engager politiquement, chacun selon ses compétences, par devoir de charité envers leurs compatriotes. Ils vont essayer de défendre les principes de morale que leur enseigne l’Église pour permettre de donner à toute relation humaine le sens d’une recherche de Dieu. Toutes ces raisons feront que l’Église semblera parfois prendre position en faveur de tel ou tel parti. En fait, sauf dans les cas de salut public, les chrétiens sont libres d’apprécier les faits concrets et de trouver les solutions qui découlent des principes chrétiens selon des techniques qui échappent pour une part à la révélation chrétienne. Ils gardent alors une grande autonomie vis-à-vis de l’autorité ecclésiastique, ce qui ne doit pas les empêcher d’adopter à son égard une attitude de respect et d’amour. Ils doivent cependant admettre que dans certains cas graves, par réflexe de défense, la hiérarchie leur impose une prise de position politique. Ils doivent alors obéir tout en gardant la liberté de leur esprit. Il est nécessaire de se rappeler, comme le disait le père Daniélou, que la politique est pour le chrétien un devoir et non une mystique. Il ne faut pas se choquer de tel ou tel excès, tout en le regrettant et en essayant de le redresser. Que celui qui est sans péché jette la première pierre.
Pourquoi j’aime l’Église
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur l’Église, la place manque dans ce trop court schéma. Le lecteur voudra bien cependant permettre à l’auteur qui a essayé de vivre son union au Christ à l’intérieur de l’Église de témoigner pour finir de quelques-unes de ses découvertes. Pourquoi j’aime l’Église ? Eh bien, c’est d’abord elle que j’ai rencontrée dans ma recherche de Dieu. Elle a été le cadre de mes premiers essais de prière lorsque j’étais enfant. Elle s’est révélée à moi dans sa richesse, son dynamisme, sa sainteté insoupçonnables lorsque, adolescent déçu par le côté superficiel de certains ecclésiastiques, j’allais prendre mes distances vis-à-vis d’elle. C’est l’Église qui m’a présenté Jésus-Christ vivant et m’a appris à L’aimer. Elle m’a enseigné comment Jésus répondait à tous les problèmes humains : sens de la vie, amour, souffrance, mort… comment finalement tout se résumait par une adhésion à sa Croix et à sa Résurrection. Elle m’a fait porter la croix. Ses exigences m’ont souvent paru dures mais elle m’a fait reconnaître qu’elles étaient celles du Christ. La fidélité à certains rites m’a paru parfois pesante, mais l’Église m’a appris que, dans l’amour, il fallait souvent continuer des gestes auxquels on ne croit plus tout à fait et pendant ce temps-là retrouver une nouvelle ardeur. L’obéissance à ses décisions m’a fait concrètement sentir ce que c’était que donner. Il est si facile d’imaginer un Jésus qui soit la projection de ses désirs pris pour la réalité ! C’est par l’Église et son sacerdoce, qu’une longue lignée d’impositions de mains rattache comme matériellement au Christ, que j’ai senti qu’on pouvait entendre et toucher le Christ lorsque, dans un geste de l’Église la foi permettait de reconnaître un geste du Christ. C’était déjà la Résurrection qui commençait. Mais je l’ai mieux perçue dans la stabilité des exigences de l’Église, jamais atténuées par le péché des chrétiens, dans la perfection d’une doctrine admirablement adaptée au cœur humain, dans les réussites morales spectaculaires des saints qui m’ont appelé leur frère. Et jusqu’à la réussite artistique des basiliques romanes, des cathédrales gothiques ou du chant grégorien qui tout en me réjouissant m’ont fait entrevoir quelque chose du mystère qui habite l’Église. Cela ne m’a pas empêché, avec la lucidité d’un scientifique, de voir les défauts, les « âges de fer », les décadences… Mais j’ai découvert que le Saint-Esprit qui, je le crois, gouverne l’Église, est un artiste admirable qui, d’un instrument vulgaire, arrive à tirer une merveilleuse musique. La mauvaise qualité du matériel provoque des grincements mais même ceux-ci arrivent à s’intégrer dans la mélodie. Et si quelqu’un me demandait pourquoi ne pas aller à Jésus-Christ par une autre voie, je lui demanderais : lorsqu’un ami téléphone à travers un appareil à bruit de fond désagréable, vaut-il mieux se servir quand même de l’appareil ou se contenter de rêver au visage de l’absent ?
Pourquoi je crois en Dieu ?
« Écoute Israël : Le Seigneur notre Dieu est l’Unique Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme et de toute ta force. »
Deutéronome 6, 4-5
« Dieu, personne ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli. A ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné son Esprit. Et nous, nous avons contemplé et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde. Celui qui confesse que Jésus est Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu. Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru. Dieu est amour ! »
Première lettre de saint Jean 4,12-16
Quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme […] afin de nous conférer l’adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c’est que Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! aussi n’es-tu plus esclave, mais fils ; fils et donc héritier par Dieu. »
Lettre de saint Paul aux Galates 4, 4-7
Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m’a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler. »
Jésus en saint Matthieu 11, 25-27
La foi des catholiques
CROIRE : il ne s’agit pas d’une opinion, c’est engager notre vie et reconnaître que rien n’est supérieur à la Foi pour la guider, l’embellir, en faire une réussite absolue. La Foi n’est pas une manière de penser, elle est lien vital avec Dieu.
UN SEUL DIEU : En se manifestant à nous, Dieu prévient toute idolâtrie. Tous nos désirs humains peuvent alors trouver en Lui l’Unique leur véritable accomplissement, , sans déraper vers un objet ou une idée que nous fabriquerions et qui seraient alors une fiction, un fantasme.
PÈRE : Le monde tel que nous en connaissons l’histoire et quelques secrets n’a pas toujours existé, et un jour, il finira. II ne se réduit pas à ce que nous voyons et pouvons connaître. Dieu est un Père dont nous sommes les créatures, libres pour l’amour ou le refus, pour la vie ou la mort. Créés par amour au sein d’un monde fait pour nous amener au Père, il nous a destinés à être ses fils adoptifs. Mais nous ne répondons pas à ce projet.
FILS : Vivant depuis toujours près du Père, et existant par cette relation d’amour, II est Dieu. Répondant au projet du Père de sauver sa créature abîmée par le péché, le Fils épouse notre nature d’homme pour que nous puissions recevoir sa nature divine. Il s’est fait l’un d’entre nous, semblable à nous en toutes choses sauf le péché. II s’appelle Jésus. II est le Christ (l’envoyé), né un jour précis dans l’histoire, fils de Marie, mort vraiment et ressuscité vraiment.
LE SALUT : sur la croix, Jésus rejoint l’homme dans toutes les conséquences du péché originel dont lui-même est exempt : la souffrance, le sentiment d’abandon de Dieu et la mort. Au plus profond de la détresse, Il inverse le mécanisme du péché qui nous coupe de Dieu son Père, en se remettant tout entier entre ses mains, en lui confiant sa vie, sans restriction, mourant par amour pour chacun de nous, dans l’amour du Père. Jésus nous sauve de la mort et réconcilie l’homme avec Dieu. Le troisième jour, Jésus sort de la mort et peut nous partager la vie divine par l’Esprit.
LE SAINT-ESPRIT : Troisième personne au cœur du Dieu unique, Il en est la vie surabondante qui se répand et se diffuse en nos cœurs d’hommes. Chaque fois qu’à travers le Fils nous voyons le Père, nous en sommes redevables au Seigneur Saint Esprit qui est amour et nous conduit dans l’amour.
L’ÉGLISE : Formée de pêcheurs, elle est tout entière irriguée par le Saint-Esprit, habitée par son époux qui est Jésus Christ, présent corporellement dans les sacrements. Elle est le don de Dieu fait aux hommes, pour que chacun connaisse et adore le Père, en esprit et en vérité. Une, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu qu’elle a pour vocation de révéler en transparence, elle est sainte non par la vertu de ses membres, mais par sa tête qui est sainte (Jésus Christ), catholique parce que tous les hommes, passés, présents et à venir, sont appelés à devenir en elle fils de Dieu, et apostolique parce qu’elle succède sans rupture aux Apôtres, communauté voulue et choisie par Jésus-Christ.
Le credo
Je crois en Dieu,
Le Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la terre,
Et en Jésus Christ,
Son Fils unique notre Seigneur,
Qui a été conçu du Saint-Esprit,
Est né de la Vierge Marie,
A souffert sous Ponce Pilate,
A été crucifié,
Est mort et a été enseveli,
Est descendu aux enfers,
Le troisième jour est ressuscité des morts,
Est monté aux cieux,
Est assis à la droite de Dieu le Père
tout-puissant,
D’où il viendra juger les vivants et les morts.
Je crois en l’Esprit-Saint,
A la sainte Église catholique,
A la communion des saints,
A la rémission des péchés,
A la résurrection de la chair,
A la vie éternelle.
Amen
Inlassablement Jésus nous demande :
– Pour vous, qui suis-je ?
Notre foi est toute entière inscrite dans la réponse que nous donnons à cette interrogation.
Si nous reconnaissons en Jésus,
l’envoyé du Père, le Messie,
venu par amour pour nous,
mort et ressuscité pour nous donner sa vie,
alors notre existence prend un sens nouveau, celui d’une aventure personnelle
vers le Salut que nous propose Dieu.
La prière : pourquoi et comment ?
« Si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leur voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon père qui est aux cieux.
Si deux ou trois, en effet, sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. »
Matthieu 18,19
« Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est dans le secret.
Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens, ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup, ils se feront mieux écouter. »
Matthieu 6, 4
« Toi qui es bon et qui pardonnes, plein d’amour pour tous ceux qui t’appellent, écoute ma prière, Seigneur, entend ma voix qui te supplie. »
Psaume 85
« Tu m’apprends le chemin de la vie, devant ta face débordement de joie… »
Psaume 15
Questions sur la prière
La prière à Dieu, n’est-elle pas une projection de notre imagination ?
La prière est un don de Dieu fait à tout homme: c’est Dieu le premier qui désire établir une relation personnelle avec l’homme.
La prière est donc une attitude par laquelle l’homme accepte d’écouter et d’ouvrir son cœur.
Dieu accorde-t-il tout ce que je demande dans la prière ?
Par la prière, je prépare mon cœur à être plus ouvert à ce que me donne Dieu et j’apprends aussi ce que Dieu veut pour moi. Dieu répond à la, prière de demande de façon parfois inattendue mais par la prière, j’apprends à reconnaître que ce que Dieu me donne dépasse ce que j’ai demandé.
Se confier à Dieu, n’est-ce pas une solution de facilité, un moyen d’évasion ?
Non car prier Dieu, c’est lui parler, mais c’est surtout regarder une personne vivante, Jésus-Christ, et s’abandonner à lui dans ce face-à-face amoureux qui se suffit à lui-même.
Mais s’abandonner à Dieu ne veux pas dire démissionner: face à cet amour, l’homme découvre l’immense travail qu’il doit faire en lui et autour de lui. Alors jaillit la prière de demande où, en confiance, il dit à Dieu ses désirs, en tâchant d’accorder sa volonté à celle du Père, qui est toujours bonne.
La prière est-elle seulement individuelle ?
L’homme a aussi besoin de se joindre à la prière communautaire de l’Église, car le Christ a promis d’y être toujours présent : le Christ, par l’intermédiaire de la liturgie de l’Église, conduit lui-même la prière des chrétiens. La famille est aussi une cellule d’Église dans laquelle la prière est un moment très important de la vie spirituelle des enfants et des parents.
Et si je ne sais pas comment prier ?
S’asseoir simplement devant Dieu présent dans le tabernacle, c’est déjà prier.
Il y a aussi l’action de grâce pour remercier le Seigneur de ce qu’il nous a donné.
Il y a la prière de demande où en toute humilité nous présentons nos soucis, nos inquiétudes, nos attentes.
Notre Père,
Qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre
comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,
Et ne nous laisse pas entrer en tentation,
Mais délivre-nous du mal.
Car c’est à toi qu’appartiennent
Le règne, la puissance et la gloire,
Pour les siècles des siècles !
amen
Je vous salue Marie,
Pleine de grâce,
Le Seigneur est avec vous,
Vous êtes bénie entre toutes les femmes,
Et Jésus, le fruit de vos entrailles est béni,
Sainte Marie, Mère de Dieu,
Priez pour nous, pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen
La messe : pour quoi faire ?
« II n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
Évangile de Jean 15,13
« Dieu a tant aimé les hommes qu’il leur a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais ait par Lui la vie éternelle. »
Évangile de Jean 3,16
« Je suis le pain vivant descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais »
Évangile de Jean 6,53-54
« Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. »
Évangile de Jean 6,55-56
« Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés »
Évangile de Luc 6,37
« Voici mon commandement: aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés »
Évangile de Jean 15,12
Questions sur la messe
Pourquoi aller à la messe ?
La raison de la venue de Jésus dans notre monde, c’est sa volonté de nous rencontrer vraiment et de nous faire partager sa vie en Dieu. La messe est l’actualisation (continuation aujourd’hui même) de l’offrande de la vie du Christ sur la croix. C’est en communiant à l’Eucharistie que les fidèles peuvent participer, par leur prière et par la foi, au sacrifice du Christ qui a donné sa vie pour notre salut.
Pourquoi ne pas se contenter de prier Dieu chez soi ?
La messe est le rendez-vous auquel nous invite le Christ. Elle est le moment le plus précieux de la vie communautaire des chrétiens. Le salut offert par le Christ s’adresse à chacun d’entre nous individuellement mais également à la grande famille des hommes collectivement. Notre vie spirituelle ne peut s’épanouir que dans la communauté de l’Église.
La messe est alors source de vie pour nous, car le sacrifice de Jésus est le moyen que Dieu a choisi pour nous donner la vie surnaturelle, la vie divine. Par l’Eucharistie notre coeur est transformé véritablement, à la seule condition que nous acceptions vraiment d’adhérer au cœur du Christ.
La messe n’est qu’un rite fait de symboles.
A la messe, il ne s’agit pas de symboles, mais d’une présence réelle : celle du Christ, c’est là un des points les plus importants de la doctrine catholique : les paroles : « Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang » produisent vraiment ce qu’elles disent : c’est réellement le corps glorieux du Christ qui est présent sous chacune des deux formes eucharistiques : le pain et le vin que Jésus-Christ transforme en son corps et en son sang.
Je n’aime pas aller à la messe parce que j’y rencontre des personnes que je n’aime pas.
Acceptons de nous laisser transformer par le Christ et nous pourrons nous défaire de nos égoïsmes. Nous verrons les autres avec le regard même de Jésus qui s’est livré pour tous les hommes.
Le déroulement de la messe
La préparation pénitentielle : elle se propose d’aider les fidèles à reconnaître leur condition de pécheurs au début de la messe.
La liturgie de la Parole : elle est liée étroitement à la liturgie eucharistique, car dans l’une c’est Jésus qui se donne par sa Parole, et dans l’autre, il se donne ensuite par son Corps.
C’est pourquoi l’annonce de la Parole de Dieu est la meilleure préparation au sacrifice eucharistique. L’homélie du prêtre vient ensuite aider les fidèles à méditer la Parole de Dieu.
L’offertoire : le prêtre offre la pain et le vin qui deviendront, après la consécration, le Corps et le Sang du Christ, et les fidèles apporteront aussi leur offrande qui n’est pas seulement une participation matérielle mais surtout l’offrande d’eux-mêmes.
La prière eucharistique et la consécration : par le prêtre qui agit en lieu et place du Christ, le Christ va se rendre vraiment présent en son Corps et en son sang. En présence du Corps et du Sang et par eux, le prêtre intercède en notre nom pour les grandes intentions du monde.
La communion : sommet de la vie chrétienne, nous nous préparons à la communion en disant le Notre Père. En mangeant le Corps du Christ et en buvant son Sang, nous accueillons la vie de Dieu en notre corps.
L’envoi : c’est le moment de remercier le Seigneur de s’être donné à nous, et aussi de renouveler nos résolutions pour mener une vie chrétienne plus intense et plus authentique, avant d’aller porter au monde la joie du Christ.
La confession, pourquoi ?
« Devant lui nous apaiserons notre cœur, si notre cœur venait à nous condamner, car Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît tout.»
1ère lettre de saint Jean 3,20-21
« Recevez l’Esprit-Saint. Ceux à qui vous remettez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»
Jésus en saint Jean 20,23
« Si nous disons : nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute iniquité.
Si nous disons : nous n’avons pas de péché, nous faisons de lui un menteur et sa parole n’est pas en nous. Mes petits enfants, je vous écris ces choses pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu’un vient à pécher, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ, le Juste.»
1ère lettre de saint Jean 1,8 à 2,2
« Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher et que j’aie à lui pardonner ? Est-ce jusqu’à sept fois ? Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, lui dit Jésus, mais jusqu’à soixante dix fois sept fois.»
Jésus en saint Matthieu 18,21
« Sept fois le juste tombe, et il se relève »
Proverbes 24,16
Questions sur la confession
Qu’est ce que le péché ?
C’est tout ce que nous faisons de mauvais et qui empêche la relation avec Dieu. Le péché offense Dieu et fait du tort aux autres et à nous mêmes. En certaines circonstances, l’Église nous invite à nous reconnaître pécheurs, comme par exemple au début de la messe.
Qu’est-ce que la confession ?
C’est le geste ou le sacrement par lequel Dieu pardonne nos péchés par le prêtre à qui nous avouons nos fautes.
Pourquoi ne pas se confesser directement à Dieu ?
Le Christ a voulu rester présent dans le monde par son Église et il a demandé aux prêtres d’agir en son nom pour ce sacrement. Il a voulu que le pardon qu’il nous donne passe pas des hommes. De plus, l’aveu de ses péchés est important sur le plan psychologique.
Le prêtre auquel je me confesse n’est qu’un homme pécheur.
Bien sûr, c’est pourquoi je n’ai pas à me sentir complexé devant lui. Mais depuis que le Christ s’est fait homme, Dieu n’a pas cessé d’agir en prenant un visage d’homme.
La confession est humiliante et aliénante
« Tous ceux qui, parfois après de longues années, et chargés de graves péchés, s’approchent du confessionnal, trouvent en le quittant le soulagement désiré, ils retrouvent la joie et la sérénité. »
Jean-Paul II
Si je suis divorcé remarié, est-ce que je peux me confesser ?
Je peux toujours rencontrer un prêtre et faire un acte de contrition de mes péchés car le Christ me garde toute sa miséricorde et son amour ; sous son regard et avec les conseils du prêtre je peux continuer mon chemin spirituel, même si mon état présent ne me permet pas toujours de recevoir l’absolution.
Je préfère recevoir l’absolution collectivement
La cérémonie pénitentielle est une occasion unique de vivre la grâce de la confession avec ses frères, mais si l’absolution collective est possible en certaines circonstances, le fait d’avouer personnellement ses péchés et de recevoir personnellement l’absolution par le prêtre est une grâce irremplaçable.
Je vais retomber très vite dans les mêmes fautes.
Le Seigneur demande l’effort et pas forcément la victoire. Il nous aide à nous relever toujours, même si nous tombons souvent.
Comment vivre la confession
Je me présente devant le prêtre qui m’ invite à la confiance avant la confession de mes fautes.
Le prêtre donne des conseils et me demande une action de pénitence concrète. Puis il m’invite à manifester ma contrition.
Je dis alors mon acte de contrition :
« Mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé, parce que vous êtes infiniment bon, infiniment aimable et que le péché vous déplaît.
Je prends la ferme résolution, avec le secours de votre sainte grâce, de ne plus vous offenser et de faire pénitence.»
Le prêtre prononce les paroles de l’absolution
et je réponds : « Amen ».
Pourquoi se marier à l’Église ?
« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et multipliez-vous.»
Genèse 1,27
« Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
Lettre de saint Paul aux Romains 8,39
« Mon commandement le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.»
Jean 15,12-13
« Il répondit: N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit homme et femme, et qu’il a dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas.»
Matthieu 19,4-6
« Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux.»
Jean 17,26
A quoi sert l’Eglise ? Les hommes n’ont pas besoin d’elle pour s’aimer !
Les époux se donnent l’un à l’autre par le sacrement du mariage, instauré par Jésus Christ. Il leur permettra de s’aimer comme Dieu lui-même nous a aimés. Comme Jésus Christ a donné sa vie par amour pour le salut des hommes, il donne aux époux le pouvoir de s’aimer l’un l’autre d’un amour durable malgré toutes les difficultés. La grâce de ce sacrement les accompagnera chaque jour car le Christ demeure avec eux et oriente leur amour vers le don gratuit d’eux-mêmes et la fécondité. Le sacrement de mariage n’est donc pas la simple bénédiction d’un amour qui existait déjà mais la naissance d’un amour nouveau.
Pourquoi demander aux époux de se rester fidèles toute leur vie s’ils ne s’aiment plus ?
Le mariage est indissoluble ou n’est pas : ni l’homme ni la femme ne peuvent se reprendre sous quelque prétexte que ce soit. Je me suis donné donc je ne m’appartiens plus. Ma liberté n’a pas été aliénée car ce don, je l’ai fait librement. Le mariage est tourné vers la procréation et l’éducation des enfants : l’amour appelle l’amour. C’est pourquoi la fécondité doit rester ouverte et généreuse.
Pourquoi l’Église est-elle contre l’avortement, la contraception, la fécondation artificielle ?
Le plaisir est un don qui vient de surcroît, mais il n’est pas une fin en soi, sinon l’autre perdrait sa dignité de personne et se verrait relégué au rang d’objet de jouissance. L’enfant est un don, et la capacité de donner vie est inscrite au cœur de l’amour d’un homme et d’une femme. Tout ce qui sépare artificiellement la rencontre de ses conséquences et un désordre
L’échanges des consentements
Les époux échangent leur consentement en présence du prêtre :
– Elisabeth veux-tu être ma femme ?
– Oui, et toi, Vincent, veux-tu être mon mari ?
– Oui.
Les époux ensemble :
– Je te prends pour époux (épouse) et je me donne à toi, pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie.
Le prêtre conclut :
– Désormais vous êtes unis par le sacrement de mariage.
Le prêtre bénit les alliances :
– Jésus Christ, bénis maintenant ces alliances et donne à Elisabeth et Vincent de se garder toujours une parfaite fidélité.
Qui est Jésus Christ ?
Par Mgr Maxime Charles
CONNAISSANCE HISTORIQUE DE JESUS-CHRIST
JESUS TEL QU’IL APPARUT A SES CONTEMPORAINS
QUELLE IDEE LES APÔTRES SE FAISAIENT-ILS DE JESUS
LE CHRIST D’APRES ST PAUL ET LES EVANGILES DE L’ENFANCE
JESUS-CHRIST D’APRES SAINT JEAN
NOTES DE SPIRITUALITE EN CONCLUSION DU COURS DE CHRISTOLOGIE